Gamin, le dimanche matin, je me faisais l’effet d’un cancre sur le terrain. L’après-midi, une fois installé dans la tribune de Marcel-Deflandre, tout m’apparaissait limpide. Villepreux, Guy Camberabero, Trillo, Cantoni, Aguirre, Astre, Gourdon, Gallion : j’ai eu le privilège, à La Rochelle, d’admirer de visu un certain nombre de grands joueurs. Mais personne comme Jo Maso. A l’instar de Giteau, Maso était protée, capable d’évoluer derrière à tous les postes, y compris ailier. Ce jour d’octobre 1973 – j’avais tout juste quatorze ans – face au Stade Rochelais, dans le soleil finissant, je me souviens des ballons qu’il toucha et surtout comme il fit jouer autour de lui. Sans jamais donner l’impression de forcer ; si ce n’est la défense.
Vendredi soir, à Oyonnax, j’ai retrouvé cette grâce quand Matt Giteau est apparu. Une passe au pied : essai ; un renversement, une passe retenue puis tendue : essai ! Au bout, la victoire de Toulon. Oyonnax pouvait lutter, suer, s’arc-bouter, rien n’y faisait : Giteau en passant imposait son talent, sa marque, son sceau. Ce n’était pas seulement efficace, c’était beau. Parce que tout était juste, précis, presque parfait dans le dépouillement. Dans le bon tempo.
Pas besoin de casser les défenses, de les percuter. Giteau pèse comme pèse un kilo de plumes, mais les plumes, c’est quand même plus léger que le plomb. Il pèse dans le jeu et c’est sans aucun doute ce qui fait plier un adversaire plus sûrement qu’une obscure série de «pick and go». Giteau joue à ballon vole et par un agréable retour des choses redonne au rugby une légèreté dans son propos.
Entre Maso et Giteau, se situe Didier Codorniou. Petit gabarit, doigts de pianiste, appuis de danseur étoile, vista, regard précédant la passe, maîtrise du moindre intervalle, création d’espace. Codorniou était fort pour les autres. Personne n’a oublié sa merveille de passe pour Denis Charvet, lors de la finale 1989 entre Toulouse et Toulon. Le grand public n’a eu d’yeux que pour la traversée de Charvet, soixante-dix mètres de chevauchée solitaire ; les connaisseurs ont apprécié le coup de patte de Codor.
Lundi soir, la LNR organisait la Nuit du Rugby au Palais Brongniart. A la bourse des joueurs, Toulon, leader du CAC 14, s’est taillé la meilleure part : Steffon Armitage, Jonny Wilkinson et Matt Giteau étaient nommés, catégorie meilleur joueur. Il s’agissait de récompenser les héros de la saison passée. Jonny hérita du Trophée d’Honneur. Mais le meilleur donneur de ballons, le meilleur passeur, est à mes yeux, vous l’avez compris, Matt l’Aussie.
Giteau, davantage qu’un passeur, est un transmetteur. Il fait passer. Quoi donc ? Un courant, un message, et souvent un frisson dans les travées. Il transmet ce qu’Antoine Blondin appelait le «mot de passe», ce code qui vient à bout de la défense en reliant les partenaires. Détaché de toutes contingences, regardez comme il délie le jeu en délivrant son ballon. Tout s’ouvre quand il est titularisé à l’ouverture. Avec lui, le rugby redevient ce qu’on aime, à savoir un jeu.
Comme Maso et Codorniou, Giteau raconte qu’il est possible d’exister sur un terrain sans peser cent kilos, que le rugby d’aujourd’hui est aussi ludique que le rugby d’hier, qu’il n’est pas besoin d’entrer en collision plein fer, que les statistiques ne sont rien sans un brin de folie. A la façon de Paul Fort, il nous rappelle que le bonheur est dans le pré et qu’il faut vite y courir.
J’aimerais bien savoir qui fut, ami(e)s de ce Côté Ouvert, votre bon génie ? Celui des joueurs de votre enfance qui vous a donné envie de jouer au rugby ? Moi, c’était Jo Maso et son col relevé, ses passes dosées, sa course fluide, regard droit, détaché. Aujourd’hui, j’imagine que pour un gamin à qui on a demandé de porter un casque pour absorber les fracas, Matt Giteau est une source d’inspiration.
Ce joueur est un poème. Qui n’a pas imaginé tracer une action par le trait d’une passe de toutes les couleurs ? Regarder Giteau et se prendre à rêver. On scrutera son génie avec la palette, mais verra-t-on qu’il est habité par un fou-rire ? Il dit oui à ce qu’il aime, efface les pièges et, pour paraphraser Jacques Prévert, dessine au tableau noir. Il craie