Contador, du kérosène dans les veines
Une calculette dans la musette. Chaque semaine, le Tour vu par Antoine Vayer *
Par ANTOINE VAYER
La base 10 est la base de calcul référence en sciences, universellement utilisée par l’homme qui a les pieds sur terre. Il en existe d’autres, babylonienne, aztèque, voire indienne pour l’astronomie. Même la tête dans les étoiles, les repères existent et ces derniers nous ramènent depuis le boulier chinois au fait que 1+1 = 2. Il existe pourtant en juillet une «base Tour» où 1+1 = 2,6. Trente pour cent de gains en vingt ans d’EPO pour une modification du profil hématologique, voire génétique, que des milliers d’années avaient patiemment fait évoluer. Quel progrès pour l’amélioration du genre humain !
La VO2 (consommation d’oxygène) de Contador estimée après Verbier, c’est 99,5. Impossible, si l’on étudie la physiologie humaine. Comment faire décemment passer plus de 5 litres d’oxygène par minute dans un organisme ? Sauf avec du kérosène à base de sang, qui ferait tourner un 125 cm3 comme un 1 300 cm3 ? Sauf en «base Tour», où la fable est racontée aux grands z’enfants que nous sommes par ceux qui, à quatre pattes, dévorent dans «la gamelle». Comparons en «base Tour d’Italie 2009» Danilo Di Luca, vice-roi du dernier Giro, deux fois positif à la Cera (une EPO de troisième génération, qui augmente le nombre de globules rouges), a grimpé à San Luca, au-dessus de Bologne, en 5’54’’ à 21,36 km/heure une pente à 9,7 %. Ce qui correspond à six minutes à 100 % de PMA (puissance pulmonaire maximale), 460 watts, soit 7,54 watts/kilo. Ce serait une VO2 de 94,5 millilitres par minute et par kilo pour Di Luca, à rapprocher donc des 99,5 de Contador.
La Cera, entre une foultitude d’autres produits et méthodes dopantes indétectables comme la transfusion de son propre sang, explique fort bien le «boost» de la performance. Contador est bien plus fort que la Cera en «base Tour». L’enchaînement exceptionnel d’une heure à 440 watts en puissance-étalon vers le Grand-Bornand, mercredi, pour les trois premiers du jour (Contador et les deux frères Schleck), sur les trois derniers cols (Araches, Romme, Colombière) de l’étape la plus dure de la Grande Boucle cette année, c’est presque du jamais vu.
Côté watts, c’est «amazing». Un humain s’est élevé dans les airs à 1 864 mètres par heure sur une bicyclette dans un col de fin d’étape : Verbier, le 19 juillet. Et le bilan ? Huit coureurs terminent le Tour entre 410 et 440 watts de moyenne sur les principales difficultés du parcours. Comme le Ventoux, transformé par la «base Tour» en piste cyclable, et où une dizaine d’accélérations extraterrestres du pt’it Schleck, (celles-là même qui avaient «allumées» la polémique Rasmussen en 2007), réalisées bouche fermée, n’ont ému personne.
C’est comme au temps de la splendeur de Lance en 2004, son meilleur Tour. Avec son potentiel 2009, il n’aurait perdu que deux de ses sept Tours disputés contre lui-même. Il a maintenant des adversaires qui lui ont trouvé des jambes encore plus folles. Il faut redire les choses : le dopage est avéré à 410 watts, «miraculeux» à 430 et «mutant» à 450. Lors du procès Festina, j’avais été convoqué comme expert et témoin de moralité. Je parle de ce que je connais : la «base 10» et le dopage. Je continue de parler des conséquences des produits avec des coureurs, yeux dans les yeux. Ces démonstrations ont été corroborées par des aveux, des contrôles positifs et des décès. A quand un autre procès en «base 10», comme celui des Festina, didactique et pédagogique ? On pourrait même utiliser les urines stockées en France, qui peuvent être conservées légalement huit ans. On peut rêver d’un test de VO2 max pour Contador, dans la salle d’audience, avec un Oxycon (masque qui mesure le volume d’oxygène expiré). Le tout sur un vélo ergométrique doté de matériel embarqué mesurant les fameux watts. Laurent Fignon considère tout cela comme du «pipeau». La lutte et le discours antidopage ne sont pas confiés à des indépendants du monde sportif, comme l’expert allemand Franke ou le pape italien de la lutte contre le dopage, Sandro Donati. On vit la fable, on la subit aussi. Surtout les coureurs propres. Cela justifie les prix de la «base Tour», où la baguette tradition prend aussi 30 % d’augmentation.
* Professeur d’EPS et ex-directeur de Festina, il dirige AlternatiV, cellule de recherche sur la performance.
@ libé
Je souhaite que Contador se fasse pécho !
Le mec dans la montagne "fait du pantani" et du "Indurain en clm"