Information
Enquête. “Valeurs actuelles” s’est procuré un rapport explosif, confié au ministre de la Justice et consacré à cette ville des Yvelines en proie au communautarisme, à l’intégrisme et même au djihadisme.
Le cri d’alarme n’était pas passé inaperçu. « Aujourd’hui, à Trappes, la République a totalement disparu. Vous avez une ville qui est gouvernée par des islamistes, des djihadistes, des Frères musulmans, des salafistes. […] C’est terrible », tempêtait Alain Marsaud, député Les Républicains des Français de l’étranger et ex-juge antiterroriste, réputé pour son franc-parler, fin juillet. « Mensonge, diffamation, outrance, mépris », réagissait aussitôt son collègue PS de la circonscription concernée des Yvelines et ancien conseiller municipal de Trappes, Benoît Hamon, qui dénonçait encore, piqué au vif, des « attaques méprisantes » et « la propagation de préjugés et assertions non étayées par les faits ».
Pourtant, les services de l’État ont eux-mêmes sonné l’alerte. Un rapport officiel, adressé par une autorité judiciaire à Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, dresse ainsi le constat d’une ville à la dérive. Les Yvelines sont historiquement le berceau du radicalisme en France, né il y a environ trente ans aux Mureaux. « Le véritable problème […] est celui de la lutte contre la radicalisation générale et le communautarisme exclusif, indique le document confidentiel, consulté par Valeurs actuelles. À cet égard, si la radicalisation et le communautarisme rampants gagnent petit à petit l’ensemble du territoire, […] c’est l’évolution de la ville de Trappes qui concentre les inquiétudes… »
À 30 kilomètres de Paris, la commune de 31 000 habitants abrite une population jeune (près de 50 % des habitants ont moins de 30 ans) et multiculturelle : on y dénombre entre 40 et 50 nationalités différentes. « La ville est très majoritairement (entre 60 et 70 % selon les estimations orales fournies) de confession musulmane et, au fil des années, s’est imposé […] un militantisme actif qui se manifeste par une volonté de conquête non violente de l’espace public et, pour certains au moins, des institutions », détaille le rapport. La première librairie et le premier collège confessionnels ont été ouverts dans le département et les manifestations de solidarité avec des réseaux ou organisations radicaux ne sont pas rares.
Aussi, « la plupart des commerces de la commune sont désormais orientés par le communautarisme. Il existe ainsi une dizaine de boucheries halal sur la commune ». Mais plus aucune traditionnelle… Des kebabs, dont certains sont sous l’emprise de la mouvance islamiste, servent de lieux de rassemblement. En plus d’une église et d’une synagogue, Trappes compte cinq mosquées : une mosquée turque gérée par le gouvernement d’Ankara ; une mosquée du Tabligh ; une petite mosquée-salle de prière ; une mosquée subsaharienne ; la grande mosquée gérée par l’association confessionnelle principale de la ville : l’Union des musulmans de Trappes, de tendance Frères musulmans, « en radicalisation constante », précise le rapport.
Toutefois, « si les extrémistes fréquentent la grande mosquée de Trappes en tant que lieu de culte, ils ne souhaitent en aucun cas de liens avec l’association cultuelle majoritaire (Union des musulmans de Trappes, UMT), quand bien même cette mosquée, qui reste dans l’obédience des Frères musulmans, s’est elle-même radicalisée depuis 2003 ». En attendant, le lieu de culte continue à étendre son influence « très importante » au sein de la communauté au moyen de ses relais cultuels et de ses actions associatives. Des conférenciers étrangers y sont aussi régulièrement invités. Enfin, le sous-sol de la grande mosquée sera prochainement transformé en salle de prière pour femmes.
Dans les rues, les longues barbes et les kamis se multiplient. Idem pour les robes sombres et les hidjabs. « Le port de vêtements traditionnels pour les hommes comme pour les femmes y est désormais fréquent. Cinquante-trois verbalisations pour port du voile ont été réalisées sur la commune de Trappes entre avril 2011 et avril 2016. » Vingt-sept Trappistes ont aussi fait l’objet de verbalisations sur d’autres communes du département. Et les récidives sont fréquentes, à l’image de Cassandra Belin, dont l’arrestation avait provoqué les émeutes de Trappes, en 2013. La ville joue en effet un rôle de pôle d’attraction pour les personnes à la recherche d’engagements religieux stricts.
À Trappes, « le tissu associatif local est très fortement imprégné par la religiosité et le communautarisme exclusif », poursuit le document, qui dé nombre une centaine d’associations. L’Union des musulmans de Trappes a créé le Centre islamique de Saint-Quentin-en-Yvelines dont dépendent plusieurs structures en plein essor, qui enseignent le Coran, l’arabe, l’éducation religieuse et proposent un soutien scolaire et des loisirs. L’UMT s’apparente à une entreprise disposant de fonds importants (des centaines de milliers d’euros) et plusieurs centaines d’individus fréquentent ses structures (plus de 500 personnes, dont des enfants, suivraient l’apprentissage du Coran et de la langue arabe). Elle dispose enfin d’un service de pompes funèbres, et la création d’un centre médical est en cours.
En matière d’éducation, « les déclarations d’enseignement à domicile sont relativement nombreuses sur la ville et progressent ». En revanche, « la présence d’écoles clandestines n’est pas avérée à ce jour mais l’offre communautariste associative multiple répond en fait à ce besoin ». Ainsi, l’école confessionnelle, appelée Institut de formation de Saint-Quentin-en-Yvelines (IFSQY), ouverte dans la commune voisine de Montigny-le-Bretonneux est dirigée par l’ancien président de l’UMT, Slimane Bousanna, lié aux Frères musulmans. « Une procédure d’opposition à l’extension de classes tentée par le parquet de Versailles a échoué en l’état d’une législation totalement obsolète, aussi complexe que restrictive », regrette le rapport. Une deuxième école privée musulmane a ouvert en septembre 2015.
« Les émeutes de Trappes de juillet 2013 sont les premières en lien avec une contestation religieuse en France » et « ont profondément marqué le territoire ». Cette violente réaction à l’interpellation d’une femme entièrement voilée et de son compagnon « a été largement légitimée par la population », est-il écrit. Ce développement d’un communautarisme ajouté à une radicalisation des esprits s’accompagne d’une baisse générale de la petite délinquance et de la délinquance de voie publique. Toutefois, « le trafic de stupéfiants […] reste le fléau majeur sur Trappes », classée en zone de sécurité prioritaire (ZSP). D’ailleurs, « la délinquance reste forte et en hausse sur le premier semestre de cette année ».
La ville est même considérée comme un bastion djihadiste en France. « S’agissant de l’extrémisme terroriste à Trappes, il ne paraît pas réellement structuré en réseau mais former plutôt une petite nébuleuse, même si, historiquement, les anciens du mouvement Ansar al-Fath, une fois libérés, se sont effectivement regroupés à Trappes vers 2005, note le rapport. Une cinquantaine de départs en Syrie depuis Trappes sont connus, onze morts ont été recensés. » Un animateur de la mairie a même été tué dans les rangs de Dae’ch ! Quatre jeunes de Trappes, radicalisés en fréquentant le fameux kebab Chicken Planet, sont d’ailleurs les premiers à avoir tenté de rallier la Syrie après l’attentat contre Charlie Hebdo, en 2015. D’autres sont aussi liés au réseau des attentats de Paris et de Bruxelles. Les Renseignements, qui redoutent la création d’une nouvelle filière syro-irakienne, y surveillent, depuis, plusieurs commerces.
Sur le plan politique, le communautarisme le dispute au clientélisme. Les 8 % de voix recueillies par la liste conduite par Slimane Bousanna au premier tour des municipales de 2014 se sont reportées sur le candidat Les Républicains Othman Nasrou lors du second tour alors même que la liste conduite par le directeur de l’IFSQY était politiquement plus à gauche. « Cette répartition des voix démontre la présence d’un vote communautariste indépendant des clivages politiques généraux », souligne le rapport. Succédant en 2001 aux communistes, le maire PS Guy Malandain était encore réélu au deuxième tour (50,96 % des voix dans une triangulaire). François Hollande y récoltait, lui, 77 % des voix au second tour de la présidentielle de 2012.
Son ancien ministre de l’Éducation, Benoît Hamon, sait aussi flatter ses administrés. Fin 2014, le député socialiste signait un projet de résolution pour la reconnaissance d’un État palestinien. « Il s’agit du meilleur moyen pour récupérer notre électorat des banlieues et des quartiers, qui n’a pas compris la première prise de position pro-israélienne de Hollande », expliquait alors le conseiller municipal de Trappes, militant en faveur du droit de vote des étrangers. « Il devrait appeler ça “la résolution Trappes”. S’il croit qu’ainsi il aura plus de chances d’être réélu en 2017… », soupirait Manuel Valls.
Aujourd’hui, la cité des humoristes Jamel Debbouze et Omar Sy ne fait plus rire personne. Trappes a même été rebaptisée le “Molenbeek français”. Pourtant, la ville, rénovée à coup de millions, n’est pas un ghetto sordide. « Les salafistes ont pris le pouvoir à Trappes. Prête à tous les renoncements, la mairie PS achète la paix civile, réitère Alain Marsaud, contacté par Valeurs actuelles. J’ai moi aussi alerté le garde des Sceaux, qui est un homme réaliste, sur cette situation dramatique. Il n’était pas au courant, mais il ne peut plus l’ignorer, même si le ministère de la Justice est démuni, reconnaît l’ancien juge antiterroriste. Maintenant, il faut agir et vite ! »