On paye juste une politique, celle du train à grande vitesse et de ne pas avoir entretenu les lignes régulières.
Cet accident pose d'autant plus question qu'il intervient à un moment-clé de l'histoire du système ferroviaire français. Le gouvernement a lancé fin avril une réforme du système afin de réunir, après quinze ans de vie séparée, Réseau ferré de France (RFF, en charge de l'infrastructure) et la SNCF, l'opérateur des trains. Leur rapprochement doit faciliter notamment la coopération sur la maintenance et le développement du réseau, qui sont actuellement du ressort de RFF, mais dont les travaux sont réalisés par les salariés de SNCF Infra.
Au-delà de cette réforme organisationnelle, le gouvernement a acté, pas plus tard que le 9 juillet, un changement de cap et de philosophie du transport ferroviaire en France. Après plusieurs années de demandes répétées des associations de voyageurs et de longs débats entre responsables des différents acteurs du système, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a confirmé l'arrêt du développement à tout va du réseau à grande vitesse afin de concentrer les investissements à venir sur la modernisation des lignes existantes. Celles notamment qu'empruntent les trains intercités.
VIEILLISSEMENT ACCÉLÉRÉ
Car ces dernières sont en voie accélérée de vieillissement. "10 % à 20 % des lignes nationales ont dépassé leur durée de vie économiquement raisonnable", relevait un audit sur l'état du réseau ferroviaire français, rédigé par l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), dévoilé en octobre 2012.
Et ce, malgré le doublement depuis 2005 de l'investissement dans l'infrastructure. Entre 2005 et 2012, "les investissements ont doublé, confiait au Monde Yves Putallaz, l'un des auteurs du rapport. Les gros soucis sont en passe d'être maîtrisés." Entre 2004 et 2010, le budget rénovation des voies est passé de 800 millions d'euros par an à 1,5 milliard, permettant de rénover 1 000 kilomètres de voies, contre 500 kilomètres auparavant. Depuis 2011, RFF dispose de plus de 2 milliards d'euros pour mener ses travaux.
Dès lors, le réseau a ralenti son vieillissement. Selon RFF, l'âge moyen des lignes principales est passé de 15 ans, en 1990, à 20, en 2005. A la mi-2020, il devrait revenir à 18 ans si les dépenses se maintiennent.
Les lignes nationales restent les plus mal en point, car la réalisation des chantiers de renouvellement sur ces voies est difficile à organiser. Avec la hausse du trafic passager, il est difficile d'immobiliser longtemps les voies pour des travaux sur de longues plages horaires. Dans le cas de Brétigny-sur-Orges, la difficultés de mener des travaux est encore plus importante car les voies en Ile-de-France sont aujourd'hui quasiment saturées. Si la maintenance est organisée normalement, les travaux nécessitent un arrêt important des voies, souvent l'été, et une logistique très complexe, ce qui renchérit le coût.
La ligne Paris-Limoges, qui nécessite d'importants ralentissements sur certaines sections de ligne jugées trop dégradées, ne faisait pas partie, contrairement à ce qu'affirmaient certains commentaires, de la liste des douze lignes "malades" ou "sensibles" donnée début 2011 par Guillaume Pepy, le président de la SNCF (voir la liste), et qui a été l'objet d'une attention importante depuis deux ans.
FINANCEMENT COMPLEXE
Outre la question de l'état du réseau, Jean-Marc Ayrault a annoncé le 9 juillet un plan spécifique pour les trains intercités. Une enveloppe de 500 millions d'euros doit permettre de renouveler sur les années 2015-2025 l'ensemble de la flotte d'intercités. Souvent vétustes, ces trains ont fait l'objet de rénovations répétées depuis 2005, mais qui restaient très cosmétiques.
Début 2013, Guillaume Pepy a même proposé devant le Parlement de rénover de fond en comble les TGV première génération pour les transférer progressivement sur les lignes intercités... La conception même des TGV, qui sont des trains articulés et non composés de wagons séparés, les empêche de se démantibuler en cas de déraillement, comme on a pu le voir lors de l'accident de Brétigny.
Mais pour comprendre la problématique spécifique des Intercités, dont fait partie le Paris-Limoges, il faut revenir quelques années en arrière. Du fait des règles de concurrence au niveau européen, la SNCF ne peut financer avec ses bénéfices engrangés dans son activité TGV ses activités déficitaires dans les trains interrégionaux.
La compagnie publique a plusieurs fois tenté de relancer ces lignes, sans grand succès. En 2003, en lançant Teoz. En 2006, en lançant les Intercités, justement, et les Lunea pour la nuit. En 2010, ces trains "d'équilibre du territoire" ont fait l'objet d'une convention de financement avec l'Etat. C'est désormais sous ce régime que les trains sont financés. D'où le financement par l'Etat, et non la SNCF, des nouvelles rames à venir.
Philippe Jacqué