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Le destin tragique de Patrick Day, boxeur émérite et étudiant modèle
17/10/2019 à 15h51
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Victime d’un KO samedi dernier à Chicago lors de son combat contre Charles Conwell et dans le coma depuis, Patrick Day est décédé ce mercredi à vingt-sept ans des suites d’une "blessure traumatique au cerveau". Pleuré par le monde du noble art, l’Américain faisait l’unanimité chez tous ceux qui l’ont côtoyé. Portrait long format d’un combattant qui aurait pu faire autre chose de sa vie mais boxait pour l’amour du noble art.
"Je t’aime". Quand Lyssa Day, mère de Patrick, a retrouvé Joe Higgins, son entraîneur et manager, au Northwestern Memorial Hospital de Chicago, les mots de l’amour l’ont emporté sur les reproches. Le coach les attendait, pourtant. Lyssa, traductrice pour les Nations Unies et très religieuse, ne voulait pas voir son fils s’approcher d’un ring lorsqu’il a entamé son parcours dans le noble art à quatorze ans. La violence, même organisée, très peu pour elle. Elle n’est jamais venue le voir boxer et n’a même jamais allumé la télé pour le voir combattre. Mais quand son fils bataillait entre la vie et la mort, dans le coma, Lyssa n’a pas cherché à faire culpabiliser l’entraîneur façon "je vous l’avait bien dit". Elle s’est contentée de ce qui définissait au mieux la relation entre Patrick Day et Joe Higgins: "Je t’aime".
Vieux sac de frappe de l'autre côté de la rue
L’Américain Patrick Day, vingt-sept ans, est décédé ce mercredi des suites des blessures reçues samedi soir à Chicago lors de sa défaite par KO face à son compatriote invaincu Charles Conwell dans un combat de super-welters pour le titre USBA. A terre aux quatrième et huitième rounds, Patrick Day est de nouveau tombé lors de la dixième et dernière reprise sur un crochet gauche de son adversaire. Et sa tête a heurté le sol et rebondi dessus. Il n’a plus bougé, inconscient, avant d’être sorti du ring sur civière. Pris de convulsions et aidé d’un tube respiratoire sur la route, il a été opéré en urgence dès son arrivée à l’hôpital pour des lésions cérébrales. Avant de tomber dans un coma dont il n’est jamais sorti, "succombant d’une blessure traumatique au cerveau" dixit le communiqué publié par DiBella Entertainment, la société de son manager Lou DiBella.
Patrick Day (à droite) lors de son combat contre Charles Conwell en octobre 2019
AFP - Patrick Day (à droite) lors de son combat contre Charles Conwell en octobre 2019
Vive, puissante, l’émotion a emporté tout le milieu du noble art, et au-delà, une fois la nouvelle tombée. Avec ces mots qui reviennent en boucle dans les hommages qui ont plu de partout: terrible, injuste, tellement pas mérité. La mort de Patrick Day (17-4 en carrière pro, dont 6 KO), c’est le destin tragique d’un gamin qui a choisi les rings non pour se trouver un avenir, comme souvent dans ce sport, mais parce qu’il aimait ça. Et à qui la boxe a rendu cet amour de la plus terrible des façons. Dernier des quatre fils d’immigrés haïtiens, avec un papa gynécologue qui boxait dans sa jeunesse, celui qui parlait créole à la maison a découvert le monde pugilistique à l’été 2006, après avoir raté le test d’entrée pour l’équipe de basket de son lycée. Il lui a suffi de traverser la rue, attiré par ce vieux sac de frappe Everlast dans le garage ouvert de l’un de ses voisins, Joe Higgins.
Diplômé en nourriture et nutrition mais aussi en santé et bien-être
"Tu rentres toujours chez les gens sans permission?", lui lance le pompier retraité quand il le surprend en train de taper dans le sac, comme le raconte un superbe article signé Mark Kriegel pour ESPN. Le début d’une belle histoire. L’adolescent revient le lendemain, puis le surlendemain, et ainsi de suite. Au point de voir sa mère venir dire ses quatre vérités à Joe Higgins. "Je vous promets que votre fils apprendra quelque chose", répond le coach. Direction la salle de la Police Athletic League de sa ville de Freeport, à Long Island (New York), codirigée par ce voisin qui va prendre de plus en plus de place dans sa vie. Son mentor raconte des premiers titres moins d’un an après avoir mis les gants. C’est en 2012 qu’il va connaître ses plus beaux succès chez les amateurs: les New York Golden Gloves (avec en prime le trophée Sugar Ray Robinson du meilleur boxeur du tournoi toutes catégories confondues), deux titres nationaux, le normal et la version PAL, et une place de réserviste d’un certain Errol Spence Jr (champion unifié WBC-IBF des welters récemment victime d’un accident de la route) pour le tournoi olympique des welters des Jeux de Londres.
Sa carrière amateur à 75-5 dessine un avenir professionnel entre les cordes. Mais Patrick Day n’est pas homme à mettre tous ses œufs dans le même ring. Parmi les meilleurs élèves de son lycée, le garçon suit des études en parallèle de ses combats et obtient un diplôme court en nourriture et nutrition du Nassau Community College. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à pousser sa passion en passant pro en 2013. Ses dix premiers combats? Neuf victoires entrecoupées d’un nul majoritaire. Premier hic en janvier 2015 avec une défaite sur décision majoritaire face à son compatriote Alantez Fox dans un combat diffusé sur Showtime. Dix mois et demi plus tard, après avoir rebondi avec une victoire entretemps, il est arrêté au premier round par le modeste Portoricain Carlos Garcia Hernandez, qui compte plus de défaites que de victoires.
"Je voulais des certitudes car la boxe n’en a pas"
Il décide alors de reprendre ses études via des cours en ligne de la Kaplan University (aujourd’hui Pursue University Global) pour "avoir quelque chose sur lequel pouvoir se retourner", comme il l’avait expliqué à The Ring, et obtient un nouveau diplôme en santé et bien-être en 2017. "Ce n’est pas que je ne croyais pas en moi mais je me posais des questions, racontait-il plus tôt cette année au célèbre magazine US. Quand est-ce que j’allais avoir un autre combat? Est-ce que ça allait être pour un montant intéressant? Je voulais des certitudes car la boxe n’en a pas." Il ne l’abandonnera pas pour autant, encore plus motivé par le fait de faire oublier ses faux-pas. Son talent ne l’a pas quitté et fait mouche: deux victoires contre des compatriotes, l’invaincu Eric Walker en juillet 2017 (pour le titre WBC Continental Americas) et l’espoir Kyrone Davis en mars 2018, relancent ce fan de Sugar Ray Leonard comme une force sur laquelle compter chez les super-welters.
Patrick Day (à droite) lors de sa victoire sur Elvin Ayala en octobre 2018
AFP - Patrick Day (à droite) lors de sa victoire sur Elvin Ayala en octobre 2018
Après avoir battu un autre espoir invaincu, le Russe Ismail Iliev, sur décision en février dernier, sa sixième victoire de rang (et la dernière de sa trop courte vie), celui qui allait parfois s’entraîner au Japon avec son pote Ryoto Murata tombe du mauvais côté de la décision en juin contre le Dominicain Carlos Adames, alors qu’il est classé dans les tops 10 WBC et IBF de sa catégorie. Un revers qui lui laissera un goût amer et le poussera à passer le test d’un autre jeune talent sans défaite au compteur, Charles Conwell, qui avait participé aux JO 2016 à Rio, pour le dénouement tragique que l’on sait (Conwell a publié une lettre très émouvante au sujet de Day et de son sentiment de culpabilité avant l’annonce de la disparition de ce dernier).
"J'aime combattre. Ce qui est dans votre cœur ne dépend pas de votre statut socio-économique"
Quatrième tragédie de la boxe cette année après le Russe Maxim Dadashev, l’Argentin Hugo Alfredo Santillan et le Bulgare Boris Stanchov, Patrick Day est décédé quatre jours après son dernier combat. Si la boxe les pleure tous, l’histoire de l’Américain est sans doute la plus poignante. Car celle d’un jeune homme qui avait des choix en dehors, des possibilités, mais qui continuait de boxer pour vivre tant il aimait ça. "Je ne suis pas le stéréotype du combattant, reconnaissait-il en juin sur ESPN. Mais j’aime combattre. Ce qui est dans votre cœur ne dépend pas de votre statut socio-économique." "Patrick Day n’avait pas besoin de boxer, confirme le communiqué de DiBella Entertainment. Il venait d’une bonne famille, il était intelligent, éduqué, avait de bonnes valeurs et d’autres avenues possibles à emprunter pour gagner sa vie. Il a choisi de boxer, en connaissant les risques inhérents pris par chaque combattant qui monte dans le ring. La boxe est ce qu’il aimait faire, ce qui lui permettait d’inspirer les gens et ce qui le faisait se sentir vivant."
Et de porter le débat de façon plus générale: "Il devient très difficile d’expliquer ou de justifier les dangers de la boxe dans un moment comme ça. Il n’est pas l’heure de décréter des choses mais c’est le moment de demander de l’action. Nous ne connaissons pas les réponses mais nous avons les questions et les moyens d’y répondre, l’opportunité d’apporter une réponse responsable en rendant la boxe plus sûre pour tous ceux qui y participent. C’est une façon d’honorer la mémoire de Pat Day." "Un gamin génial", dixit son manager pour BoxingScene, à qui "tant de choses étaient promises en dehors des rings". Sourire hollywoodien, personnalité radieuse, humilité chevillée au corps, vous ne trouverez personne pour dire du mal de Patrick Day. Il ne le méritait pas. "C’est le mec le plus gentil au monde, témoignait son coach pour ESPN plus tôt cette année. Si vous êtes assis à côté de lui et qu’il ne parle pas de boxe, vous ne sauriez jamais qu’il met les gants."
Son coach a fait fermer sa salle: "Je ne mettrai plus un gosse en danger d’un punch. Jamais. Ce sport est une sangsue"
Joe Higgins, qui connaît la famille depuis assez longtemps pour se souvenir du moment où ses parents sont rentrés de l’hôpital avec lui après sa naissance, en parlait comme d’un "fils" – "Vous avez entendu ça cent fois dans le sport mais avec lui, c’est réel" – qui l’a "sauvé" il y a treize ans, alors qu’il était persuadé d’être sur la route de la mort après avoir longuement et activement participé aux opérations post-11 septembre sur le site du drame, où il était intervenu et où son frère lui aussi pompier avait perdu la vie. "Ce gosse d’en face te fait te sentir mieux", lui avait dit sa femme. Les reporters boxe qui les ont côtoyé racontent combien Higgins chantait les louanges de son protégé chaque fois qu’il en avait l’occasion. "Il lançait, radieux: 'Avez-vous rencontré Pat Day? Ce gosse est spécial, je vous le dis'", écrit Mark Kriegel.
Patrick Day (à gauche) lors de sa victoire sur Kyrone Davis en mars 2018
AFP - Patrick Day (à gauche) lors de sa victoire sur Kyrone Davis en mars 2018
Très spécial. "Gentil, intelligent, une âme généreuse. Pour ceux qui restent derrière, une lumière s’est éteinte", lance Jill Diamond, superviseuse de combats pour la WBC, sur Twitter. "La gentillesse, la positivité et la générosité d’esprit de Pat ont fait une impression durable sur tous ceux qu’il a rencontrés", résume le communiqué de DiBella Entertainment. Patrick Day aurait pu devenir une star des rings. Il en avait tous les atouts. Il restera seulement une de ses victimes. Qu’on n’oubliera pas. Au lendemain du terrible KO qui l’a envoyé à l’hôpital, son coach a appelé ses associés pour leur demander de fermer leur salle du Freeport PAL et de changer les serrures. "En son honneur, personne ne frappera le dernier sac qu’il a frappé ou le dernier ring dans lequel il a sparré, raconte Joe Higgins à ESPN. Je ne vais même pas les donner. Ça va aller dans un endroit où personne ne pourra plus jamais le trouver. Je ne regarderai plus un seul combat de boxe. Je n’entraînerai plus le moindre gamin. Je ne mettrai plus un gosse en danger d’un punch. Jamais. Ce sport est une sangsue." Qu’on n’entende plus jamais, après tout ça, Deontay Wilder vouloir tuer quelqu’un dans un ring.... Que les médias ne le relaient plus, en tout cas. Il faut se rendre compte de ce qu’il y a vraiment derrière.
"Je ne peux pas mourir sans avoir rien accompli"
On a envie de dire à Joe Higgins que personne n’est responsable. Ou que tout le monde est responsable, c’est selon. On sait juste une chose: on a envie de chialer à écrire ces lignes. Ou à écouter les mots, glaçants avec le recul, de Patrick Day il y a quelques mois: "J’ai besoin d’être grand dans quelque chose. Je ne peux pas mourir sans avoir rien accompli. Je suis dans mes meilleures années et je dois travailler dur. Mon père dit que ce sont les années où je dois dormir le moins et travailler le plus pour me reposer en profiter des fruits de mon labeur plus tard." Ou encore à lire ce message qu’il avait posté sur Facebook avant de partir pour Chicago: "Tout le monde sur cette planète n’est pas une bonne personne. Certains préfèrent s’écarter de leur chemin pour répandre de la négativité. Ils font ça car ils se sentent mal avec eux-mêmes et sont pourris de l’intérieur. Mais je suis juste heureux qu’il y ait plus de gens positifs qui répandent de l’amour et de la bonne énergie." Le monde de la boxe en a perdu un. Le monde tout court.
Alexandre HERBINET (@LexaB)