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Tour de France : Vingegaard, la victoire qui sidère le monde du vélo
La manière dont le Danois s’est imposé devant Pogacar ce mercredi 10 juillet rappelle la sidération de l’an dernier. Pour un coureur qui a « cru mourir » il y a trois mois sur une chute et qui s’est présenté avec une préparation tronquée, le doute persiste.
Il a levé les bras mais beaucoup ont envie de les baisser. Évidemment, si tous les procès d’intention intentés au cyclisme s’étaient finis aux tribunaux, les palais de justice afficheraient complets. Et beaucoup finiraient par des non-lieux. Mais la victoire d’étape de Jonas Vingegaard, capable de battre pour la première fois Tadej Pogacar au sprint à la station du Lioran (Cantal) après l’avoir rattrapé dans le col de Pertus, laisse un goût étrange.
Côté soleil, il y a un magnifique conte de fées. Celui d’un Danois grièvement blessé il y a trois mois lors d’une chute au Pays basque. Il se casse plusieurs os, se perfore un poumon, passe douze jours à l’hôpital et ne dispute aucune course de préparation. Vingegaard se présente en Italie sans savoir s’il aura le niveau. Et le voilà revenu, comme si de rien n’était, au sommet de sa force. À croire qu’il ne sert à rien de s’entraîner et de multiplier les courses pour acquérir du rythme. Et que rester allongé sur un lit d’hôpital est une aussi bonne préparation.
À Florence, son équipe Visma - Lease a Bike affichait pourtant un énorme « Renaissance » sur son bus. Mais, plus qu’un chef-d’œuvre de De Vinci ou du Caravage, on songe davantage à un mystère digne du complot des Illuminati, cette société secrète qui, paraît-il, perdure depuis des siècles et poursuit un plan caché de domination du monde. Parce qu’il y a aussi une face sombre et pessimiste à la victoire de ce Danois qui s’améliore au fil des jours.
Autant le dire clairement, l’inquiétude monte chez les organisateurs de la Grande Boucle : comment pourront-ils dire, si d’aventure Vingegaard gagnait le Tour, que passer quasiment de la case hôpital à un sourire radieux à Nice le 21 juillet, est acceptable aux yeux du public. En ce moment, on a plutôt envie de croire que la pilule à avaler ressemble à une pièce de Cantal de 42 kg. Comme si les volcans d’Auvergne crachaient de nouveau de la lave. « Pogacar, on peut le présenter comme le nouveau Merckx, souffle-t-on. Alors que Vingegaard, on va nous demander si ce n’est pas le nouvel Armstrong. »
Le roman d’un bluffeur ?
À la limite, on préférerait la théorie du grand bluff. Celle de cette équipe Visma surjouant la blessure de son leader pour endormir Pogacar. Chez les Néerlandais, on sait allumer des contre-feux sans vergogne. Richard Plugge, le patron, l’a fait l’an dernier en entendant les bruits de suspicion après la sidérante victoire de son champion dans le contre-la-montre de Combloux. Il avait alors décidé de créer une autre polémique en accusant l’équipe française Groupama-FDJ de boire des bières au lieu de s’entraîner correctement. Marc Madiot, le patron, avait alors foncé comme un taureau devant la muleta.
Chez les UAE de Tadej Pogacar, on croit au roman d’un bluffeur. Sauf que Vingegaard, les yeux embués de larmes, a remis une couche d’encre dans la belle histoire du ressuscité.
« Je ne pensais vraiment pas avoir ce niveau-là »
« J’ai vraiment cru que j’allais mourir le jour de ma chute, a-t-il lancé, visiblement ému. Je ne pensais pas que je pourrais revenir comme ça. Au départ de Florence, je croyais seulement que j’avais un niveau acceptable pour le Tour. Mais je ne pensais vraiment pas avoir ce niveau-là. C’est extraordinaire. Il y avait des doutes. Alors, remporter cette victoire d’étape, c’est un rêve. » Pour obtenir des mouchoirs si l’émotion monte aux yeux, prière de se présenter au bus Visma - Lease a bike.
Évidemment, Vingegaard, 3 e à 1’14’’ de Pogacar, n’a pas encore gagné ce Tour. Mais, froid comme une lame quand il ne pleure pas, il assure avoir un plan. Il semble clair. Mettre une énorme pression sur le Slovène et le faire craquer en dernière semaine en espérant qu’il paie sa victoire dans le Tour d’Italie, pendant que lui continue de monter en puissance. Logiquement, son absence totale de course entre sa chute basque et le départ de Florence devrait pourtant se payer aussi. Sauf qu’on vient de réaliser, sans joie, que la logique ne fait pas forcément bon ménage avec lui.
Avant le Tour, Bernard Hinault avait lancé dans une de ses formules sans nuances dont il a fait sa marque : « Si Vingegaard gagne ce Tour, je ne comprends plus rien au vélo. » Dans le milieu, le plus célèbre Blaireau du cyclisme est parfois décrit comme un champion de son siècle, papy boomer et râleur. Sur ce coup, Hinault ne risque pourtant pas le procès pour dépassement interdit tant il est parfaitement dans l’air du temps. Aux Pyrénées désormais de nous dire s’il faudra offrir au quintuple vainqueur du Tour un manuel du nouveau cyclisme.
Le Parisien