Les tensions autour de la présence du loup en France sont toujours aussi vives. A tel point que les ministres de l’écologie et de l’agriculture, Ségolène Royal et Stéphane Le Foll, ont donné un nouveau coup de vis à la législation en adoptant deux arrêtés ministériels, publiés au Journal officiel jeudi 2 juillet, qui durcissent la lutte contre le canidé. Ce, malgré une consultation publique majoritairement opposée à ces nouveaux textes et une pétition en faveur d’une cohabitation entre le loup et le pastoralisme, lancée par des associations de défense des animaux sauvages, qui a recueilli 67 000 signatures.
Le premier arrêté fixe à 36 le nombre maximum de loups qui pourront être abattus pour la période 2015-2016, au titre de dérogations au statut de protection de l’espèce. L’an dernier, ce plafond était de 24 individus, avec la possibilité de l’augmenter jusqu’à 12 loups supplémentaires après avis d’un collège d’experts. Une telle hausse n’avait pas été nécessaire : en 2014-2015, 19 loups ont été tués officiellement et un braconné – auxquels il faut ajouter 5 individus morts naturellement ou par accident.
Tirs autorisés dans les cœurs des parcs
Le second arrêté, lui, encadre, et surtout facilite, les conditions dans lesquelles ces abattages pourront être autorisés par les préfets en cas de dommages importants aux élevages, perpétrés malgré les mesures de protection (clôtures électrifiées, chiens, etc.). Le dispositif, fixé par le plan national loup 2013-2017, reste le même : tout d’abord, l’effarouchement pour dissuader le prédateur, puis les tirs de défense à proximité immédiate du troupeau et, enfin, les tirs de prélèvement, c’est-à-dire, dans le jargon administratif, l’abattage des bêtes, sur un territoire plus large, si toutes les autres mesures ont échoué.
Mais le nouvel arrêté ministériel renforce chaque degré de réponse. Les tirs d’effarouchement et de défense seront désormais possibles dans les cœurs des parcs nationaux dont les décrets de création autorisent la chasse, comme c’est le cas pour le parc national des Cévennes, après un vote du conseil d’administration. Dans les « unités d’action » (zones où la prédation du loup est probable), les tirs de défense seront autorisés même si le troupeau n’a jamais été attaqué, et notamment pour les cheptels reconnus comme « ne pouvant être protégés » – une notion laissée à l’appréciation des préfets. Ces tirs seront possibles toute l’année et autorisés pendant cinq ans dans certaines zones à risques, même si aucune attaque n’est constatée tout au long de cette période.
Les tirs de prélèvement, quant à eux, pourront mener à la destruction de plusieurs loups par opération et ne seront plus forcément réalisés sous le contrôle de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) mais pourront être laissés à la responsabilité des chasseurs, des lieutenants de louveterie et des gardes-chasses particuliers assermentés. Le prélèvement de loups à l’occasion de chasses au grand gibier, en battue, à l’approche ou à l’affût, qui avait été expérimenté en août 2014, est maintenant officialisé et généralisé.
Diminution du nombre de loups
« L’idée était d’avoir des tirs efficaces et un dispositif réactif pour protéger les élevages face à la progression du loup », indique-t-on au ministère de l’écologie. Revenu naturellement dans les Alpes en 1992 après avoir été éradiqué de l’Hexagone dans les années 1930, Canis lupus a recolonisé, département après département, un tiers du territoire situé à l’est d’une ligne Sedan-Pau. Résultat : les agressions dans les élevages n’ont cessé de croître. En 2014, 9 190 bêtes ont été attaquées, contre 6 812 en 2013 et 6 701 en 2012, selon les statistiques de la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dréal) Rhône-Alpes. En plus d’indemniser les éleveurs – à hauteur de 2,6 millions d’euros l’an dernier – et de financer la protection des troupeaux, l’Etat cherche donc à gérer la population de loups, sans toutefois nuire au « maintien de l’état de conservation favorable de l’espèce ».
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Mais pour les associations pro-loup, ces mesures portent atteinte au statut de protection de l’espèce, couverte par la convention de Berne de 1979 et la directive Habitat-faune-flore de 1992. De fait, pour la première fois, la population de Canis lupus a connu une légère baisse : elle a été estimée par l’ONCFS à 282 individus en 2015 contre 301 en 2014 – même si l’ampleur des intervalles de confiance enjoint à la prudence. Ce ralentissement est à « relier à la mortalité en hausse (tirs) et/ou une reproduction en baisse », indique la dernière lettre d’information InfoLoup, publiée par la Dréal Rhône-Alpes. Selon une modélisation réalisée par l’ONCFS avec l’université suédoise des sciences agricoles, l’abattage de 36 loups en 2015-2016 entraînerait un risque de 38 % de décroissance de la population lupine.
« Davantage de destructions »
« Le ministère affiche une nouvelle fois sa volonté de “gérer le problème du loup” par davantage de destructions et non par l’amélioration des moyens de protection, regrette Madline Raynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Le nombre de 36 loups devient un quota et non pas un plafond, et rien ne permet d’affirmer que cela permettra de baisser les dommages attribués au loup. Le recours aux tirs ne peut permettre une réelle cohabitation entre élevage et loup. »
Ces dernières années, les arrêtés autorisant les tirs contre les loups n’ont cessé d’augmenter, sans pour autant réussir à limiter la prédation sur le bétail : on dénombrait l’an dernier 501 tirs de défense, 49 tirs de défense renforcée et 49 tirs de prélèvement. Une partie de ces arrêtés a été âprement combattue devant les tribunaux par les associations : l’Aspas, et le collectif d’associations CAP loup, a ainsi déposé 42 recours en référé (dont 23 gagnés) et autant en annulation (non encore jugés) entre 2013 et 2015. « Avec les nouveaux arrêtés ministériels qui assouplissent le protocole, il va être beaucoup plus difficile de contester les arrêtés de tirs devant les tribunaux, prévient Madline Raynaud. Le loup est maintenant davantage considéré comme une espèce nuisible que protégée. »
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