Par Damien Dole — 24 septembre 2017 à 18:23
Depuis vendredi, le président américain et les athlètes de son pays se déchaînent par médias interposés. Une polémique à l'ampleur sans précédent outre-Atlantique.
Trump et les sportifs s'affrontent sur le terrain politique
Depuis quelques semaines, en plus de menacer de faire péter la Terre à l’aide de son meilleur ennemi, Kim Jong-un, le président américain explose la planète sport dans son pays. On sait le sport américain, depuis plusieurs années au moins, engagé politiquement. Colin Kaepernick à genou pendant l’hymne américain contre les violences policières envers les Noirs, la NBA qui prive de All Star Game un Etat pour ses lois anti-transgenres, les vestiaires divisés entre Blancs et Noirs pour la dernière élection présidentielle, des coachs engagés publiquement, des joueurs de NBA qui disent régulièrement tout le mal qu’ils pensent de Donald Trump…
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Le point culminant de la brouille entre Trump et les sportifs de son pays se déroule autour d’un carton d’invitation. Celui automatiquement lancé par le président américain aux Golden State Warriors, champions de NBA en titre et donc invités à la Maison Blanche pour un discours présidentiel. Avec Barack Obama, fan de basket et des Bulls (une gageure respectable aujourd’hui au vu de l’état de délabrement dans lequel se trouve l’équipe de Chicago), et surtout moins clivant que l’actuel homme fort de Washington, c’était facile et bon enfant. Rencontrer Trump, après ses nombreuses saillies, c’est plus compliqué, en termes d’image ou tout simplement d’envie.
«Dissension et haine»
En août, Kevin Durant, ailier des Golden State Warriors, avait déjà expliqué ne pas compter se rendre à la Maison Blanche, à l’instar de l’équipe de basket universitaire de North Carolina. Durant avait notamment justifié son acte par ce qui s’était passé à Charlottesville. Dans une interview donnée à ESPN vendredi, son coéquipier Stephen Curry a confirmé ce que chacun savait depuis l’élection de Trump l’an dernier : s’afficher avec ce président américain et lui donner une tribune permettant de faire oublier le temps d’une cérémonie ses outrances allait être compliqué pour une équipe NBA. «C’est sûr, on ne va pas précipiter une décision dont il faut mesurer la signification», a-t-il confié.
Vexé, Trump a préféré annuler avant que Stephen Curry et les Warriors ne confirment officiellement leur décision de ne pas y aller : «Aller à la Maison Blanche est considéré comme un grand honneur pour une équipe du championnat. Stephen Curry hésite, donc l’invitation est retirée.» «Je ne sais pas pourquoi Trump se sent obligé de s’en prendre à certaines personnes plutôt qu’à d’autres, a réagi Curry. Ce n’est pas comme ça que les leaders agissent.» Steve Kerr, son coach, a carrément dit «vivre le moment de discorde le plus important depuis la guerre du Vietnam». Les Warriors ont dans la foulée pris acte de la décision de Trump et expliqué vouloir venir dans la ville de Washington DC pour «célébrer l’égalité, la diversité et l’intégration».
Rival de Curry sur les parquets, LeBron James a défendu le meneur de jeu. D’abord dans un tweet, où le «King» a adressé ses griefs à Trump, traité au passage de «clodo» (bum, en VO) : «Aller à la Maison Blanche était un honneur avant que tu y sois.» Puis dans une vidéo où, l’air grave, il dit avoir à s’exprimer dans cet «instant très critique», appelant les Américains à «rester unis de manière encore plus forte». Même Kobe Bryant, pourtant peu loquace quand il s’agit de politique, s’est fendu d’un tweet expliquant que les mots de Trump, qui «créent de la dissension et de la haine, ne peuvent pas "rendre les Etats-Unis de nouveau grands"», reprenant ainsi le slogan «Make America Great Again» de Trump.
«Que se passe-t-il dans notre pays ?»
Dans le football américain, l’affaire est explosive. Elle tourne là autour du geste viral de Colin Kaepernick. Ecouter l’hymne le genou ployé est devenu dans ce sport l’équivalent moderne du poing levé de Tommie Smith et John Carlos, lors des JO de 1968. Et le président Trump n’accepte pas ce geste politique et symbolique. Vendredi, dans un meeting dans l’Alabama, il a grossièrement appelé les présidents de franchises NFL à agir contre un de leurs joueurs qui se mettrait à genoux pendant l’hymne : «N’aimeriez-vous pas voir un de ces propriétaires de la NFL, face à quelqu’un manquant de respect à notre drapeau, dire "foutez ce fils de pute en dehors du terrain, il est viré. Il est viré ! […]".» Bien lancé, Trump a poursuivi en appelant les fans du sport le plus populaire aux Etats-Unis à «quitter le stade» s’ils voyaient des joueurs réalisant cet acte : «Je vous le garantis, ce genre de choses s’arrêtera.»
Même si la mère de Colin Kaepernick, Teresa, a pris les choses avec humour – «J’imagine que cela fait de moi une pute fière» –, les insultes ne passent pas outre-Atlantique. «On ne peut traiter de fils de p… les joueurs qui expriment leur voix et un appel à la liberté, je n’y comprends rien !! Que se passe-t-il dans notre pays ?» s’est interrogé DeSean Jackson, le wide receiver des Tampa Bay Buccaneers.
Les franchises ont également réagi. «Les propos comme ceux que nous avons entendus [vendredi] de la part de notre président sont inappropriés, offensants et provoquent la division, ont écrit les propriétaires des New York Giants, John Mara et Steve Tisch. Nous sommes fiers de nos joueurs, la grande majorité d’entre eux utilisent la tribune que leur offre la NFL pour améliorer les choses dans notre société.» San Francisco 49ers (ex-franchise de Kaepernick), Atlanta Falcons, Green Bay Packers, Tennessee Titans, Miami Dolphins… Les messages de condamnation envers Trump ou de soutien à leurs joueurs ont fusé de toutes franchises depuis deux jours. Jusqu'à dimanche soir, où les Pittsburgh Steelers sont restés dans leur vestiaire pendant l'hymne américain.
Du coup, le président de la NFL, Roger Goodell, s’est lui aussi fendu d’un texte : «Les propos qui divisent, comme ceux [du président Trump], démontrent un terrible manque de respect envers la NFL, notre grand sport et tous nos joueurs.» Trump n’a évidemment pas tardé à répondre, sur Twitter : «Roger Goodell a publié un communiqué pour justifier le manque de respect total que certains joueurs montrent envers notre pays. Dites-leur de se mettre debout !»
«Fuck this guy»
Signe de la gravité des propos de Donald Trump, les protestations ont déferlé sur les autres sports américains, moins prompts à se mobiliser habituellement. D’abord en hockey sur glace, où Blake Wheeler (le capitaine américain des Winnipeg Jets, une franchise canadienne) a dit préférer la liberté d’expression de ceux qui mettent le genou à terre aux «pensées» de Trump : «C’est le premier amendement de notre constitution. Le premier !!» En base-ball aussi l’affaire fait tache d’huile. Star dans ce sport, le lanceur des New York Giants CC Sabathia a été clair samedi : «Je ne me reconnais en rien dans ce que pense Donald Trump. Il n’y aurait donc aucune raison que j’aille à la Maison Blanche» en cas de titre de champion.
De l’autre côté des Etats-Unis, le rookie des Oakland Athletics Bruce Maxwell, 26 ans, a quant à lui mis le genou à terre lors du match de MLB contre les Texas Rangers samedi. «Ma décision a été prise depuis longtemps», a expliqué celui dont les parents ont été militaires, précisant ensuite ne pas vouloir laisser les joueurs de NFL seuls dans leur combat. Remonté, il avait plus tôt dans la journée appeler à «fuck this guy» sur Instagram, fustigeant Trump et ses provocations.
Entre les Oakland Athletics, les Golden State Warriors et les San Francisco 9ers, la baie de San Francisco confirme être l’épicentre d’une fronde sportive qui s’abat de toutes parts contre Donald Trump.
Damien Dole