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Les proches et les confrères de Roland B. cherchent toujours à comprendre comment cet agriculteur modèle a pu basculer, lundi, dans l’irrationnel. Leurs réponses divergent parfois.
Ils le disent systématiquement en préambule, comme une évidence : « Ce qu’a fait Roland est impardonnable ». Mais tous – ses amis proches comme ses collègues agriculteurs – insistent aussi sur un point : le producteur laitier de 55 ans qui a « pété les plombs », lundi, n’était subitement plus l’homme qu’ils connaissent et côtoient, pour certains, depuis l’enfance.
« Surmené et très fatigué »
« C’est un professionnel reconnu, un perfectionniste passionné, mais aussi quelqu’un de pondéré, toujours soucieux d’apaiser les conflits », décrit Daniel Condat, le président régional de la Coordination rurale (CR), encore sous le choc.
Pour lui comme pour beaucoup d’autres, l’exploitation de Roland B. est un « exemple ». « Une belle ferme, toujours nickel », dit l’un ; « il a monté l’un des plus beaux troupeaux de montbéliardes du département », salue un autre.
Seulement voilà : Roland B. traversait une période délicate. « Je savais qu’il était surmené et très fatigué », confie Joël Sembel, producteur laitier à Rochefort-Montagne, qui avait sympathisé avec lui lors de la grave crise laitière de 2009.
« Quand vous bossez quinze heures par jour, poursuit-il, que vous croulez sous les contraintes et les normes, que vous ne pouvez pas faire le foin parce qu’il pleut, comme c’est le cas en ce moment, vous êtes à bout de nerfs. Si, en plus, des problèmes privés viennent se greffer, le quotidien peut devenir insupportable. Et forcément, ça finit par lâcher… »
« J’ai le sentiment que Roland a vécu une descente aux enfers, confirme Daniel Condat, de la CR. Il a craqué, comme cela aurait pu arriver à beaucoup d’autres, tant le malaise est grand dans la profession ». Un chiffre, terrible, est là pour le rappeler : selon l’Institut de veille sanitaire, il y aurait un suicide tous les deux jours chez les agriculteurs français.
« La vraie raison de ce coup de sang est ailleurs »
Pour ne rien arranger, Roland B. est sujet à des douleurs chroniques, stigmates d’un accident du travail survenu il y a une dizaine d’années. Une lourde chute qui lui avait notamment valu une fracture du bassin. « Quand je l’ai recroisé l’an dernier, j’ai eu un choc. J’ai vu un homme qui souffrait », raconte Daniel Condat.
L’épuisement lié à un travail usant, la souffrance physique, les problèmes d’ordre privé : « Tout ça a dû peser, bien sûr. Mais la vraie raison de ce coup de sang est ailleurs », estime pourtant Jean-Paul Cohade.
Cet agriculteur de Mazaye, qui connaît le mis en examen depuis l’enfance, pointe avant tout « la disproportion de l’intervention des gendarmes », lundi après-midi. À contre-courant de la plupart de ses confrères, qui louent le « sang froid et le professionnalisme » des militaires ce jour-là, lui dénonce « un manque total de psychologie ».
« C’était démesuré. Ils sont allés le chercher à quinze, comme s’il s’agissait d’un grand bandit, alors qu’ils le savaient fragile, s’agace Jean-Paul Cohade. À mon avis, Roland a craqué parce qu’il s’est senti agressé (*). Pourquoi les gendarmes n’ont-ils pas d’abord demandé à un proche d’essayer de le raisonner ? S’ils m’avaient sollicité, j’y serais allé. Et suis persuadé que ça se serait passé autrement ».
(*) Pour rappel, l’épouse de Roland B. avait déposé plainte quelques heures plus tôt pour des violences conjugales présumées. Lundi matin, l’agriculteur, qui avait aussi fait des dégâts matériels importants dans sa maison sous le coup de la colère, avait refusé de se rendre de lui-même à la gendarmerie.
Stéphane Barnoin