Israël. Le deuil et la vengeance
Rédigé par Martine Gozlan le lundi 30 Juin 2014 dans le journal Marianne.
Les trois adolescents israéliens enlevés le 12 juin en Cisjordanie ont été assassinés. L'armée a retrouvé les corps de Naftali Frenkel, 16 ans, Eyal Yifrach, 19 ans, et Gilaad Shaar, 16 ans, dans un champ près du village palestinien de Halkhoul, non loin de Hebron. Alors que les missiles tirés de Gaza s'abattent sur le sud d'Israël, l'Etat hébreu promet de réduire à néant le Hamas.
Près de 80 000 Israéliens s'étaient réunis dimanche soir à Tel-Aviv pour manifester leur solidarité avec les familles des trois jeunes auto-stoppeurs kidnappés près de Hebron le 12 juin et clamer leur volonté de les retrouver vivants. Mais moins de 24 heures plus tard, ce lundi 30 juin, en début de soirée, tout Israël apprenait que leurs corps venaient d'être retrouvés dans un champ, près du village palestinien de Halkhoul, dans la région de Hebron.
La mort a donc vaincu. Le désir de mort a été le plus fort sur une terre qui n'a pas connu un seul instant de paix et de sécurité depuis plus d'un demi-siècle. Trois jeunes vies supplémentaires viennent d'être tranchées dans un Proche-Orient ravagé par le fanatisme. Israël, ce soir, est plongé dans un deuil total. Depuis plus de 15 jours, tout le pays s'était mobilisé dans un vaste élan de fraternité. " La frontière psychologique entre Tel-Aviv et Hebron a été abolie" résumaient les éditorialistes israéliens en se faisant l'écho de l'émotion qui s'était emparée de la population. Certains médias français, eux, semblaient s'alarmer de cette douleur partagée qui risquait de tourner "à l'avantage des colons". Sans doute les belles consciences auraient-elles préféré que les Israéliens s'auto-accusent du crime perpétré contre leurs enfants. N'a-t-on pas entendu un diplomate français en poste à Jérusalem émettre, la première semaine, des doutes sur le kidnapping,reprenant ainsi avec un sidérant aplomb les rumeurs immédiatement publiées dans la presse palestinienne? Propos, rumeurs et invraisemblances destinées, comme d'habitude, à faire porter le poids de la faute sur les victimes.
C'est dans ce contexte pénible que la diplomatie française, toujours elle, a cru bon de rappeler sur sa page d'avertissements aux voyageurs les consignes de boycott de toute entreprise oeuvrant dans les territoires occupés, territoires dans lesquels, à notre plus grande surprise, elle incluait Gaza... dont les Israéliens se sont pourtant retirés en 2005. Etrange lapsus qui permet d'oublier le règne féroce du Hamas sur Gaza, à l'heure où des centaines de missiles tirés par le Hamas s'abattent sur le sud d'Israël, incendiant une usine et contraignant les enfants à courir aux abris.
Naturellement Israël a répliqué par des raids ciblés aux tirs ininterrompus de missiles depuis une semaine. ces raids ont fait des morts. Naturellement, Tsahal n'a cessé de fouiller la Cisjordanie et la région de Hebron depuis l'enlèvement pour retrouver les trois adolescents. Ce déploiement s'est soldé par 400 arrestations et plusieurs morts lors d'affrontements. Naturellement, ce soir, les maisons des deux principaux suspects recherchés pour les meurtres, militants du Hamas, sont dynamitées.
Nos droits de l'hommistes qui ne se sont jamais alarmés pour une seule vie de "colon", quand bien même il s'est agi voici quelques années des trois enfants, dont un nourrisson, égorgés avec leurs parents, cette famille Fogel d'Itamar massacrée en 2011, classée inconnue au palmarès des indignations médiatiques, nos belles consciences éprises de paix vont évidemment conclure à la "disproportion" des réactions.
On en convient: la guerre, c'est moche et ça saigne. Le Proche-Orient brûle. Les djihadistes marchent sur Bagdad et proclament un califat qui vient d'être inauguré par des massacres de masse et des crucifixions. Leur ambition est de conquérir la Jordanie. Sur un autre front, ils contrôlent déjà des pans du Golan syrien.
Il y a quelques mois, John Kerry plaidait fermement pour une démilitarisation de la vallée du Jourdain, laquelle aurait dû passer sous contrôle palestinien selon le voeu du chef de la diplomatie américaine. Netanyahu vient évidemment de réaffirmer son opposition totale à cette option. Il plaide désormais pour la construction d'un mur face au Jourdain pour décourager toute infiltration djihadiste. Et, au soir de la découverte des corps suppliciés, ce Premier ministre de droite,appuyé par son ex-président de gauche, Shimon Peres, promet que "le Hamas paiera".
Je n'aime pas les murs.
Mais je ne vis pas dans un pays qui a la guerre et le djihad sur toutes ses frontières.
Je ne vis pas dans l'Israël de la solitude, du deuil et de la vengeance.
Je ne saurai donc pas un seul instant diluer ou effacer sa terrible réalité dans la nauséabonde bonne conscience.
http://www.marianne.net/martinegozlan/Martine Gozlan
Journaliste à Marianne, je travaille sur les questions et les pays d’Islam, ainsi que sur le conflit israélo-palestinien. Essayiste, j’y ai consacré plusieurs livres. Derniers ouvrages parus : « Tunisie, Algérie, Maroc : la colère des peuples » aux éditions de l’Archipel(2011) "L'imposture turque" Grasset ( 2011) "Israel contre Israel", l'Archipel, 2012
Changer le monde, disent les révolutionnaires arabes… Face au réveil de l’Orient, nous oscillons entre la sidération, le lyrisme et la crainte selon que le renversement des astres s’opère dans la Tunisie familière, l’immense Egypte, la Libye imprévisible, la Syrie désormais en guerre civile, le chaotique Yémen ou le confetti du Bahrein.