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«LOVE» MI-DOUX, MI-DUR
La deuxième saison de la géniale production de Judd Apatow pour Netflix reprend les hésitations amoureuses de Gus et Mickey là où on les avait laissées.
La fiction à épisodes et les histoires d’amour ont au moins cela en commun de s’écrire sans pouvoir deviner quelle longévité leur sera accordée - souvent, lorsque le couperet tombe, il est déjà trop tard pour conclure proprement. Les unes comme les autres carburent, s’épuisent et, à terme, se disloquent, au gré d’une course après cette même denrée rare qui peut leur être retirée du jour au lendemain avec fracas : le temps. Le temps de se perdre et de se retrouver, d’avancer à tâtons ou de revenir sur ses pas pour mieux départir, au sein du magma des expériences menées, les triomphes des erreurs - les mûrir alors et éventuellement les convertir en puissances.
Il est sans doute trop tôt pour dire quelle lame de fond opère sur les relations humaines l’essor récent de la VOD sur abonnement, dont Netflix serait le plus emblématique représentant. Dans le champ des séries, en revanche, cet environnement de production et de diffusion favorise une profonde mutation des impératifs de narration d’une histoire au long cours. Commandés et livrés par saisons entières, les épisodes ne se trouvent plus soumis chacun à une logique d’audience et de rendement immédiats, censés exonérer la suite d’une annulation intempestive faute de suiveurs. Et ainsi peuvent y éclore des récits délestés du chantage à boucler leurs intrigues ou à les suspendre aux artifices court-termistes du cliffhanger, pour se déployer désormais avec une ampleur et une prodigalité de détails dont le précurseur et mètre-étalon serait la révolution The Wire - projet alors couvé par HBO malgré ses audiences faméliques.
Ellipses.
La calme et limpide radicalité de Love, dont les douze épisodes de la deuxième saison viennent de paraître sur Netflix, a quelque chose à voir avec celle de cet écrasant modèle, à cette différence qu’elle s’exerce ici non pas sur les rapports de force à l’œuvre au sein d’une ville, mais sur un rapport amoureux. L’histoire d’un couple de trentenaires angelenos, Gus et Mickey, a priori mal assortis et pleins de travers, de sa naissance à - selon la promesse de ses producteurs - son enlisement dans la routine. Ce que le chef-d’œuvre de David Simon faisait à la fiction d’enquête, Love l’opère ainsi sur le squelette archétypal de toute comédie romantique, ici ventilé, ou plutôt comme anamorphosé, pour mieux ausculter minutieusement, de la chair des vies qui s’y jouent, tout ce que l’ordinaire du genre engloutit dans des ellipses ou recouvre de péripéties téléphonées.
Toujours sous la houlette mi-tendre, mi-crue du maître de la comédie naturaliste Judd Apatow, dont la patte apparaît à nouveau très sensible, et du couple d’auteurs Lesley Arfin-Paul Rust (ce dernier endossant lui-même avec mille nuances le rôle ingrat de Gus face à la merveilleuse Gillian Jacobs), la saison 2 reconduit la cadence et les prodiges empathiques de la première. Soit ce miracle et ce geste fou qui revenaient à étirer l’instant d’une rencontre amoureuse sur dix épisodes, à s’enliser dans le laps de sa temporalité propre, à en scruter les détours, les impasses, les diversions sur écran de smartphone et les rendez-vous manqués, décrits dans leur intime et complexe vulnérabilité.
Cela, avec une générosité ménageant espace et attentions à toutes les antithèses, tous les points de vue sur la plus triviale situation, y compris celui d’une figure secondaire a priori dévolue à l’antipathie - on n’a rien vu de plus beau depuis longtemps dans une série que la manière dont l’épisode conclusif de la dernière salve colore ce qui ne serait ailleurs que happy end du déchirement ressenti par l’un de ces personnages tiers.
Tremblements.
Rien ne permet de soupçonner encore à quel genre d’issue, noces débonnaires ou dévoration d’un des partenaires, ces tremblements mènent les deux protagonistes in fine. Tout juste se prend-on à rêver encore, alors que la troisième saison vient d’entrer en tournage, à ce que, pour nous y conduire, Love continue de prendre tout, tout son temps.