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« Un coureur qui ne ressemble à aucun autre » : Victor Lafay, le génial atypique
Atypique et loin des codes qui régissent habituellement le cyclisme professionnel moderne, Victor Lafay ne connaît pas forcément ses limites. Le Haut-Savoyard, vainqueur de la deuxième étape du Tour de France dimanche, devrait encore surprendre.
Depuis sa plus tendre enfance, Victor Lafay fonctionne à l'instinct. Sur un vélo, il a souvent procédé de la même manière. Souriant, les complexes rangés au vestiaire, Lafay fait partie de ces rares coureurs qui savent se rendre disponibles, loin de la rigueur souvent imposée au sein des groupes sportifs. Clairement, le natif de Lyon sort de la norme.
Dimanche, à l'occasion de la 2e étape du Tour de France, il a réalisé un numéro de haute voltige dans les rues de Saint-Sébastien en attaquant au kilomètre pour aller s'offrir la première victoire de sa carrière sur le Tour de France. Forcément, son exploit a surpris un paquet de monde. Mais sans doute pas lui et ceux qui le connaissent vraiment.
« Lorsque j'ai fait mon effort, je ne réfléchissais même pas à gagner, confiait le coureur de Cofidis. Je voyais la ligne. Je regardais mon compteur et j'ai remonté une dent. C'est un truc de fou. Hier (samedi), j'étais un peu frustré à l'arrivée et concrétiser aujourd'hui (ce dimanche) sur la deuxième étape, c'est un truc de malade. J'ai vu que Jumbo avait beaucoup travaillé dans le final et je me suis dit que c'était peut-être une bonne idée d'attaquer. »
Lafay est un gars surprenant. À 27 ans, il n'est plus tellement jeune ni encore très vieux. Au cours de sa carrière professionnelle, débutée seulement en 2018 sous les couleurs de Cofidis, l'ancien sociétaire des équipes amateurs de Chambéry et Bourg-en-Bresse a souvent joué de malchance quand ce n'était freiné par les blessures ou la maladie.
Une lourde chute en 2021 en Ardèche, un exploit sur le Giro trois mois plus tard
L'année de ses 20 ans avait été marquée par une série d'opérations liées à une excroissance osseuse qui lui avait fait craindre le pire pour le reste de sa carrière et qui l'avait tenu éloigné des routes durant treize mois. En fait, les blessures ont souvent jalonné son parcours. Comme en 2021 où il avait perdu connaissance après une chute sur le Tour de l'Ardèche (27 février).
Lafay aime se relever pour mieux surprendre. Cette année-là, il allait signer son premier grand exploit en triomphant en solitaire sur une étape de moyenne montagne au Giro à Guardia Sanframondi (15 mai).
Le coureur de la formation Cofidis n'a jamais eu un parcours franchement linéaire, mais il s'applique à vouloir changer le cours des choses. Depuis le début de la saison, il a été épargné ou seulement contrarié par le Covid-19 qui l'a contraint à renoncer au Giro. Un mal pour un bien, car Lafay n'était pas sur les tablettes de son équipe pour être au départ du Tour de France.
« Je pense que je suis toujours en pleine progression, nous disait-il quelques semaines avant son forfait pour le Tour d'Italie. Chaque année, je passe des paliers. Il y a encore deux ans, je faisais des coups d'éclat de temps en temps, mais ce n'était pas très régulier. J'arrivais à me dépasser un jour et le lendemain j'étais à plat complet. Il n'y a que depuis l'an dernier que je suis un peu plus régulier au niveau de la forme. » Lafay est loin de la pure culture traditionnelle cycliste.
Celui qui habite à Mûres, à une petite vingtaine de kilomètres d'Annecy en Haute-Savoie, vit le vélo à sa manière. « Parfois, j'ai tendance à en faire trop en cherchant à jouer la victoire au détriment d'aller juste faire une place, estime-t-il. Ça m'a souvent desservi. Prendre le risque de perdre en faisant une deuxième ou troisième place, il faut que j'apprenne à faire ça. Je fais encore des erreurs, c'est dommage. Il faut dire que j'ai une maturité cycliste assez tardive. Je reviens d'assez loin avec toutes mes blessures. J'ai été stagiaire chez Cofidis dès 2018 mais, en 2019, j'ai de nouveau été embêté par mon fémur et j'ai dû être réopéré au mois de juin. C'est revenu presque normal en 2020 et c'est comme si je débutais ma carrière à ce moment-là. Je n'ai pas eu des résultats fulgurants, c'était en plus l'année du Covid, mais j'ai pris un peu de caisse. »
Des anecdotes qui font sourire
Lafay a souvent eu une relation particulière avec le virus. L'an dernier, quelques mois avant d'être contraint à l'abandon sur le Tour lors de la 13e étape au départ du Bourg-d'Oisans, il avait déjà alerté l'encadrement médical de son équipe en pensant traîner des symptômes du Covid-19. Les nombreux tests n'avaient rien donné, il était désespérément testé négatif. Agacé, il avait alors lancé à son manager : « En fait, je pense que j'ai un Covid invisible. »
Lafay est toujours passé pour quelqu'un de surprenant, qui débranche par nécessité et qui se prépare différemment des autres. Dans l'entourage de l'équipe Cofidis, certaines anecdotes ont souvent fait sourire. Comme celle qui raconte qu'il avait fait croire qu'il respectait les plans d'entraînement de l'entraîneur alors qu'il contentait de tourner plusieurs fois autour de Bruxelles en « Villo ! » (les vélos de la capitale belge) en compagnie de sa petite amie, étudiante en kinésithérapie.
« Parce que c'est Victor, qu'il ne ressemble à aucun autre coureur, les anecdotes s'enchaînent souvent de manière exagérée, assure Christophe Le Mével, ancien professionnel pendant douze ans et devenu son agent depuis 2018. Ce qui est sûr, c'est que c'est un coureur qui ne ressemble à aucun autre, ou bien celui qui se rapproche le plus d'un Julian Alaphilippe. Lorsque le directeur sportif de Bourg-en-Bresse m'a appelé pour lui trouver une équipe professionnelle, il m'a dit que j'étais celui qui allait m'entendre le mieux avec lui pour l'accompagner au mieux dans sa carrière. »
L'ancien coureur de Bourg-en-Bresse n'a jamais déçu Le Mével. Le Breton a toujours été persuadé que son poulain pouvait aller loin. « Je sais qu'il est capable de faire des numéros comme celui d'aujourd'hui et je ne suis pas étonné de sa performance, dit l'agent de Lannion. Il est capable de faire des choses incroyables. Personne ne connaît ses limites et lui non plus. »
Depuis longtemps, Lafay a toujours rêvé de gagner devant les cadors du peloton, de marquer les esprits devant eux et pas nécessairement s'imposer en solitaire comme il l'avait fait sur le Giro il y a deux ans. « La dimension d'une victoire sur le Tour ? Forcément ça va me faire exploser, disait-il dimanche après sa victoire. Après, il faut que je garde la tête froide, que je continue à travailler comme je le fais. »
Les regards vont forcément changer. Et Lafay va essayer de se prendre au sérieux. « Je me professionnalise, sourit-il. Il faut dire qu'à mes débuts j'ai dû apprendre le métier par moi-même. Je ne viens pas d'une famille de cyclistes ou de sportifs de haut niveau. En fait, je pense que je n'avais pas l'envie d'être hyper-rigoureux. Finalement, j'arrive de plus en plus à trouver du plaisir et c'est peut-être ça qui va maintenant me faire durer. »
Lafay ne serait pas contre se défaire de cette image du coureur atypique qu'il ne déteste pas non plus. « On m'a toujours considéré comme le coureur pas très sérieux, qui courait seulement pour le fun, explique le Haut-Savoyard. C'est difficile ensuite de se défaire de cette image. J'espère que les gens commencent à comprendre que je suis un peu plus impliqué, que je suis un plus carré qu'avant. »