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Les mafias du cannabis mettent sous tension le réseau électrique en Espagne
L'augmentation des branchements frauduleux de sites de culture intensive et de plus en plus « professionnalisée » représente 2 milliards de pertes par an pour le secteur et une détérioration des services aux clients.
Les plantations clandestines de cannabis sont en plein essor en Espagne. C'est ce que dénonce la compagnie électrique Endesa, filiale de l'italien Enel et principal acteur du secteur énergétique avec Iberdrola. Elle a détecté depuis cinq ans une hausse de 35 % du nombre de branchements frauduleux, dont les trois quarts sont destinés à l'alimentation de sites de production intensive sous serre, particulièrement gourmands en énergie pour maintenir les plantes en permanence sous les puissants systèmes d'éclairage et de ventilation qui vont optimiser les rendements.
Loin de l'image d'installations artisanales associées à la petite délinquance locale, la compagnie électrique alerte sur la présence grandissante de plantations d'envergure et d'une activité très « professionnalisée ». Les installations de plus en plus performantes, capables de produire quatre à six récoltes par an, sont contrôlées par des groupes mafieux internationaux, parmi lesquels une forte présence de Français, tous attirés au sud des Pyrénées par une législation plus clémente face au délit de connexion illégale.
Si la culture du cannabis est interdite en Espagne, ils savent que selon la loi du pays, les peines encourues sont légères, d'un à trois ans de prison, et des amendes équivalentes au double de la valeur des quantités saisies. « Pour eux, c'est insignifiant », témoignait il y a peu, dans une émission de télévision, un garde civil chargé des opérations d'intervention. « Il nous arrive de confisquer le matériel le matin et de voir l'après-midi même les membres du groupe en train d'acheter de nouveaux équipements pour relancer la production. »
Deux milliards de pertes par an
Avec 150 manipulations irrégulières détectées chaque jour sur son réseau, Endesa constate à la fois l'expansion du nombre de sites de production de cannabis et de la sophistication grandissante des techniques employées. Avec à la clé, deux milliards d'euros de pertes par an, liées à ces branchements illégaux sur l'ensemble du réseau électrique. Selon les estimations globales du secteur, les plantations de cannabis détournent chaque année 2,2 térawatts heure d'électricité, soit l'équivalent de la consommation annelle des 700.000 habitants de Séville.
Du côté de la compagnie, on signale à la fois le manque à gagner et les menaces de courts-circuits et d'incendies liés à la surcharge du réseau. « Cela représente un risque qui peut entraîner la mort des personnes impliquées ou de tiers qui n'ont rien à voir avec cette pratique illégale », affirme José Manuel Revuelta, le directeur général des réseaux d'Endesa, en avertissant de la détérioration du service pour les clients qui sont les premiers à souffrir des coupures dues à la surcharge de ces pics de consommation imprévus.
Intelligence artificielle
S'il arrive de détecter des plantations clandestines un peu partout dans les villages perdus de l'Espagne dépeuplée, le gros du trafic a lieu le long du littoral méditerranéen, depuis la côte catalane jusqu'à la pointe sud de l'Andalousie, aux alentours d'Almería ou Cadix. Les réseaux, de plus en plus organisés pour pirater le réseau, établissent des connexions souterraines difficiles à détecter et ils s'appuient sur l'intelligence artificielle pour contrôler leur production et les heures de lumière afin d'optimiser les récoltes.
En Catalogne, tout se passe dans des entrepôts anonymes de zones industrielles, tandis qu'en Andalousie, les plantations sont réparties discrètement chez des particuliers, dans des logements où une pièce est consacrée à la culture intensive sous lumière violette. A simple vue, on ne repère rien d'anormal, explique-t-on chez Endesa. Jusqu'au jour où un transformateur qui fait un saut de 20 mégawatts à 120 mégawatts, sans raison apparente, va donner l'alerte.