Information
L'hostilité envers les immigrés se répand en Europe
Hors d'Allemagne, personne n'a vraiment prêté attention la semaine dernière à l'annonce par un homme politique allemand de la création d'une nouvelle formation baptisée Parti de la liberté. Dans la capitale allemande, l'initiative de Rene Stadtkewitz, hostile aux immigrés, a, en revanche, provoqué un petit tremblement de terre politique dont les secousses ont été ressenties jusqu'à la chancellerie. "Pour l'instant, nous nous concentrons sur le développement de ce nouveau parti à Berlin, mais si nous avons du succès ici, je ne peux certainement pas exclure d'en faire un mouvement national", a déclaré cet homme de 45 ans, exclu de l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de la chancelière Angela Merkel en raison de ses opinions.
Implanté dans le quartier de Pankow dans l'est de Berlin, Rene Stadtkewitz milite pour l'interdiction du voile, pour la fermeture des mosquées et pour la réduction des aides sociales pour les musulmans. Il est la dernière émanation en date d'un puissant courant anti-immigrés qui, en séduisant les électeurs à travers l'Europe, bouscule la classe politique traditionnelle. À l'image du Front national en France ou de la Ligue du Nord en Italie, l'existence de partis hostiles à l'immigration n'est pas une nouveauté en Europe. Pour les observateurs, certains sont toutefois en train de briser des tabous érigés après la Seconde Guerre mondiale en tentant d'exploiter les peurs liées à l'immigration, qui suscite une hostilité croissante avec la crise économique.
La France en première ligne
"Ce à quoi nous assistons n'est pas une nouveauté mais un approfondissement et une accélération de quelque chose qui était déjà là", remarque Dominique Moisi, de l'Institut français des relations internationales (Ifri). "Ces personnalités politiques jouent avec le feu, car les sentiments sur cette question sont très profonds et ne disparaîtront pas avec la reprise économique", ajoute-t-il. La France s'est placée en première ligne dans ce débat qui agite l'Europe. Outre le lien entre immigration et délinquance établi au cours de l'été par Nicolas Sarkozy, la Commission européenne a qualifié mardi de honte la politique française d'expulsion des Roms.
Avant Rene Stadtkewitz en Allemagne, Geert Wilders s'est imposé en quelques mois comme l'une des acteurs centraux du jeu politique aux Pays-Bas par ses propositions d'interdiction du Coran et d'expulsion des musulmans jugés coupables de crimes. En raison des résultats serrés des élections de juin, les partis de droite tentent de s'appuyer sur Geert Wilders pour former un gouvernement minoritaire. Si ces efforts échouent, de nouvelles élections pourraient encore renforcer le poids de son Parti de la liberté, selon les sondages.
En Italie, pays européen ayant accueilli le plus d'immigrés en 2009, la Ligue du Nord d'Umberto Bossi fait partie de la coalition au pouvoir de Silvio Berlusconi. Elle a ainsi obtenu le vote de lois autorisant l'emprisonnement des immigrés clandestins et la poursuite des personnes leur venant en aide. Pour Heather Grabbe, directrice de l'Open Society Institute à Bruxelles, de plus en plus de dirigeants européens se rendent compte que la stigmatisation de l'immigration permet de tirer parti des peurs des électeurs à l'égard de l'économie, du chômage, de la mondialisation et d'un avenir incertain.
Aversion "de bon sens" contre les musulmans
"Les gens en Europe ont pu s'offrir une vie aisée dans les décennies suivant la Seconde Guerre mondiale, mais ils observent désormais que leur niveau de confort est menacé", souligne Heather Grabbe. "La conséquence est que la tolérance n'est plus perçue comme une valeur européenne à défendre, même dans les pays auparavant fiers d'être ouverts et libéraux."
Le meilleur exemple en est la Suède, où un parti anti-immigration semble pouvoir franchir le seuil des 4 % de voix lors des élections prévues dimanche et entrer ainsi pour la première fois au Parlement. Les démocrates suédois, qualifiés de xénophobes par le Premier ministre Fredrik Reinfeldt, ont troqué leurs tenues de skinheads pour d'élégants costumes avec lesquels ils répandent un discours parfaitement calibré mêlant soutien à Israël, défense des femmes et aversion "de bon sens" envers l'immigration musulmane, selon les termes de leur leader, Jimmie Akesson.
En Allemagne, où le souvenir du régime nazi a longtemps empêché le développement de formations d'extrême droite, l'émergence d'une nouvelle force hostile à l'immigration pourrait bouleverser la donne politique. Avec le développement du Parti de gauche et des Verts, six partis différents siègent désormais au Parlement fédéral, ce qui rend plus difficile la recherche de coalitions stables. "Le danger est là", prévient Manfred Güllner, patron de l'institut de sondage Forsa, en rappelant notamment le fort soutien dans l'opinion publique dont a bénéficié Thilo Sarrazin. Ce dernier a démissionné de la Bundesbank après la publication d'un ouvrage dans lequel il écrit que les musulmans minent la société allemande. "Il y a une perte de confiance dans les partis traditionnels, une sorte de vide qu'une personnalité charismatique comme (Jörg) Haider peut combler", ajoute Manfred Güllner, en allusion à l'ancien dirigeant autrichien d'extrême droite.