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L'oeil d'Alexandre Roos : le puy de Dôme, nouvel épisode de la saga Pogacar-Vingegaard
Au lendemain de la victoire de Mads Pedersen au sprint à Limoges, le Tour de France remonte au puy de Dôme trente-cinq ans après et le volcan d'Auvergne doit nous livrer un nouvel indice sur le combat entre Jonas Vingegaard et Tadej Pogacar.
Les mâchoires du Tour de France, cruelles et féroces, se sont refermées sur la petite carcasse de Mark Cavendish, samedi à un peu plus de 60 km de l'arrivée, sur un morceau de bitume ordinaire, une route départementale comme il en existe tant, de celles qu'on emprunte pour aller chercher son pain ou partir au boulot, loin des théâtres dorés qu'il avait l'habitude de fréquenter. Il ne verrait pas le sprint à Limoges, l'effort de yéti de Mads Pedersen qui avait résisté pendant plus de 300 mètres en pente à toute la meute, Jasper Philipsen, enfin battu sur son terrain dans ce Tour de France, Mathieu Van der Poel, encore réduit à un rôle d'écuyer auprès du Belge, ou Wout Van Aert, enfermé au moment du démarrage à la fois par son poisson-pilote Christophe Laporte et par le petit-fils de Raymond Poulidor qui l'a coincé avec malice.
Mark Cavendish ne verrait en fait plus rien du Tour de France, clavicule droite broyée, et tellement plus, son rêve de tirer sa révérence sur une dernière explosion, une 35e victoire qui aurait laissé à jamais Eddy Merckx dans ses rétroviseurs, alors qu'il a annoncé sa retraite pour la fin de saison, à 38 ans. Une claque et des émotions inversées par rapport à la veille, à Bordeaux, où il avait pris la 2e place derrière Philipsen et confirmé que l'idée de le voir une nouvelle fois lever les bras n'était pas si folle.
Le « Missile de l'île de Man » n'est pas parti sous l'ovation espérée, certes, mais alors qu'une ambulance le transportait vers l'hôpital et la sortie, les gorges de tout le monde se serraient, de ses équipiers, de ses collègues, du peuple du cyclisme et cela disait beaucoup de ce qu'il a représenté, petite peste insupportable et touchante, tourmenteur des finals pendant quinze ans, devenu le plus grand sprinteur de tous les temps. Ce probable épilogue ne modifie en rien sa légende et plutôt que de s'attarder sur sa bobine de Droopy inconsolable au moment d'abandonner, on se souviendra que nous avons été privilégiés d'assister à son règne de furie.
À propos de privilège et de légende, le Tour de France remonte aujourd'hui au puy de Dôme, trente-cinq ans après sa dernière visite, dans le souvenir du duel entre Jacques Anquetil et Raymond Poulidor en 1964, qui pour beaucoup d'entre nous ne reste qu'une photo ou quelques images floues. La beauté du Tour de France est de visiter les mêmes lieux au cours du temps comme des pèlerinages indispensables, de permettre une superposition des images et des exploits en même temps qu'une transmission des récits.
Si nos parents nous ont raconté Fignon-LeMond ou Hinault-Fignon, les leurs leur avaient conté l'opposition entre « Maître Jacques » et « Poupou », et avant eux, on parlait de Coppi et Bartali, dans un domino générationnel qui maintient un fil invisible à travers les époques, l'assurance que jamais la mythologie du cyclisme ne s'effacera, grâce à ce lien familial et intime, le socle d'un sport qui serait moins beau aujourd'hui s'il n'avait pas été si grand dans le passé.
Que le puy de Dôme retrouve sa grandeur et que les deux nous offrent une bataille qu'on emportera avec nous jusqu'au bout du chemin
Depuis le monument du Granon l'an dernier, on espère que le bras de fer entre Tadej Pogacar et Jonas Vingegaard sera notre morceau d'histoire à nous, celui que nous transmettrons plus tard autour de nous, quand l'heure de la vieillesse aura sonné, quand notre tour sera venu d'être le papy ramolli qui, chaque dimanche, rembobine ses histoires de jeunesse et piétine dans le brouillard de ses souvenirs. C'est un peu l'espoir qui nous anime ce matin, que le puy de Dôme retrouve sa grandeur et que les deux nous offriront une bataille qu'on emportera avec nous jusqu'au bout du chemin.
Le Maillot Jaune et son dauphin vont reprendre tout à l'heure le combat laissé dans les Pyrénées, jeudi soir, en haut de Cauterets, et depuis le départ de Bilbao, leur duel aura été aussi physique que psychologique. Vendredi, Jonas Vingegaard assurait qu'il préférait être dans sa situation, avec vingt-cinq secondes d'avance, malgré le Maillot Jaune et la responsabilité du poids de la course qu'il implique, mais le Danois sait également que Tadej Pogacar a été le dernier à marquer des points, sur le plateau de Cambasque jeudi. Les Jumbo-Visma pensaient l'heure venue de faire la peau au Slovène, après le coup de force de leur leader dans Marie Blanque la veille, mais il a échappé à leurs coups de lame et plutôt que de l'enterrer, l'épisode l'a revigoré et lui a donné confiance pour la suite. L'occasion était passée pour la formation néerlandaise et ce matin, ils ne savent pas si elle se représentera.
Depuis le début, la dynamique n'a cessé de passer d'un camp à l'autre, des chatouilles sans incidence de Pogacar au Pays basque au match quasi nul dans les Pyrénées, un jour pour le Danois, l'autre pour le Slovène, et nous voilà plongé dans l'incertitude et c'est tant mieux, car les deux nous ont appris qu'avec eux, tout peut arriver. Nous avançons donc ce matin vers l'imprévu, piaffant comme des gamins un matin de Noël. Le volcan d'Auvergne va se réveiller et avec ses tremblements, nous allons tous frissonner.