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Le CIO peut se féliciter d'avoir reçu une lettre de remerciement de la part de l'Autorité palestinienne pour avoir refusé une minute de silence à la mémoire des onze athlètes israéliens assassinés aux Jeux de Munich en 1972. La lettre de Jibril Rajoub, président du Comité olympique palestinien, précise que le sport constitue un pont "pour l'amour, les échanges et la paix entre les peuples", et ne doit pas servir de vecteur au "racisme."
On peut regretter -- vivement -- que l'Autorité palestinienne, par la voix de Rajoub, ne se désolidarise pas haut et fort du massacre de Munich. Aucune condamnation de Septembre noir, proche du Fatah, aucun regret -- voire une tentative perverse de rendre les victimes responsables de leur sort. A moins que Rajoub n'entende condamner pour "racisme" l'action meurtrière de Septembre noir.
"Il ne faut pas introduire la politique à l'intérieur des Jeux Olympiques", répète Rogge, inscrivant ses pas dans ceux d'Avery Brundage, le président du CIO à l'époque du massacre de Munich. Le jour du massacre, Brundage s'est contenté d'un bref discours général sur les valeurs du sport. Et le reste du programme se déroula comme prévu sur le Stade olympique de Munich. Place aux jeux, dit en gros Brundage, refusant catégoriquement une "politisation" des JO.
En quoi une minute de silence aurait-elle politisé la rencontre sportive ? Les terroristes réclamaient la libération de prisonniers palestiniens de même que celle de Baader et Meinhoff, les dirigeants de la Fraction armée rouge. Etait-ce une revendication politique ou l'action d'une bande d'aliénés ?
Une minute de silence n'aurait pas beaucoup troublé l'"amour, les échanges et la paix entre les peuples" chers au coeur de Jibril Rajoub. Cet homme sensible, membre du Comité central du Fatah, ancien conseiller d'Arafat pour la sécurité (et accusé de torture) est aujourd'hui président de la Fédération palestinienne de Football et du Comité olympique. C'est à ce titre qu'il avait reçu à Ramallah la visite de Jacques Rogge en octobre 2010, lequel promettait d'intervenir en Israël pour faciliter les déplacements de sportifs gazaouis. Des photos témoignent de la bonne entente des deux hommes, avec les couleurs de la Palestine autour du cou." Le monde du sport se mobilise pour les athlètes palestiniens", titrait Le Monde du 8 octobre 2010. Ce n'était pas politique, bien sûr.
Rien ne se fait par hasard. Quand le président du CIO refuse une minute de silence à la mémoire d'athlètes assassinés dans le cadre des Jeux olympiques, événement unique dans l'histoire des JO, on est en droit que s'interroger, et surtout quand il reçoit des remerciements de l'Autorité palestinienne. Après tout, le président Samaranch avait évoqué la guerre de Bosnie à l'inauguration des Jeux de 1996 et une minute de silence avait été observée en 2002 après les attentats du 11 septembre. Mais en quarante ans, jamais les noms des onze athlètes israéliens assassinés aux JO de Munich n'ont été prononcés dans l'enceinte olympique.
En 1936, Avery Brundage, alors directeur du Comité olympique américain, s'était opposé au boycott des JO de Berlin, même si les Juifs et les Noirs devaient être éliminés des équipes (il y eut quelques exceptions, dont Jesse Owens). Pour Brundage, il ne fallait en aucun cas mélanger sport et politique -- il croyait même en l'existence d'un "complot judéo-communiste" contre la participation des Etats-Unis à ces Jeux.
Pas de politique ? Pourtant, les Jeux olympiques de Berlin devaient offrir au monde la preuve de la supériorité de la race "aryenne". "Le sport allemand n'a qu'une mission : renforcer le caractère du peuple allemand," tonnait Joseph Goebbels, ministre de la propagande. Apparemment, quand Hitler et Goebbels, dans les tribunes, félicitaient les athlètes, Brundage et ses amis regardaient ailleurs.
C'est Avery Brundage qui mit le pied à l'étrier à Juan Antonio Samaranch, aux commandes du CIO de 1980 à 2001 (Lord Killanin assura juste l'intérim). "Je suis franquiste à cent pour cent", revendiquait cet ancien phalangiste, ministre de Franco qui procéda à "la révolution Samaranch". Avec lui, la logique de marché s'est emparée du CIO. Fini le sport amateur, place au professionnalisme. Droits télévisuels, sponsoring, merchandising, désormais les JO sont un spectacle et un business. La charte olympique de Coubertin interdisant cette évolution, Samaranch la fit modifier. Tout comme Rogge vient de faire modifier les textes pour permettre à la judokate saoudienne de garder la tête couverte. Une belle victoire pour les islamistes, une grande défaite pour les femmes. Et aucune gloire pour le CIO.
"Pour la gloire du sport et l'honneur de nos équipes," proclame le serment olympique rédigé par le baron Pierre de Coubertin, fondateur des Jeux Olympiques modernes. Misogyne, colonialiste, raciste, le cher baron était un produit de son temps. Cet aristocrate élitiste ne faisait guère mystère de son "admiration" pour le Führer. Si bon nombre de ses successeurs à la tête du CIO ne brillent pas par leurs qualités humanistes et leur courage désintéressé, c'est peut-être un héritage, une vocation, une fatalité. Et finalement, les "valeurs olympiques", ce n'est peut-être que pour la galerie.
Bref, "faites ce que je dis, ne dites pas ce que je fais" est un grand classique dans toutes les langues. "Le combat sportif éveille ce qu'il y a de meilleur en l'homme. Il ne divise pas [...]. Il aide à lier les pays dans un esprit de paix, " clama Hitler à ces fameux Jeux de Berlin. Quand Rajoub écrit à Rogge que le sport doit favoriser "l'amour, les échanges et la paix entre les peuples", il ne dit pas autre chose. Pas de politique, pas de morale. Et un honneur en berne.