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La ministre de l'Education nationale, Najat Vallaud-Belkacem, a commenté mardi les mauvais résultats des élèves français. (Reuters)
"Ces résultats doivent être accueillis avec gravité puisque les performances des élèves français de 15 ans sont moyennes et le poids du déterminisme social est inacceptable". C’est ainsi que la ministre de l’Education nationale a réagi lors de la conférence de presse présentant l’enquête internationale Pisa conduite en 2015 par l’OCDE dans quelque 70 pays. Tous les trois ans, l’étude compare - et classe - les systèmes éducatifs du monde entier en interrogeant les élèves de 15 ans. Les scores, très attendus, confirment, sans surprise, les tendances des dernières années : la France se situe dans la moyenne des pays de l’OCDE mais se voit de nouveau épinglée en matière d’inégalités scolaires.
Des performances moyennes en sciences, maths et compréhension de l’écrit
En sciences (la dominante de Pisa 2015), nos résultats sont globalement décevants. Comme le souligne Gabriela Ramos, directrice de cabinet de l’OCDE en présentant les derniers résultats: En 2006 (dernière évaluation Pisa à dominante scientifique), "on n’avait pas les smartphones, ni Skype. Les avances technologiques sont impressionnantes. Mais les systèmes éducatifs ne sont pas la hauteur de ces développements". Ceci est vrai partout. Mais particulièrement en France : avec un score de 495 points pour la partie scientifique, le pays se situe dans la moyenne OCDE (493 points), stagnant au même niveau qu’en 2006.
Dans les deux autres domaines évalués par Pisa, pas de quoi briller non plus. Avec 493 points en mathématiques, la France se classe juste au niveau de la moyenne OCDE (490 points). Le niveau, stable par rapport à 2012, a fortement baissé depuis 2003. Maigre consolation : dans le domaine "compréhension de l’écrit", l’Hexagone a légèrement progressé, se plaçant un peu au-dessus de la moyenne OCDE. Mais rien de mirobolant pour autant : 499 points contre 493!
La France, championne des inégalités
Plus marquant encore, les écarts entre élèves. "La France est le pays du grand écart, analyse Najat Vallaud-Belkacem. Avec une école qui est efficace pour une majorité de ses élèves, mais qui ne parvient pas à faire réussir 20 à 30% d’enfants". En 2015 comme en 2006, 8% de nos élèves se positionnent parmi les plus performants de l’étude Pisa. Et 22% parmi ceux en difficulté.
Deuxième constat : ces inégalités scolaires, chez nous plus encore que dans le reste de l’OCDE, tendent à reproduire les inégalités sociales : "Les élèves issus des milieux défavorisés ont quatre fois plus de risques d’être dans les élèves ayant des difficultés en sciences, souligne ainsi Gabriela Ramos. C’est la proportion la plus élevée des pays de l’OCDE". En France, plus on vient d’un milieu défavorisé, moins on a de chance de réussir. Le constat vaut aussi pour les élèves issus de l’immigration : en sciences, ceux issus de la première génération accusent des scores très inférieurs à ceux des élèves non immigrés (87 points d’écart en France, bien plus que les 53 points d’écart relevés dans l’OCDE).
Enquête Pisa après enquête Pisa, la France se classe donc championne des inégalités. Pourquoi n’a-t-on pas réagi plus tôt? "Notre système éducatif est historiquement organisé pour sélectionner et trier une élite", analyse ainsi Jean-Paul DelaHaye, inspecteur général honoraire, auteur d’un rapport consacré à la grande pauvreté et la réussite scolaire, qui regrette : "Une partie de la population proclame le vivre ensemble mais refuse le scolariser ensemble". Claude Lelièvre, historien de l’éducation, partage son analyse : "Notre système éducatif s’est construit par le haut. Ce n’est pas un hasard si la France est le pays des classements, des concours et des grandes écoles. Chez nous, ceux qui s’intègrent dans et par l’école continuent à bien s’en sortir. C’est pour cela que, passé l’émotion du moment, les résultats de Pisa n’entraînent pas des mesures drastiques".
Les réformes engagées : un choc Pisa selon la ministre
Pisa 2015, en sondant des élèves ayant entamé leur scolarité en 2011, ne permet pas d’évaluer les réformes menées depuis 2012. Au collège, celles-ci n’ont même été mises en place qu’à la rentrée 2016! Mais Najat Vallaud Belkacem l’assure : "Nous avons décidé de conduire notre choc Pisa". Comprenez venir à bout des inégalités et faire progresser l’ensemble des élèves.
La ministre cite donc les nombreuses mesures initiées sous le quinquennat Hollande : création de postes (un pour trois élèves supplémentaires, selon elle, dans le premier degré entre 2012 et 2017), préscolarisation des moins de trois ans (30% dans une académie sur deux en zones d’éducation prioritaire), lutte contre le décrochage scolaire (moins de 100.000 jeunes sortant chaque année du système scolaire sans qualification), moyens supplémentaires pour les zones d’éducation prioritaires (350 millions en plus), réhabilitation de la formation initiale des enseignants, nouveaux programmes scolaire… La liste semble longue. De quoi, prédit-elle, obtenir enfin de bons résultats à l’enquête Pisa… en 2024.
Les pistes de l’OCDE
"Ces efforts porteront leurs fruits dans les années à venir", analyse André Schleicher, le Monsieur Pisa de l’OCDE. Qui met en garde malgré tout : "il reste encore beaucoup de chemin à faire pour que cela se traduise en classe". Pour guider la France dans la bonne direction, les analystes de l’OCDE multiplient donc les recommandations. Par exemple, "créer de incitations pour amener des enseignants expérimentés à travailler dans les établissements défavorisés" ou "renforcer les pouvoirs des chefs d’établissement, à commencer par ceux qui travaillent en zone sensible", "soutenir les équipes de direction et les enseignants à travers la formation continue et les programmes de tutorat".
Une petite révolution… lorsqu’on sait qu’en France, 77% des élèves de 15 ans fréquentent un établissement où les enseignants ne bénéficient pas de tutorat (30% en moyenne dans les pays de l’OCDE). Et qu’à peine 23% d’entre eux étudient dans un établissement où le directeur déclare questionner les élèves sur l’enseignement qu’ils reçoivent (69% en moyenne dans les pays de l’OCDE). "Le système éducatif français n’est pas assez personnalisé, indiquait déjà André Schlaecher à l’agence de presse spécialisée AEF. Les chefs d’établissement ne disposent pas de la capacité à guider leur équipe. Ils ne gèrent pas les enseignants mais un bâtiment".
Pour lutter contre l’échec scolaire, les experts de Pisa préconisent aussi de "continuer la politique visant à scolariser dès l’âge de deux ans les enfants des milieux défavorisés" ou "de limiter le redoublement en allant vers une plus grande personnalisation de l’enseignement". Car si le nombre de redoublement a déjà fortement diminué (-16 points en pourcentage entre 2009 et 2015), il reste supérieur à la moyenne de l’OCDE.
Enfin, il faudra aussi "rehausser la qualité et la valorisation des filières professionnelles au lycée". Car en France, les élèves des milieux défavorisés sont surreprésentés dans les filières professionnelles. Il faut donc y investir davantage. L’OCDE conseille, par exemple, d’"impliquer les employeurs et syndicats dans l’élaboration des programmes des filières professionnelles", de "réformer les services d’orientation professionnelle" ou encore de "faciliter le recrutement de professionnels au sein du corps enseignant". Un signe qui ne trompe pas : même l’Estonie, qui réussit bien au classement de Pisa 2015, vient d’engager une réflexion sur sa filière professionnelle…
Autant de pistes qui pourront alimenter le débat pour la présidentielle de 2017. "Tout ce qui nous est proposé par l’opposition, revient à nous réentraîner dans le déclin subi par notre école pendant la décennie des années 2000", accusait déjà ce matin la ministre de l’Education nationale. Les discussions apaisées dans l’intérêt des élèves ne sont pas pour demain…