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Adrien Costa, destin brisé
Le Franco-Américain s’était détourné en 2017, à dix-neuf ans, d’un grand avenir dans le cyclisme pour devenir un être humain «complet ». Aujourd’hui, il est face à un défi plus grand : se relever de l’amputation d’une jambe après un accident en montagne.
On l’imaginait, un beau jour, rouler sur les Champs-Élysées. Peut-être même comme le successeur de Greg LeMond – aux États-Unis, la presse le surnommait « the next LeMond », dernier vainqueur américain du Tour de France en 1990. On se trompait à propos d’Adrien Costa, jeune Franco-Américain aux yeux si bleus qu’ils semblaient avoir été trempés dans la Méditerranée : ce surdoué du cyclisme aimait le vélo pour le vélo, pas pour devenir un champion. Il se tenait éloigné du peloton depuis plus d’un an sans jamais avoir manifesté l’intention d’y retourner. Puis le destin est venu effacer brutalement nos certitudes ébréchées.
C’était le 29 juillet, le dimanche où les coureurs du Tour de France entraient dans Paris. Adrien Costa était à 9 000 kilomètres de son lointain rêve d’enfant. Il s’adonnait à l’escalade, l’une des grandes passions, avec le ski, de ce sportif complet, sur le mont Conness, en Californie, à 3500 mètres d’altitude. Le drame s’est produit au pied du glacier. Un rocher de presque 2 tonnes s’est détaché de la paroi et a écrasé sa jambe droite. Il a dû la vie sauve à une chaîne humaine exceptionnelle dans le processus de secours. Deux randonneurs, qui se trouvaient sur les lieux, ont alerté le shérif du comté de Mono. Ce dernier a réussi à faire décoller son hélicoptère malgré la fumée épaisse (les incendies font rage dans la région) et, avec l’aide de membres de la Garde nationale, il est parvenu à évacuer le jeune homme vers l’hôpital de Reno, dans le Nevada voisin. À son arrivée, Adrien était dans un état critique. Les médecins ont évité le pire ; malheureusement, sa jambe était perdue, elle a été amputée au-dessus du genou.
Cette tragédie rappelle l’accident mortel d’Étienne Fabre, en 2016, lors d’une randonnée dans le massif des Bauges. Ce brillant étudiant à l’Institut national des sciences appliquées de Lyon était stagiaire pro chez AG2R La Mondiale. Il avait vingt ans. Adrien Costa en aura vingt et un dimanche prochain et, pour lui, une autre existence vient de commencer.
« Adrien est un battant, il lutte avec la même mentalité que sur le vélo, témoigne Axel Merckx, son ancien directeur dans l’équipe Hagens Berman Axeon, que nous avons joint alors qu’il ravitaillait ses coureurs sur le bord d’une route de l’Utah.Comme il est très sensible et a un cœur en or, il veut être un exemple, une inspiration, pour les gens handicapés comme lui »,ajoute-t-il, ému.
« Sans voix devant cette terrible nouvelle. Adrien, un immense talent, une personnalité exceptionnelle d’un homme libre ; une des plus riches rencontres que le sport m’a fait vivre », a réagi Romain Bardet, sur Twitter. Ils s’étaient rencontrés, par hasard, il y a un an et demi, dans l’arrière-pays niçois. « Il m’a donné rendez-vous le lendemain pour s’entraîner ensemble, nous avait raconté Adrien. Je n’aime pas le mot idole, mais c’est un coureur qui m’impressionne beaucoup, un homme qui m’impressionne beaucoup, car il est plus qu’un coureur, c’est un être humain complet. » Dès leurs premiers échanges, Bardet avait discerné « un vrai personnage à seulement dix-neuf ans. J’apprécie beaucoup son caractère, énormément même. Il a déjà un recul sur sa carrière. C’est quelqu’un qui va occuper beaucoup d’espace ».
Mais la route de l'ex-prodigea pris un tournant dramatique. «On sait qu'elle va être longue, et on sera là pour le soutenir », insiste Axel Merckx. Y compris au niveau financier « car le système de sécurité sociale n’existe pas aux États-Unis,rappelle-t-il. On ne connaît pas le coût des soins, de la prothèse, on a lancé une souscription (en ligne) de 100 000 dollars qui dépassé cette somme. Cela fait une pression un peu moindre pour Adrien et sa famille ».
« Mes parents ont quitté la France car ils ont trouvé un job dans la high-tech, dans la Silicon Valley, où je suis né. Des gens d’un peu partout dans le monde se sont posés là-bas. Un endroit dingue, mixte, où tout le monde est étranger », nous peignait Adrien lorsque nous avions fait sa connaissance en mars 2017, à Èze, audessus de Nice, où il avait loué un appartement pour s’entraîner dans la région.
Une passion pour le vélo née en France
Il s’était découvert une vocation pour le cyclisme pendant les vacances d’été passées chez ses grands-parents maternels près de Melun, en Seine-et-Marne. « Je regardais le Tour de France à la télé, une fois j’étais même sur le bord de la route. Après chaque étape, j’allais rouler sur un VTT dans la campagne toute plate avec mon grand-père qui était un cycliste du dimanche. J’ai passé du temps en France, c’est là qu’est née la passion du vélo. Au centre de loisirs, aux États-Unis, je portais un tee-shirt jaune où j’avais écrit au feutre” US Postal”. »
Sous les couleurs des États-Unis, il est vice-champion du monde juniors contre la montre en 2014 et 2015. En France, avec son gabarit léger, une morphologie qui fait penser à Chris Froome, il a fait une entrée fracassante dans les esprits cyclistes au printemps 2016, sur le Tour de Bretagne. « À Lannion, j’ai attaqué dans la bosse et j’ai fait le dernier tour seul, comme dans un rêve. Au départ de la dernière étape, je n’avais plus que deux équipiers. Ils ont fait leur boulot, la foule et le maillot de leader m’ont inspiré. Je suis allé très loin au fond de moi et pourtant je n’ai pas senti la douleur. » Bernard Hinault, lui-même, s’avouait impressionné. « Un petit gars qui ne paie pas de mine mais, à dix-huit ans, quel coureur !, s’exclamait alors le quintuple vainqueur du Tour. Tout le monde s’attendait à ce qu’il” saute” dans la côte de Dinan, je la connais celle-là, et il a tenu. »
À l’été, il était rentré aux États-Unis pour disputer le Tour de l’Utah, qu’il termina 2emalgré la concurrence des BMC, Trek, Cannondale… Les teams majeurs l’approchèrent. Notamment Quick-Step, via la puissante marque de cycles Specialized (également fournisseur d’Hagens Berman Axeon), où il effectua un essai au Tour de Grande-Bretagne. Bien sûr, les Français s’intéressèrent à lui. « Des entraîneurs d’AG2R et de la FDJ sont venus me voir. Je leur ai dit de contacter mon agent, moi je suis là uniquement pour courir, j’ai envie de garder les choses simples, pédaler, éviter ce genre de distractions. » De toute façon, il envisageait « le grand saut en 2018 », pas avant. «La carrosserie n’est pas encore assez solide par rapport au moteur », pensait également Merckx.
L’être humain « complet » qu’il voyait en Bardet se révélait être un désir puissant pour lui-même à travers une maturité précoce. Sur la corniche, il savourait autant« [sa] joie d’apercevoir chaque matin le lever de soleil sur la mer » qu’il égrenait ses objectifs sportifs.
« J’ai beaucoup de chance, estimait-il,car je comprends les Français et les Américains. Ma double culture me permet d’être “confortable” dans les deux pays. Cela ne me dérange pas trop d’être loin de ma famille. » Il disait que « se défoncer sur cinq heures, j’adore faire ça ! Et j’aimerais que ça dure pendant vingt ans ! » Mais il appréhendait le monde des pros, les codes du peloton, cette société secrète qui lui avait laissé une mauvaise impression au Tour de l’Alentejo, au Portugal. «Je n’ai pas aimé, les Movistar filtraient en permanence les échappées. En Espoirs, il y a de la bagarre toute la journée, ça va me manquer. »
Il ajoutait que dans « dans [son] mode de vie, il n’y a pas que le vélo. J’adore la nature, les terroirs, je me vois ouvrir un gîte plus tard, je suis des cours de business et de tourisme en ligne. » Il évoquait son adoration de la nature, dans l’Oregon, où il avait déménagé, «car le boulot de ma mère s’est déplacé là. Ça me plaît plus que la Californie, avec des forêts immenses, une chaîne volcanique à 3000 mètres, les gens qui se prennent moins au sérieux, boivent tranquillement une bière le soir après le travail ».
En avril 2017, il avait donc décidé de faire un break au moment où, tragique coïncidence, son coéquipier Chad Young (21 ans) décédait des suites d’une chute au Tour de Gila, au Nouveau-Mexique. « Je rêve d’accomplir tellement de choses sur le vélo, mais, à mon âge, il est important de se rappeler que j’ai encore le temps de les accomplir et que le pire de tout serait de vouloir se précipiter pour finalement exploser en plein vol et gaspiller mon rêve avant même que je ne sois totalement prêt. »
Quelques mois plus tard, il avouait : « Depuis que j’ai arrêté, j’ai beaucoup appris sur moimême et j’ai réalisé combien une partie de moi était déséquilibrée. J’ai voyagé et travaillé en France, cela m’a permis d’explorer mes autres centres d’intérêt tout en revenant à la joie fondamentale de faire du vélo pour le plaisir. » Sa prochaine destination est le Colorado, où il va étudier la neurologie, en marge du combat quotidien, bien plus dur que le Tour de France, qui l’attend.