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Les enseignements tactiques de la 9e étape du Tour et de la bataille entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard
L'étape des chemins blancs autour de Troyes n'a pas rendu de verdict définitif mais elle a dessiné les stratégies des formations des deux favoris, Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard.
Au coeur d'une journée dans les particules et la crasse, on n'y voit pas plus clair dans la bataille des favoris. Tadej Pogacar a attaqué mais n'a repris aucune seconde à ses concurrents, Jonas Vingegaard l'a presque suivi partout alors l'équipe du Danois n'a pas cherché à rouler pour prendre du temps à Remco Evenepoel et Primoz Roglic, distancés un moment. De Troyes à Troyes, l'étape a tourné sur elle-même mais elle délivre, aussi, des enseignements sur les forces et tactiques en présence.
Comment Evenepoel et Roglic ont-ils survécu ?
Depuis Florence, Remco Evenepoel et Primoz Roglic ont évité les catastrophes. C'est bien, mais c'est usant. Leur état physique déterminera vite comment ils sortiront de la montagne dès l'arrivée au Lioran, mercredi. Evenepoel, vainqueur du chrono bourguignon vendredi, avait assez de jus pour disputer dimanche une étape nerveuse, « à l'instinct », comme dit Klaas Lodewyck, son directeur sportif. Il a suivi Pogacar, a attaqué, secoué la tête de dépit en découvrant les joies de rouler avec Vingegaard qui ne prend aucun relais.
Objectif récupération
Son temps au général est gelé (2e à 33'' de Pogacar), mais au moins il a tenté, ce qui est plus bénéfique mentalement que de subir. Primoz Roglic, 4e au général (à 1'36'') a apprécié son baptême de la caillasse : « On a fait une belle course, ce ne devait pas être ennuyeux à voir. » Il n'a jamais paniqué, même décroché par une des attaques de Pogacar. L'expérience, selon lui : « Ce n'est plus de mon âge (34 ans) d'être nerveux, je suis resté calme. »
Rolf Aldag, son directeur sportif, tire un bilan positif des neuf premières étapes. « On est à 1'36'', on peut en être content. Si vous m'aviez posé la question quand tout le monde était à l'hôpital après la chute au Pays basque, j'aurais signé pour en être là. On savait qu'on aurait à bosser dès le départ mouvementé en Italie. À San Luca (arrivée à Bologne, 2e étape), on n'a pas bien positionné Primoz et on en a un peu payé le prix, vingt secondes, ce n'est pas un drame. Puis dans le Galibier, une énorme ascension, dès la 4e étape, on a fini avec tout le monde à part Pogacar. Dans le chrono, Primoz a même repris du temps aux autres dans la descente, alors qu'on se demandait, après cette chute en avril, comment les gars impliqués seraient mentalement. » L'enjeu pour les deux hommes aujourd'hui est la récupération.
Pogacar en a-t-il fait trop ?
Au bout des 199 kilomètres poussiéreux, Marc Soler (UAE) est apparu, blanchi, avec une coupe de renard argenté, et aucun des cadres des vélos des coureurs n'avait sa couleur d'origine. Les mécanos d'UAE, dimanche, ont eu du boulot au moins autant que leur leader Tadej Pogacar, qui avait oeuvré une bonne partie de la journée.
Le Slovène s'est extirpé des nuages de poussière à quatre reprises, pour rejoindre Remco Evenepoel (« C'est bien que Tadej ait pu réagir et boucher le trou immédiatement, sinon cela aurait été difficile », estimait Mauro Gianetti, son manager), puis pour mettre trois cartouches, à chaque fois sans résultat.
Le zébulon slovène, vainqueur du Giro le mois dernier, a-t-il trop appuyé et grillé son carburant ? Oui, si on regarde le résultat brut (aucune seconde prise à Roglic, Evenepoel et Vingegaard). Non, si on considère que « Pogi » semble moins foufou que par le passé. Son équipier, le Belge Tim Wellens, fut même « un peu surpris par l'attaque de Tadej et Remco à 70 kilomètres de l'arrivée. Je pensais que c'était la bonne mais ils se sont un peu regardés et c'est revenu ».
La maturité en plus
À deux semaines de l'arrivée à Nice, le double vainqueur du Tour sait, avec la maturité, qu'il ne peut plus allumer des feux partout et son staff l'a convaincu de compter ses coups. Et peut-être que, finalement, les chemins blancs au coeur des vignes n'étaient pas pour lui, pas comme aux Strade Bianche en tout cas. Wellens en est persuadé : « Si cela avait été les Strade, où c'est plus facile de faire la différence, je pense que Tadej aurait pris quelques secondes. »
Mauro Gianetti préférait voir de son côté une « très belle journée » sans gain mais sans casse non plus : « On savait que Visma avait une équipe mieux bâtie pour un parcours comme aujourd'hui. L'équipe s'est bien défendue, tout le monde était vraiment bien car à 40 kilomètres de l'arrivée, nos huit coureurs étaient devant. »
Aucune crevaison, aucune chute, la formation émirienne n'a rien perdu, dimanche, et son leader, rien gagné. En neuf étapes, il a attaqué une fois lors du week-end italien et, dans le Galibier mardi, seulement dans le dernier kilomètre. Quoique bien plus sage que l'été dernier, il compte 1'15'' d'avance sur son rival danois.
Pourquoi l'équipe Visma n'a-t-elle pas roulé ?
Taillée pour le terrain qui se présentait à elle, l'équipe Visma-Lease a bike a réussi son test. La crevaison de Jonas Vingegaard, dès le secteur 10, a été gérée sans accroc (lire encadré), beaucoup de chemins blancs ont été entamés en tête de peloton (avec Wilco Kelderman, Wout Van Aert ou Christophe Laporte) et jamais leur leader n'a été pris au dépourvu. Une fois, le Danois s'est retrouvé à l'avant avec Pogacar et Evenepoel, mais les 80 kilomètres restants l'ont dissuadé de toute initiative. Mais une autre opportunité s'est présentée et a davantage interrogé.
Dans le dernier secteur, le Maillot Jaune a attaqué, et alors que Vingegaard perdait quelques mètres (« C'était l'endroit le plus difficile pour moi car le plus meuble. Je dérapais, c'était difficile de garder le contrôle »), il fut ramené par Christophe Laporte et Matteo Jorgenson. Ce dernier poursuivait aux côtés des deux rivaux, et on imaginait le trio collaborer pour prendre du temps aux autres lors des dix derniers kilomètres. Mais non.
« Tadej allait tellement vite, on n'a pas réfléchi à collaborer, balayait Vingegaard. Peu importe les circonstances, on voulait avec nous le maximum d'équipiers, au cas où quelque chose se passe. D'un côté, ça aurait été mieux de se relayer car Primoz (Roglic) et Remco (Evenepoel) n'étaient pas là, mais notre but était de ne pas perdre de temps, donc il valait mieux attendre. » Mauro Gianetti, manager d'UAE, analysait à sa manière cette option : « Cela veut dire qu'il (Vingegaard) ne considère pas Remco comme un adversaire. C'est étonnant, mais c'est ce qu'on lit. Peut-être qu'il va regretter de ne pas avoir travaillé. Chacun ses plans. »
C'est ce que répétait Arthur Van Dongen, directeur sportif des Néerlandais (« On avait un plan, on est restés calmes, le but était que ça revienne »), le manager Merijn Zeeman synthétisant la chose : « On a eu besoin de toute l'équipe pour ralentir Pogacar, qui était incroyablement fort. » La suite ? Le ralentir une semaine encore, avant de tout jouer dans la troisième en espérant que la forme de Vingegaard s'améliore. Quitte à ne pas jouer tous les ballons.