Atlantico : Quelles sont les réalités de l'ingérence étrangère dans l'islam de France ?
Hassen Chalghoumi : Il est clair que la majorité des lieux de prière en France sont gérés par des ambassades. La Grande Mosquée de Paris est gérée par l’Algérie, le RMF (rassemblement des musulmans de France) est géré par le Maroc et plusieurs mosquées sont directement dépendantes de la Turquie, de l’Egypte et du Qatar. Nous réalisons très bien qu’il y a une grande ingérence.
Haoues Seniguer : L'inquiétude de Hassan Chalghoumi peut se comprendre dans la mesure où il a lui-même, par le passé, fréquenté des madrasas (écoles religieuses traditionnelles où l'on mémorise notamment le Coran) en Syrie, en Inde, au Pakistan, etc. à tel point qu'il a même été favorable, au moins un temps, au voile intégral. Ses prises de position récentes peuvent donc s'éclairer à la lumière de cette expérience peut-être traumatisante de ses premières années.
Maintenant, il faut être précis sur la nature des dites ingérences, réelles ou supposées. Elle peut être de deux types : d'abord, au niveau théorique, du fait de la mondialisation il est vrai que les idéologies circulent facilement, se diffusent très largement d'un espace à un autre, avec, dans le paysage islamique français, la prééminence indubitable de l'idéologie des Frères musulmans qui s'est très bien implantée toutes ces dernières années dans l'hexagone. Ensuite, au niveau des financements, on sait que des pays octroient, ponctuellement ou régulièrement, de l'argent à des fidèles musulmans, par ailleurs concitoyens, comme le Maroc, qui, par exemple, a financé la grande mosquée de Saint-Étienne baptisée même mosquée Mohammed VI du nom du souverain alaouite actuel. Il y a aussi des mécènes du Golfe qui font des dons réguliers, plutôt discrètement depuis le 11 septembre 2001, afin d'éviter une levée de boucliers de la part des pouvoirs publics de notre pays et de l'opinion française, qui pourraient les suspecter de favoriser le "terrorisme".
Ali Adraoui : Hassan Chalghoumi n’est pas le premier à s’inquiéter, cette question de l’ingérence se posant de manière récurrente aux musulmans français et européens. Il faut néanmoins différencier deux phénomènes :
Si l’on parle du paysage « représentatif » de l’Islam hexagonal il y a effectivement certains acteurs qui sont liés à des états du monde arabe, comme par exemple le RMS (Rassemblement des Musulmans de France) qui est clairement lié à la monarchie marocaine ou encore la Fédération de la Grande Mosquée de Paris qui se rattache à l’état algérien.
Si l’on évoque la communauté musulmane dans son ensemble, il est important de rappeler qu’il n’y a pas d’allégeance organisée capable d’avoir un impact net sur les pratiquants. Le tissu social musulman, depuis plusieurs années, réclame davantage l’instauration d’une citoyenneté qui lui permettrait d’échapper aux mécanismes de stigmatisation.
Quels sont les principaux acteurs de cette ingérence ? D'où viennent-ils et quelle est leur organisation ?
Hassen Chalghoumi : Les Frères Musulmans ont une influence notable qui est d’ailleurs connue de tous, même de l’Etat. Il y a une centaine d’imams qui viennent d’Algérie avec un contrat de quatre ans, de même pour les imams Marocains et Turcs.
Haoues Seniguer : Outre les pays que je viens de mentionner, je montre très largement dans un article paru hier dans la revue scientifique Confluences méditerranée, que les pays tels que le Qatar, s'invitent de plus en plus dans l'islam, en dehors de leurs propres frontières. D'ailleurs, le Qatar pourrait faire une percée au niveau de l'islam européen en général, et français en particulier, dans les prochaines années, en raison de la proximité de plus en plus grande entre nos deux pays, et de l'implantation de l'idéologie des Frères musulmans en Europe, laquelle est particulièrement prisée par la seconde épouse de l'Émir Hamad Ben Khalifa Al-Thani, la cheikha Moza bint Nasser Al-Misnad. Ne perdons pas de vue également que cette dernière est proche de Yûsuf Al-Qaradhâwî, théologien islamiste de notoriété mondiale. À ce propos, il n'est pas inutile de rappeler que Tariq Ramadan, qui jouit d'un grand prestige auprès du public musulman francophone, et qui est souvent invité en France par différentes associations ou organisations musulmanes, a inauguré, en mars 2012, à Doha, le CILE (Centre de Recherche sur la Législation Islamique) dont il est depuis lors le directeur. Ce centre est justement financé et est largement soutenu par la seconde épouse de l'Émir du Qatar
Ali Adraoui : Plusieurs Etats, dont ceux que j’ai déjà cités, utilisent le prisme religieux comme un outil d’influence sur les populations immigrés d’origine musulmane, notamment à travers la création d’associations. Sur un plan historique, ces structures ont remplacé les amicales (franco-marocaine, franco-algériennes) fondées dans les années 1960 ainsi que les réseaux traditionnels formés par les consulats des pays arabes. Cela passait par exemple par l’organisation de vacances ou par des cours d’Arabe destinés aux jeunes originaires des pays concernés. Depuis les années 2000 ce schéma a évolué, notamment avec la création du Conseil Français du Culte Musulman, vers une dimension plus religieuse comme on le voit aujourd’hui. La création de cet « Islam consulaire » vise à maintenir les groupes d’immigration issus de l’Algérie, du Maroc ou encore de la Turquie dans une logique nationale, voire nationaliste. Il faudrait préciser que malgré cette logique d’influence, ces réseaux font toutefois attention à ne jamais entrer en conflit avec l’Etat Français.
Quelle peut être la réaction de l'islam de France face à ce phénomène ?
Hassen Chalgoumi : L’islam de France a eu besoin de ces imams pendant une période certes, on leur dit merci, mais à partir de maintenant il faut dire « stop ». Nous avons besoin d’un coup de pouce du gouvernement pour former les imams. On peut le faire dans des universités où ne s’applique pas la loi de 1905 comme en Alsace-Lorraine. Si l’Etat n’accepte pas de prendre part aux débats religieux, il doit être cohérent et ne pas laisser d’autres Etats imposer leur loi sur notre territoire. Ce serait de l’hypocrisie.En savoir plus sur
http://www.atlantico.fr/decryptage/isla ... FUF6wKL.99