Attention spoilers ! Le thriller d’espionnage, revenu sur le sol américain, développe une intrigue à la fois politique et intime, complexe et captivante. Une synthèse réussie.
On ne parle plus beaucoup d’Homeland, autrefois populaire. Le thriller d’espionnage de Showtime a chèrement payé les errements de ses deuxième et troisième saisons. Pourtant, il a, depuis, corrigé le tir, s’est brillamment réinventé et, dans une sixième saison achevée dimanche soir outre-Atlantique (mardi 11 avril 2017 sur Canal+ Séries) opéré une remarquable synthèse. Débarrassée de sa réputation de « 24 heures chrono du câble », Homeland y a brodé une intrigue solide, tendue, politique et intime. Une version apaisée de ses meilleures heures, moins efficace mais plus profonde, imprégnée d’une réflexion complexe sur la géopolitique de l’espionnage, les a priori racistes et les dangers du pouvoir. Une saison peu vendeuse mais particulièrement satisfaisante, résumée dans une réplique de son héroïne, Carrie Mathison (Claire Danes) : « Ce pays est devenu maboul après le 11-Septembre, et je suis bien placée pour le savoir. »
Les débuts de cette saison ont été courageux mais laborieux, plus proches d’un maladroit drame politique que du thriller attendu. Le combat de Carrie pour faire libérer Sekou Bah, un jeune musulman accusé de propagande terroriste, a traîné, devenant parfois caricatural, bien qu’il soit pertinent dans l’Amérique du Patriot Act. En parallèle, l’histoire de Peter Quinn (Rupert Friend), handicapé depuis les événements de la saison passée, a été trop lourdement traitée, rendant plus pesant encore un récit au démarrage déjà lent. Après trois épisodes, on ne savait toujours pas où Homeland voulait en venir, et l’on craignait qu’elle soit à nouveau passée à côté de son sujet – d’autant que ses scénaristes n’avaient pas anticipé l’élection de Donald Trump et avaient choisi comme futur locataire de la Maison-Blanche une femme a priori plus proche d’Hillary Clinton.
Le tour de force de cette saison 6, c’est d’avoir su a posteriori transformer ce que l’on prenait pour un démarrage poussif en une très habille mise en place. Elle a commencé à prendre sens à partir de son quatrième épisode, accélérant sa narration sans presque jamais la laisser exploser – à peine quelques séquences, notamment dans le final, nous ont rappelé que ses producteurs savent très bien faire du 24 heures chrono si l’envie leur en prend. Les manigances de Sekou Bah n’étaient qu’un voile, a-t-on peu à peu compris, placé devant une opération d’envergure menée contre Elizabeth Keane (Elizabeth Marvel), fraîchement élue à la présidence. Une tentative de déstabilisation conduite par les services secrets américains, notamment par Dar Adal (F. Murray Abraham), avec l’aide du Mossad, contre sa politique étrangère en lui faisant croire que l’Iran ne respecte plus les accords sur son armement nucléaire…
Cette saison est un modèle de slow burner, comme on dit dans le jardon sériel, un récit qui monte en puissance. A chaque épisode, elle a gagné en intensité, en tension, en émotion. Elle est parvenue à dépasser son choix électoral mal évalué en prenant à bras-le-corps des thématiques on ne peut plus actuelles : situation au Moyen-Orient, montée de la droite dure, désinformation, fake news, etc. Jusqu’à faire glisser sur les épaules d’une présidente que l’on croyait progressiste le poids intenable du pouvoir – posant en passant la question de la fragile légitimité du vote citoyen, au point de jeter dans la rue des manifestants criants « not my president », comme après l’élection de Donald Trump.
Cette saison 6 a aussi pris le temps de soigner ses personnages. Elle a cessé d’exploiter la bipolarité de Carrie, tout en mettant ses nerfs de mère à rude épreuve. Sa relation avec Peter Quinn, au centre du récit, a été passionnante. Une romance contrariée, faite d’amour et de haine, entre deux héros sacrificiels : elle l’a « tué » une première fois en Allemagne pour éviter un attentat, il se tuera pour de bon pour lui sauver la vie. Exploité à fond durant ses deux saisons à l’étranger, le duo Carrie / Saul se trouve cette fois plus en retrait, l’élève et le maître se toisant, se fuyant, pour finalement s’unir à nouveau. Saul maginifié dans son face-à-face avec Dar Adal, de toute beauté, jeu d’espions à l’ancienne maîtrisé de bout en bout.
Mise en scène discrète mais soignée, interprétation remarquable (Claire Danes, tout en retenue, est au sommet de son art), écriture millimétrée, cette saison 6 d’Homeland nous a donné une leçon de patience. Elle s’est permis un coup de griffe aux médias ultraconservateurs (et aux médias en général, très souvent caricaturés) tout en soulevant une foule de questions sur le pouvoir : une femme élue à la présidence souffrirait-elle du machisme de son administration comme de celui du pays tout entier ? Est-ce une qualité de ne pas être prêt à diriger ? Peut-on gouverner en faisant confiance, en préférant l’optimisme, le partage, l’ouverture ? La réponse d’Homeland, qui apparaît en fin de saison, fait froid dans le dos. Le monde du pouvoir, comme celui de l’espionnage, est sombre et cruel. L’amitié et l’enthousiasme n’y ont guère de place. La boucle est bouclée dans l’ultime scène de cette saison, où Carrie retourne vivre dans un Washington glacial. Homeland pourrait presque se refermer là-dessus, mais on a hâte de voir ce que les scénaristes en tireront, l’année prochaine.