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Boko Haram frappe encore et encore les populations civiles du Nigeria sans que la mobilisation de la communauté internationale n’ait pu enrayer cette spirale meurtrière. Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement et de sécurité à la DGSE (service de renseignement extérieur de la France) révèle, dans cette deuxième partie de l’entretien, les soutiens extérieurs dont peut bénéficier cette secte islamiste, notamment le financement des pétromonarchies du Golfe.
Afrik.com : Vous dites que les pétromonarchies du Golfe ont certainement participé à financer Boko Haram, dans une tribune sur Mondafrique, pour quelles raisons ? Quel intérêt ont-ils à financer ce groupe ?
Alain Chouet : Le Qatar et surtout l’Arabie fondent leur légitimité sur l’Islam et, ces pays doivent se prémunir contre toute forme de critique, de concurrence ou de dépassement, sur la lecture la plus fondamentaliste de cette religion. Soumis à la concurrence et à la volonté de puissance de l’Iran, leur politique constante est de tenter de s’assurer le contrôle de l’Islam à l’échelon mondial par le seul moyen dont ils disposent à suffisance : l’argent. Ils sont extrêmement attentifs dans le monde entier à toute initiative fondamentaliste locale qui pourrait risquer de les dépasser ou de menacer leur légitimité et s’empressent d’essayer de la canaliser et de la contrôler grâce aux revenus de leur rente pétrolière. C’est là l’une des raisons de la montée en puissance de l’islamisme militant dans le monde, tous les acteurs locaux ayant compris que plus ils affirmeraient leur fondamentalisme, plus ils attireraient l’attention et l’argent des pétromonarchies wahhabites.
Afrik.com : Boko Haram a-t-il d’autres sources de financement ?
Alain Chouet : Boko Haram a commencé ses activités en se finançant par les trafics en tous genres : le racket, le pillage et, plus récemment, par les prises d’otages contre rançon. C’est là son fonds de commerce ordinaire auquel l’argent des pétromonarques ne vient qu’ajouter un élément de régularité, mais dont la pérennité n’est pas assurée.
« Neutralité tiers-mondiste »
Afrik.com : Dans cette même tribune, vous évoquez l’instrument que constitue Boko Haram pour rendre le Nigeria dépendant de l’OTAN, de quelle façon ?
Alain Chouet : Ne tombons pas dans le conspirationnisme ! Ce n’est évidemment pas l’OTAN qui instrumentalise Boko Haram. Mais il se trouve que du fait de la faiblesse et de l’inertie des organisations internationales comme l’ONU ou des organisations transnationales régionales en Afrique, au Moyen Orient ou en Asie, ce sont toujours les forces de l’OTAN qui se précipitent sous la pression des opinions publiques quand un problème de sécurité se pose. Plutôt que de tenter de renforcer les capacités d’intervention sécuritaire des organisations internationales ou régionales normalement habilitées à cela, les États-Unis et l’OTAN qu’ils contrôlent prennent prétexte de tout désordre régional pour intervenir militairement, avec des résultats d’ailleurs discutables, mais dont le principal effet est de rendre les Etats faibles dépendants des forces du Pacte Atlantique. C’est actuellement le cas du Nigeria qui avait toujours cherché à éviter ce type de connivence avec l’Occident et se tenait sur une ligne de relative neutralité tiers-mondiste peu appréciée à Washington. En ce sens, l’action de Boko Haram finit par servir les intérêts de l’OTAN et à nuire à l’indépendance du pays.
Afrik.com : L’OTAN est une organisation largement contrôlée par les Américains qui en assurent la plus grande partie du financement. Vous n’évoquez pas les Etats-Unis, quel peut être leur rôle dans cette histoire ? Quels sont les intérêts des Américains à intervenir au Nigeria ?
Alain Chouet : Qui dit OTAN dit Etats-Unis. Le Nigeria est le pays le plus peuplé d’Afrique et le 6e exportateur de pétrole au monde. Il est clair que l’hyperpuissance américaine ne peut s’en désintéresser. Washington ne peut laisser un pays aussi important au cœur de l’Afrique sombrer dans la confusion et devenir un sanctuaire djihadiste, ni tomber par réaction entre les mains d’un pouvoir militaire fort qui pourrait avoir la tentation d’une politique nationaliste sur le modèle iranien ou venezuélien en s’affranchissant des règles de l’OPEP et de l’acceptation du paiement de son pétrole en dollars.
Afrik.com : La presse locale au Nigeria avait indiqué que certains hauts gradés de l’armée étaient passés en cour martiale pour avoir fourni des armes et des informations à Boko Haram, ce qui a été démenti par le gouvernement, quelle est votre réaction à ces éventuelles collusions ?
Alain Chouet : A titre personnel, je ne dispose d’aucune preuve dans un sens ni dans l’autre. Mais de tels faits paraissent tout à fait plausibles. Le Nigeria est un pays qui connaît un fort taux de corruption dans la fonction publique, les services de sécurité et l’armée. Les militaires, même hauts gradés, qui ne sont pas assez proches des cercles du pouvoir pour bénéficier de la corruption sont sous-payés (quand ils sont payés…), sous équipés et personne ne vient à leur aide quand ils sont confrontés à des attaques. Dans ces conditions, on ne peut s’étonner qu’ils ne se montrent pas très offensifs ni déterminés et que, dans les zones d’activité de Boko Haram, ils préfèrent s’arranger sur place avec les malfaisants plutôt que s’engager dans une confrontation que personne ne soutiendra au niveau du gouvernement central.
« Financement de pétromonarques »
Afrik.com : Pourquoi après le sommet de Paris du 17 mai dernier, seul le Cameroun semble avoir mis en application la traque conjointe de Boko Haram ? Qu’attendent à votre avis le Bénin, le Tchad, le Niger qui ont part à ce Sommet de l’Elysée et décidé de ce « Plan global régional » ?
Alain Chouet : Ce sommet a été très « cosmétique ». Les différentes armées de la région connaissant à peu près toutes des conditions semblables à celles de l’armée nigériane. Le Bénin et le Niger ne disposent pas d’armées suffisamment fortes, équipées, structurées et motivées pour intervenir dans ce conflit. Si le Cameroun semble avoir entrepris de sécuriser ses frontières nord avec le Nigeria, sa détermination à en faire plus reste à prouver. Ses rivalités et contentieux anciens permanents avec le Nigeria ne plaident pas en faveur d’un engagement résolu. Quant au Tchad, qui dispose certainement de la meilleure armée régionale et qui l’a prouvé par ses actions courageuses et ses sacrifices au Mali, il semble avoir son propre agenda dans cette affaire et ne s’engagera certainement pas de façon déterminante sans assurance de contreparties financières et politiques. On ne peut demander au seul Tchad de tirer les marrons du feu en se brûlant les doigts dans toute la région pour que d’autres les dégustent.
Afrik.com : A votre avis comment mettre fin aux agissements de Boko Haram ?
Alain Chouet : L’action actuelle de Boko Haram s’inscrit dans la problématique globale du salafisme violent dans l’ensemble du monde musulman. Je note que Boko Haram ne nous interpelle que depuis qu’il a enlevé 250 jeunes filles en heurtant la sensibilité des Occidentaux. On en parlait bien peu avant, sauf quand des Occidentaux étaient enlevés. Et on ne parle guère des violences islamistes qui font chaque jour des dizaines de morts en Libye, en Afghanistan, au Yémen, en Irak, en Syrie, au Pakistan et ailleurs. C’est une violence qui s’enracine dans des contentieux locaux irrésolus et qui se perpétue avec les encouragements et le financement de pétromonarques que nous persistons à considérer comme des alliés. Personne n’en viendra à bout si la communauté internationale ne contribue pas à essayer d’éteindre les contentieux locaux et si les Occidentaux n’exercent pas les pressions suffisantes pour contraindre les monarchies wahhabites à cesser de soutenir idéologiquement et financièrement la subversion salafiste.