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Intelligence artificielle : ce qu’il faut retenir du rapport de Cédric Villani
Le mathématicien et député LRM s’est vu confier la réalisation d’un rapport sur l’IA. Recherche, environnement, défense, éthique… le point sur ses recommandations.
Le député La République en marche (LRM) de l’Essonne Cédric Villani, mathématicien lauréat de la prestigieuse médaille Fields, a rendu, mercredi 28 mars, son rapport sur l’intelligence artificielle (IA), commandé par le gouvernement en septembre. Alors qu’Emmanuel Macron s’apprête à annoncer, jeudi, la stratégie de la France dans ce domaine, retour sur les principales conclusions de ce rapport.
Pourquoi ce rapport ?
Commandé par le premier ministre Edouard Philippe, ce rapport avait pour but de « dresser une feuille de route sur l’intelligence artificielle », expliquait Cédric Villani en septembre au Monde. Alors que les technologies de l’IA progressent considérablement depuis le début des années 2010, que les grandes entreprises américaines du Web sont à la pointe de la recherche et que des pays comme la Chine investissent massivement dans le domaine, la France est à la traîne.
Après quatre cent vingt auditions d’experts de différents domaines, Cédric Villani et son équipe ont remis un rapport de plus de deux cent quarante pages, balayant des problématiques variées et proposant une série de recommandations.
Favoriser un meilleur accès aux données
Pour donner des résultats pertinents, l’IA doit reposer sur d’importantes bases de données, à partir desquelles des programmes peuvent « apprendre » et effectuer des corrélations. C’est pourquoi M. Villani prône, dans ce rapport, « une politique de la donnée offensive qui vise à favoriser son accès, son partage et sa circulation », notamment à l’échelle européenne.
Concrètement, il s’agirait de « renforcer » la politique d’ouverture des données publiques, mais aussi issues du secteur privé. « Dans certains cas, la puissance publique pourrait imposer l’ouverture s’agissant certaines données d’intérêt général », précise le document.
Le député évoque notamment le secteur de la santé, pour lequel il aimerait la création « d’une plate-forme d’accès et de mutualisation des données pertinentes pour la recherche et l’innovation ».
Développer la recherche
Un autre axe prioritaire du rapport est le développement de la recherche en IA : le nombre d’étudiants dans le secteur est très insuffisant, et les jeunes experts formés en France sont souvent recrutés par les grandes entreprises du Web, qui disposent de moyens considérables pour les attirer. L’objectif fixé est de tripler le nombre de personnes formées à l’IA d’ici à 2020. Pour rendre la recherche française plus attractive, le rapport propose de multiplier les bourses, mais aussi de doubler les salaires en début de carrière.
Cédric Villani appelle de ses vœux la création d’« un réseau de recherche d’excellence » en IA, qui se concrétiserait par des instituts interdisciplinaires répartis sur tout le territoire, rassemblant chercheurs français et étrangers. Ils auraient également vocation à rapprocher le monde de la recherche des entreprises pour favoriser les transferts de technologies. Ces instituts sont imaginés comme des « zones franches de l’IA » — « allégement drastique des formalités administratives du quotidien, compléments de salaire conséquents, aides pour l’amélioration de la qualité de vie ».
Enfin, cet investissement dans la recherche devrait également, pour M. Villani, permettre d’outiller les chercheurs. Il propose de mettre à leur disposition un supercalculateur et un cloud privé attribués à l’intelligence artificielle.
Se concentrer sur la santé, l’écologie, la défense…
L’effort économique et industriel devrait, selon les conclusions du rapport, se concentrer sur les secteurs de la santé, du transport et des mobilités, de l’écologie, de la défense et de la sécurité. Des secteurs « dans lesquels notre industrie peut sérieusement envisager jouer un rôle de premier plan au niveau mondial et concurrencer les géants extraeuropéens ».
L’Etat pourrait jouer « un rôle fondamental » pour « amorcer le mouvement et la structuration de l’écosystème » et en devenant « le premier client ». Cela pourrait se manifester par des dispositifs de soutien à l’innovation, des subventions, des commandes publiques, mais aussi l’organisation de « grands défis ».
Cédric Villani aimerait aussi que soient mis en place des « bacs à sable d’innovation », permettant, par exemple, « l’allégement, temporaire, de certaines contraintes réglementaires » et « des moyens d’expérimentation en situation réelle ».
Par ailleurs, le député estime que la France devrait « prendre le leadership » dans le domaine des liens entre IA et environnement : « l’intelligence artificielle peut contribuer à diminuer toutes nos consommations et à amplifier toutes nos actions en faveur du respect et de la restauration des écosystèmes », souligne le rapport.
Une intelligence artificielle éthique
« L’intelligence artificielle ne peut pas être une nouvelle machine à exclure », écrit M. Villani. Entre les biais de certains programmes — qui reproduisent le racisme et le sexisme humain par exemple —, le manque de mixité dans les équipes de recherche et les risques sociaux que peuvent représenter ces programmes, l’IA peut inquiéter.
Concernant l’impact sur le marché de l’emploi, le député rappelle que les différentes études à ce sujet fournissent des prévisions bien différentes. Il souhaite, cependant, la création d’une structure ayant pour mission « d’anticiper » et « d’expérimenter des dispositifs d’accompagnement » ou encore « des modalités nouvelles de production et de répartition de la valeur ».
Le rapport insiste aussi sur le besoin de féminisation de l’IA — les femmes ne sont que 10 % dans les écoles d’ingénieur en informatique. « Ce manque de diversité peut conduire les algorithmes à reproduire des biais », explique le document, qui recommande une « politique incitative » visant à atteindre un taux de 40 % d’étudiantes d’ici à 2020.
Plus largement, le député recommande la mise en place d’un comité d’éthique de l’IA, chargé d’organiser le débat public et de fournir des avis et recommandations « en toute indépendance ». Il souhaite aussi que les pouvoirs publics se dotent « d’une fonction d’audit de ses algorithmes » et puissent, « dans le cadre d’une procédure judiciaire ou sur saisine du défenseur des droits », examiner ces « boîtes noires » pour en comprendre le fonctionnement.
Des propositions non chiffrées
Le rapport de Cédric Villani propose un grand nombre de recommandations très concrètes, mais comment les financer ? Le document n’avance aucun chiffre. « On a fait ces calculs, et plutôt trois fois qu’une, a assuré M. Villani au Monde. Mais on ne voulait pas qu’ils soient dans le rapport pour éviter que l’expression publique se précipite dessus. »
Pour mémoire, François Hollande s’était engagé, après un premier rapport sur l’IA publié en 2017, à débloquer une enveloppe de 1,5 milliard d’euros sur dix ans. Par ailleurs, le député en appelle également au financement privé pour soutenir le développement de l’IA en France : « [L’Etat] n’a pas vocation à supplanter les investissements privés. (…) Il faut que le venture capital [capital-risque] se développe de plus en plus. »
Maintenant que les propositions sont sur la table, reste à voir ce que l’exécutif va en retenir. La réponse sera en grande partie apportée dès jeudi 29 avril. A l’occasion d’un sommet sur l’IA, organisé au Collège de France à Paris, le président Emmanuel Macron doit présenter son plan pour l’intelligence artificielle.