par iamaseb » 22 Aoû 2016, 11:48
Dragan, (et aux autres).
Je ne maîtrise pas vraiment le sujet, pour tout te dire, je pense qu’il y a bien plus urgent que cette histoire de voile ou de burkini. En ce qui s’agit de privation de liberté, les inégalités de notre société, voulu pour enrichir une minorité, sont bien plus impactant que cette histoire de voile. Je tiens à le signaler. Comme l’a fait Bibpanda. Fin de la parenthèse, je vais quand même essayer de te répondre.
Déjà, pour faire plaisir à Peezee, je rappellerai que je suis Athée à 99 % et agnostique à 1 %, donc agnostique ;) J’ai troqué la foi pour le doute. En d’autres termes, tout ce qui serait issu de la religion, au nom de la religion, ou de texte sacré, je le remets en doute fortement et n’y apporte aucun crédit mystique.
Ce qui n’empêche pas que je partage certaines valeurs exposées par les religions, juste que je m’attarde sur le fond. Dans les faits, je n’ai jamais étudié de texte religieux, ça s’arrête à quelques messes ou communiqués.
Il me semble important de le préciser, car de ce fait, j’ai une vision des choses différentes d’un croyant. Or, la vision, la représentation qu’on se fait des choses est déterminante quand il s’agit de parler de liberté. La liberté peut se matérialiser de façon contradictoire entre deux individus. Tout dépend de la volonté des individus, de leur histoire, de leur vie...
Ainsi, le port du voile pourrait être vécu comme une libération dans une société qui l’interdit, tout comme le fait de ne pas le porter sera aussi une libération dans une société qui le rend obligatoire. L’Histoire ici peut nous aider, nous avons notamment dans l’Histoire de France, des périodes plus ou moins tolérantes avec les religions et ses manifestations.
Je suis aussi Humaniste, dans le sens où je place l’être humain au dessus des nationalismes ou des cultures copyrightées et brevetées. C’est là aussi important de le préciser, car la thématique de ce genre de débat plait énormément à ceux qui veulent opposer les « civilisations », à ceux qui confondent leur identité avec des représentations abstraites, biaisées et limitées et qui tentent de les imposer aux autres.
Et pour finir, je me sens féministe, au sens où je ne fais pas de distinction sur tout ce qui est intellectuel, capacité, responsabilité, et rôle (sociale) entre un homme et une femme. Ce qui ne m’empêche pas de préférer les femmes sans poils aux jambes…
J’ai donc aussi des contradictions, même si je crois militer pour une société où les individus auraient le plus de choix possible.
Revenons-en au débat. C’est un sujet complexe car il dépasse largement la seule question du voile. Tantôt il est porté pour des raisons de liberté, notamment celles des Femmes (avec des avis contradictoires), tantôt il est porté pour des raisons identitaires, alliant haine et de rejet de l’autre. L’un et l’autre se mélangeant, étant parfois le prétexte de l’un, le prétexte de l’autre. De part cette complexité, il est difficile de débattre. Ceux qui défendent la liberté se verront traiter de raciste, et ceux dénonçant le racisme se verront traiter de laxiste quant à la liberté des Femmes.
C’est aussi un débat interne chez les Musulmans, ou chez ceux désignés comme tel de par leur origine. Il sera donc question d’insertion, d’identité… entre ceux voulant rester fidèle à leur éducation, à ce qu’ils sont, et ceux voulant s’insérer dans une société qui les rejette déjà beaucoup (chômage, idéologie nationalistes…).
Sachant que là encore, tout n’est pas linéaire, on peut très bien au nom de la liberté aboutir à une société davantage privative, tout comme en voulant s’insérer se marginaliser. On peut faire fausse route, même avec les meilleurs intentions.
Bref, tout ça pour dire qu’il est très difficile de parler calmement de cette problématique, car elle cristallise différents problèmes de nos sociétés. C’est davantage le second point qui m’intéresse, notamment dans les réponses qui sont faites ici et là. La question du burkini ou de la burka m’intéresse finalement moins. Le sujet en lui même est bien moins conséquent et dangereux, de par son ampleur que les réponses qu’on pourrait lui donner, en France.
Le voile est un bout de tissu. Pris comme tel, heureusement que les Hommes ont le droit de choisir de le porter où non. Le corps appartenant à son être, et étant une affaire privée, l’Homme est libre de le montrer ou de le dissimuler.
Mais le voile est aussi un vêtement religieux. C'est-à-dire que c'est la religion qui "contraint" l'individu à un certain comportement, ici vestimentaire. Pour ceux à l'extérieur de la religion, où qui la vivent différemment, une telle contrainte ne peut être vu que comme une privation de liberté. Est-ce que quelqu'un de libre s'infligerai de porter le voile ? A fortiori une burka ? D'aller à la messe tous les dimanches ? De se marier le samedi et pas un autre jour de la semaine ? De manger du poisson le vendredi ? D’aller se confesser...
Dans le second cas, on considère donc que l’individu est contraint par l’extérieur (la religion, mais celle-ci étant toujours transmise par les Hommes, la contrainte émane in fine d’Hommes…). Il y a donc des victimes, et des responsables. Une société juste se doit de protéger les victimes et d’empêcher les coupables de nuire. C’est en tout cas comme ça que je vois les choses.
Devrait donc se poser une première question : est-ce qu'on autorise la religion et donc la privation de liberté qui va nécessairement avec ? Ou sa corolaire, est-ce qu’on interdit la religion au nom de la liberté ?
De mon point de vue, on ne peut pas interdire une religion, et ce pour plusieurs raisons :
1. Nous sommes le fruit de nos rapports sociaux. L’être humain ne peut qu’être contraint de par sa nature. A ce titre, que ce soit la religion où une éducation républicaine avec ses valeurs, nous seront toujours contraints. Qui est plus légitime sur les valeurs ? Difficile de dire tant et les uns et les autres ont eu leur lot d’horreur.
2. Un individu est aussi fait de sa croyance. C’est une partie de qui il est. L’empêcher de vivre sa religion peut être une contrainte plus forte que celles issus de sa religion.
3. Il n’y a pas de liberté pure, absolu. C’est un concept. On juge le degré de liberté au choix qui nous sont possibles. En interdisant la religion et sa manifestation, nous diminuons les possibilités. Il y a moins de liberté.
On constatera que ce n’est pas cette question qui est posée. La question portant finalement seulement sur une pratique d’une religion bien particulière : la tenue des Femmes musulmanes (on constatera aussi, que l’autre débat religieux porte sur l’alimentation musulmane).
Pourquoi seules les femmes musulmanes sont finalement visées ? Avons-nous un débat similaire avec les bonnes sœurs catholiques, qui sont vêtues d’une certaine façon, dans le métro, dans les rues, à la plage… Ce vêtement n’est-il pas aussi le symbole d’une persécution, ou d’une limitation forte de liberté (rapport sexuel et donc le droit d’avoir des enfants, le droit de se marier, d’avoir des relations intimes avec autrui, un certain type de comportement…). Et si je ne me trompe pas, elles sont hiérarchiquement sous les ordres d’hommes. Ya t’il des cardinales femmes d’ailleurs ?
La polémique ne porte donc pas sur le fond du problème, à savoir la liberté, ni même sur l’égalité Homme-Femme. Son ampleur et sa singularité s’explique de mon point de vue car la religion musulmane et ses manifestations sont vue comme quelque chose d’extérieur. Cette polémique porte donc en son sein, le rejet de l’autre pour ce qu’il est (en partie), ici musulman.
Fort de ce constat, nous pouvons néanmoins aborder la question du voile et surtout de la burka. Comme je l’ai déjà dit dans un message précédent, la burka est plus qu’un « style » vestimentaire, il est très contraignant, genré. Plus grave, les femmes sont parfois obligées de le porter, car des Hommes (homme et femme) ne veulent pas que celles-ci ne soient vue. Il est donc aussi symbolique d’une persécution. Certains voient dans le voile la même chose. On ne peut nier qu’il y a des caractéristiques communes avec la Burka (comme tout uniforme), mais aussi qu’il représente une contrainte physique moins forte.
Se pose donc la question de son interdiction.
Il faut savoir qu’en l’interdisant, il deviendra aussi le symbole d’une liberté. Voulons-nous que la Burka soit le symbole de la liberté, alors même qu’il est de par sa nature contraignant ? Il me semble que ce ne serait pas valorisant pour notre société que la Burka devienne un symbole de liberté.
Tout comme pour la religion, il fait aussi parti de l’expression (religieuse) d’un individu. Qu’on le veuille où non, l’interdire peut-être vécu comme une atteinte forte à la liberté d’un individu. Même en considérant que l’individu est formaté, il n’empêche qu’on le fera souffrir.
En portant atteinte de cette façon à un individu, il y a peu de chance que celui-ci s’ouvre sur un monde qui dans les faits rejette ce qu’il porte, donc ce qu’il fait, et donc ce qu’il est. De fait, il y aura un repli identitaire. Plus grave encore, une telle personne, fragilisée par le rejet de la société, sera une proie plus facile, notamment pour ceux qui veulent imposer le voile.
Enfin, dans le cas où une Femme est en effet obligée directement de porter la Burka, par la force notamment, il me semble que cela témoigne d’un mal bien plus grave que le simple fait de porter la Burka. Dans un tel cas, il me semble ridicule de s’attaquer à la seule tenue. C’est comme si on demandait à une femme battue de masquer ses cicatrices, qu’on ne saurait voir. La réponse est là encore inappropriée.
Même après avoir bien isolé le sujet de son contexte actuel, et rappelé que nous avons le droit à penser et vivre différemment, il me semble contreproductif d’interdire le burkini et la burka pour les Femmes directement concernées (très peu, tout de même).
C’est en vivant ensemble, en partageant nos histoires qu’on arrivera à faire évoluer les mentalités, à susciter des envies, des changements de comportement… C’est ainsi qu’on aidera les Hommes à dépasser les contraintes héritées de leur histoire.
A la république d’intervenir quand un tel désir s’exprime et qu’il est étouffé.
Voilà ma réflexion. Je ne suis néanmoins pas sûr à 100 % sur ce qu’il faut faire…
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iamaseb le 22 Aoû 2016, 11:57, modifié 2 fois.
L'arbre est mort, impuissant mais lucides, nous regardons les feuilles tomber, les unes après les autres.