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« L’arnaqueur de Tinder » parisien avait jusqu’à huit conquêtes en même temps
Juliette (le prénom a été changé) se souvient encore parfaitement de cette soirée. À l’étage de l’établissement Chai 33, sur le cour Saint-Émilion dans le centre commercial de Bercy-Village (Paris, XIIe), à cette table basse carrée où nous sommes installés pour parler de son histoire, c’est là que Lesty l’a embrassée. C’était un soir de mai 2023. Au départ, Juliette avait prévu de mettre le holà après des discussions sur Tinder et une première date. « Je lui ai dit que je n’allais pas pouvoir suivre son train de vie, financièrement parlant », se remémore-t-elle.
Lesty s’est présenté comme une sorte de golden-boy qui a vécu à New York et qui a pour meilleur ami un suédois prénommé Clark. Il est directeur dans une boîte de télécom et il projette de faire une grosse fête pour ses 40 ans à Zanzibar. Juliette reprend : « Je me suis dit que ça allait être compliqué, je ne suis pas quelqu’un qu’on entretient. Mais il m’a rassurée, il a su trouver les mots, m’a dit : Je ne suis pas un flambeur, et m’a embrassée. C’est ici, à cette table, qu’il m’a ferrée. »
Début d’une idylle et d’un cauchemar. Car si Lesty a réussi à l’embobiner, c’est que cet homme au sourire enjôleur, qui se présente sur les applis comme « sérieux et rieur, réfléchi et spontané », n’en est pas à son coup d’essai. Son discours est rodé. Il séduit ses nombreuses conquêtes en les cernant et en adaptant son discours. « C’est un caméléon », a affirmé l’une d’elles à Libération qui a révélé l’affaire le 12 décembre.
Des résultats d’analyses IST falsifiés
Au-delà de voir en lui un charmeur infidèle, celles qui ont croisé sa route disent avoir été escroquées par un « prédateur » sans foi ni loi. Dix-sept plaintes ont été déposées contre lui dans toute l’Île-de-France pour « abus de confiance », « escroquerie », mais aussi « mise en danger de la vie d’autrui ». Pour avoir des relations sexuelles sans préservatif, il aurait même fourni des résultats d’analyses IST (infection sexuellement transmissible) falsifiés.
Le laboratoire du IIIe arrondissement de Paris, dont l’entête a été utilisé, a déposé plainte pour « faux et usage de faux ». La procédure a été transmise au commissariat de Pontoise, comme le quadragénaire vit dans le Val-d’Oise, et, le 4 janvier, il a été placé en garde à vue puis mis en examen pour « escroquerie », « abus de confiance », « faux », « usage de faux », entre août 2020 et septembre 2023. Contacté par le Parisien, le parquet de Pontoise précise qu’il a été placé sous contrôle judiciaire. La « mise en danger de la vie d’autrui » n’a pas été retenue, le danger n’ayant pas été jugé imminent.
Les victimes rencontrées par le Parisien estiment qu’il avait mis en place un système pyramidal se servant des unes pour offrir des cadeaux aux autres. Comme ce bouquet de fleurs qu’une de ses petites amies lui a payé puisqu’il avait oublié sa Carte bleue pour qu’il les offre à sa mère… Sauf qu’il les a en fait offertes à l’une de ses copines. Car visiblement Lesty est tête en l’air… Il oublie souvent sa carte bancaire.
Juliette le rencontre en mai 2023. « Les échanges étaient fluides, se rappelle la jeune femme âgée de 34 ans. Il me dit qu’il sort d’une relation qui s’est terminée parce qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfant et que lui veut fonder une famille. Moi, ça me parle… » Ce qu’elle ne sait pas, c’est qu’en même temps, il est avec Elsa (le prénom a été changé), 38 ans, qui a déjà des enfants. Il lui dira qu’il est papa — ce qui est vrai — et qu’il ne souhaite pas « retourner dans les couches ».
« Il nous bombarde d’amour »
Juliette poursuit : « Il creuse dans les blessures qu’on a eues et fait tout ce qu’on attend d’un homme. Je lui faisais confiance à 100 %. » L’homme parfait a eu jusqu’à huit copines en même temps. Juliette et Elsa — qu’il fréquentait sur la même période — le savent puisqu’elles ont monté un compte Instagram pour recueillir les témoignages et alerter. En fonction des emplois du temps et des excuses fournies par le bellâtre, elles ont établi un calendrier des relations de Lesty avec des couleurs représentant chaque victime. Elles ont recensé 30 victimes potentielles en menant des enquêtes, en organisant des filatures de leur ex.
« Il nous bombarde d’amour, très vite il fait des projets, propose de rencontrer sa famille, de vivre ensemble », se souvient Juliette. Ses trois enfants, Lesty les lui a présentés comme ses neveux. C’est en août 2023 qu’elle découvre que quelque chose cloche. Elle est partie quelques jours en vacances et lui a laissé les clés de son appartement à Clichy-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Lorsqu’elle revient de ses congés, elle découvre un préservatif dans ses placards. Ils n’en utilisent plus puisque Lesty lui a fourni des résultats d’analyses.
Son iPad est là, à portée de main. Elle connaît le code et commence à fouiller. Le téléphone du garçon est synchronisé avec cet appareil. Juliette découvre alors que ses neveux sont en fait ses enfants et qu’il a une femme. Ou du moins qu’il a été marié. Juliette vérifie sa voiture. En son absence, Lesty a parcouru 1 000 km avec.
Elle a désormais en tête le docu Netflix, « l’Arnaqueur de Tinder ». « Je me demande s’il ne s’est pas inspiré de cette série », ajoute-t-elle. Un doute lui vient quant aux analyses IST. Elle inspecte le document et remarque l’heure de prélèvement, 16h15. Surprenant, les prises de sang se font le matin. Le laboratoire confirmera son doute : pas de Lesty dans leur fichier.
Les filatures mènent Juliette devant la gare Montparnasse. Lesty revient de Bordeaux (Gironde) et il est main dans la main avec une autre femme venue le chercher à la descente du train. Cette dernière lui a payé 450 euros une chambre d’hôtel à Bordeaux, pour qu’il assiste à un mariage, sa carte bancaire ne passant plus. Il lui avait fait croire qu’elle ne donnait que l’empreinte. En août, Juliette se calme sur ses recherches après avoir reçu un message qu’elle apparente à des menaces. Lesty lui dit : « Le monde est petit. » C’est un coup de fil d’Elsa qui la sort de la déprime le 4 septembre 2023. Cette trentenaire que le Don Juan appelait « mon évidence » est passée « en mode FBI », dit-elle.
Le mirage d’un voyage au Portugal
Elle s’est lancée dans une enquête après le mirage d’un voyage au Portugal. À l’été 2023, Lesty propose à Elsa de venir le rejoindre lui et ses enfants à Faro. Elle n’a rien à débourser, sa sœur travaille chez Air France et lui dégote une place sur un avion, départ le 21 juillet. Lesty lui transfère par mail le billet électronique. « Je prépare mes valises, je suis contente, je vais rejoindre mon copain parfait », se remémore la jeune femme. C’est le beau-frère du petit ami qui doit venir la chercher pour l’emmener à Roissy. Sauf qu’il est très en retard. Normal, c’est encore un mensonge. Rétrospectivement, elle analyse : « Il voulait me faire louper mon vol, que je ne me doute de rien. »
Lassée d’attendre, elle commande un VTC et arrive dans les temps au terminal pour s’enregistrer. Mais lorsqu’elle scanne son billet, lumière rouge, billet non reconnu. « Une employée d’Air France a zoomé sur mon billet électronique et a tout de suite vu que c’était un faux, reprend Elsa. Je l’appelle et il me dit : C’est n’importe quoi. »
L’hôtesse est, elle, surprise puisque c’est le deuxième faux billet sur le même vol. Une autre jeune femme tombée dans les filets de Lesty a connu la même désillusion quelques minutes plus tôt. « C’était comme dans les films, poursuit Elsa. À ce moment, je suis à l’aéroport assise sur un banc avec mes deux grosses valises, en train de chialer. Je rentre chez moi en RER et là je me dis : Mais en fait, c’est un mytho. »
Lesty lui avait envoyé des photos de la villa de Faro. Elsa utilise la recherche d’image inversée d’un moteur de recherche. La maison est en fait… En Sardaigne. Il trouve toujours la parade, a réponse à tout. Cette villa en Sardaigne, oui, c’était lors d’un précédent séjour, c’est son fils qui l’a envoyée par erreur. Lors d’une visio dans un restaurant portugais, Elsa repère le nom de l’établissement qui est en fait à… Pierrelaye dans le Val-d’Oise. Elle débarque chez lui et lui lance : « C’était bien le Portugal ? » Tout de go, il lui répond : « Oui, on vient de rentrer. »
Elle lui déballe tout, la discussion durera trois heures. Comme il constate qu’elle a mené son enquête, il lui dit : « Je suis déçu de toi, tu n’as pas confiance en moi. » Elsa reprend : « Je voulais le faire avouer que c’était un menteur. » Au cours de cette conversation, il aurait simplement reconnu que « les femmes de 35-40 ans sans enfant sont des proies faciles ». Elsa complète le portrait : « Il est capable de pleurer avec nous. Pour avoir des excuses, il a fait mourir son père plein de fois. »
« Le fait d’être blessées n’en fait pas des victimes d’infractions pénales »
Mais même si elle n’est plus avec Lesty, Elsa continue d’en voir les effets quand elle est contactée en septembre par le propriétaire d’une voiture mise en location entre particuliers et louée grâce à son permis de conduire. La voiture n’a pas été rendue et le kilométrage contractuel a explosé. À la clé, une ardoise de plus de 800 euros qu’il finira par lui rembourser. Si son préjudice financier est limité, le préjudice moral est bien présent, explique-t-elle.
Pour Me Caroline Simon-Provo, l’avocate de Lesty, cette affaire va sur le terrain de la morale : « Les infidélités, on ne va pas les contester, nous ne sommes pas là pour faire de la morale. Il comprend que des femmes ont pu être blessées par son comportement et il s’en excuse. Mais le fait d’être blessées n’en fait pas des victimes d’infractions pénales. »
Et d’ajouter : « On conteste les allégations d’escroquerie avec la plus grande vigueur. On ne dit pas qu’il n’y a pas eu d’échanges monétaires même très petits, mais quand vous êtes dans une relation avec quelqu’un, il peut y avoir des échanges financiers, ça arrive, tant qu’on n’est pas sur des dizaines de milliers d’euros. Ces petits montants ont pour certains été remboursés avant même qu’il y ait des plaintes. »
L’enquête ne fait que débuter et, du côté d’Instagram, les témoignages continuent à arriver.
Le Parisien