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A la suite des débordements qui ont émaillé la manifestation et entraîné le recours de la police aux gaz lacrymogènes, le ministre de l'intérieur, Manuel Valls, a estimé dimanche 24 mars que la "Manif pour tous" contre le mariage des homosexuels avait "incontestablement" échappé à ses organisateurs. "Ils ont été débordés par des groupes extrémistes", a-t-il déclaré, saluant "le sang froid" de la police.
Des heurts ont éclaté près de la Place de l'Etoile, où plusieurs centaines de manifestants ont tenté de forcer les barrages de police pour défiler sur les Champs-Elysées, ce qui avait été refusé par la préfecture de police. Les organisateurs ont lancé des appels réguliers au calme, via haut-parleur. Les écrans géants qui jalonnaient le parcours relayaient également ce message : "N'essayez pas de déborder, c'est inutile, périlleux et illégal".
Malgré cela, trois cent personnes étaient encore présentes sur les Champs-Elysées vers 20 h 30. Elles étaient "essentiellement du GUD et de l'extrême droite", a affirmé à l'AFP le ministre de l'intérieur, Manuel Valls. Les manifestants, dont certains s'étaient agenouillés devant les policiers en criant "Démocratie !" ou chantaient La Marseillaise dans un air rendu irrespirable par les gaz, ont été pris en tenaille par des gendarmes mobiles et des CRS. Les forces de l'ordre les ont poussés sans ménagement, usant parfois de leurs matraques, dans une grande cohue, selon plusieurs journalistes de l'AFP sur place. Peu après 21 heures, l'avenue était totalement évacuée, les derniers récalcitrants ayant été raccompagnés jusqu'au métro par les forces de l'ordre.
Juste avant, Béatrice Bourges, porte-parole du Collectif pour l'enfant qui fait partie des organisateurs de la manifestation, les avait appelés à quitter les lieux dans le calme. "On va se disperser pour mieux se retrouver. La résistance est en marche !", a-t-elle lancé. "On veut du boulot, pas du mariage homo !", l'un des slogans phare de la manifestation, en côtoyait d'autres évoquant l'extrême droite comme "France, jeunesse, révolution !". Le GUD (Groupe union défense, organisation étudiante d'extrême-droite) a revendiqué sur Twitter sa place en première ligne de ces troubles.
L'UMP DEMANDE DES COMPTES À FRANÇOIS HOLLANDE
Le président de l'UMP, Jean-François Copé, présent dans le cortège, a demandé "des comptes à François Hollande" après avoir "croisé" des familles victimes de gaz lacrymogènes tirés par les forces de l'ordre. Des gaz ont été effectivement tirés par des gendarmes mobiles à plusieurs reprises pour "maintenir les manifestants".
La présidente du Parti chrétien démocrate, Christine Boutin, victime d'un malaise après avoir été aspergée de gaz lacrymogènes, a demandé dimanche soir la démission du préfet de police de Paris et du ministre de l'intérieur, Manuel Valls. "Un jeune de 14 ans a été mis KO par des gaz lacrymogènes", a-t-elle assuré, en ajoutant avoir elle-même été "ciblée" par les forces de l'ordre.
"C'est inacceptable d'envoyer des gaz contre des enfants. Est-ce qu'il est normal qu'on ait des forces de l'ordre dans la République qui tirent sur des familles et des enfants ?" s'est indigné l'ancien ministre UMP Laurent Wauquiez. "C'est juste le reflet de la violence avec laquelle le gouvernement traite ce mouvement. C'est inacceptable. Il faut que la préfecture de police soit sanctionnée", a-t-il ajouté.
Henri Guaino, ancien conseiller spécial de l'ex-président Nicolas Sarkozy, a pour sa part qualifié de "honte" le fait que les autorités n'aient pas autorisé les opposants au "mariage pour tous" à manifester sur les Champs-Elysées.
La préfecture de Paris s'est justifiée en début de soirée, expliquant par la voix du directeur de cabinet du préfet de police, Laurent Nunez, que les forces de l'ordre "ont été contraintes de faire usage ponctuellement de gaz aérosols compte tenu du comportement très agressifs de certains manifestants". Intervenant dimanche soir dans l'émission de France 5, "C Politique", le chef du Parti socialiste Harlem Désir a évoqué "des groupes extrêmistes" qui ont "appelé à provoquer et à chercher des affrontements".
NOUVELLE QUERELLE SUR LE DÉCOMPTE DES MANIFESTANTS
Jouant leur dernière carte avant l'adoption définitive du projet de loi, plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées dimanche 24 mars à Paris pour protester contre le mariage gay, l'adoption par des homosexuels et la gestation pour autrui. La mise en place du parcours s'est avérée plus que chaotique et n'a été communiqué que tard jeudi soir. Les manifestants étaient appelés à se rassembler à partir de 14 h sur "un axe unique et symbolique", de l'Arche de la Défense à l'Arc de Triomphe, distants de 5 kilomètres. L'avenue de la Grande Armée, qui prolonge les Champs-Elysées au-delà de l'Arc de Triomphe en direction de Neuilly, a été saturée et les manifestants ont débordé sur l'avenue Foch, puis sur la place de l'Etoile. Des écrans géants jalonnaient le parcours et des banderoles avaient été accrochées aux balcons : "Touche pas à ma filiation", "On veut du boulot pas du mariage homo" ou encore "non au gaystrémisme".
Lire le décryptage : Manif pour tous : après le succès, la réalité des chiffres
LE FN MANIFESTE
Alors que la manifestation se voulait apolitique, le parti d'extrême-droite Front national avait invité ses militants à rejoindre une délégation nationale du parti. Bruno Gollnisch et Gilbert Collard étaient présents dans le cortège. L'UMP avait de son côté encouragé ses sympathisants à saisir l'occasion de cette manifestation pour dire non à l'ensemble de la politique menée par le gouvernement Ayrault. Très optimiste, le député UMP Henri Guaino a estimé à plus d'un million le nombre de participants. "L'histoire retiendra cette journée quand, de plus d'un million de poitrines (...) a jailli un seul cri : 'assez !'", a-t-il lancé à la foule lors d'une intervention à l'estrade.
Sur Twitter, les organisateurs ont évoqué 1,4 million de manifestants. Selon une première estimation de la préfecture de police de Paris, 300 000 participants s'étaient rassemblés. "Les chiffres définitifs seront communiqués en début de semaine prochaine, après visionnage de l'ensemble des films de la manifestation", a déclaré un porte-parole de la préfecture de police de Paris. "Ca devient risible et grotesque, ça ne peut pas durer", a réagi Frigide Barjot, la chef de file de "La manif pour tous", parlant d'une "volonté délibérée de ne pas dire la vérité". Lors de la précédente manifestation des opposants au mariage gay, le 13 janvier, les organisateurs avaient compté un million de personnes contre 340.000 selon la police.
"La manière dont la préfecture comptabilise les manifestants n'est remise en cause par personne", a affirmé pour sa part Manuel Valls, pour couper court à toute polémique.
APPEL AU REJET PAR LE SÉNAT ET À UN RÉFÉRENDUM
Les opposants ont redemandé dimanche soir à François Hollande de retirer le texte pour le soumettre au référendum, tels les député UMP Eric Ciotti ou Patrick Balkany. Selon eux, ce projet, qui ouvre le mariage et l'adoption aux couples de même sexe, "bouleverse totalement la société en niant la parenté et la filiation naturelles" et "les conséquences économiques, sociales et éthiques seront inéluctables".
Hervé Mariton, député UMP de la Drôme, a déclaré croire possible un rejet du texte par le Sénat, qui l'examine à partir du 4 avril.
"La majorité est si fine au Sénat que si les sénateurs de gauche ont le même courage que beaucoup de députés de gauche à l'Assemblée nationale et votent contre le texte, alors le texte échouera au Sénat et ensuite le gouvernement sera fort mal avisé de persévérer sur un texte qui provoque tant de clivages", selon lui. "Les choses peuvent encore changer au Sénat", a renchéri Christian Jacob, patron des députés UMP.
Au cours d'une brève conférence de presse, Frigide Barjot a pour sa part enjoint le président Hollande à s'intéresser davantage à l'économie dégradée du pays plutôt qu'aux familles : "Nous voulons que le président s'occupe d'économie et laisse la famille tranquille", a-t-elle dit. Les organisateurs de la manifestation demandaient, selon elle, à être reçus par la présidence de la République "dès demain" (lundi), et elle a annoncé au passage "une nouvelle manifestation rapidement".