Information
Championnat d'Europe : quelle stratégie pour l'équipe de France ?
Dès leur arrivée à Trente, vendredi, les Bleus ont reconnu les soixante-dix premiers kilomètres du parcours du Championnat d'Europe où ils devraient tenter de dynamiter la course.
Vendredi, la journée des Bleus s'est déroulée au pas de charge. Sitôt débarqués à Venise, les huit coureurs se sont engouffrés dans le van et la voiture qui les attendaient ; ont mangé en roulant la salade de pâtes préparée par les kinés et, après deux heures et demi de route, ils se sont changés en plein air, sur un parking de Trente. À l'ombre d'un tilleul, ils ont bu un café en écoutant les mots de Thomas Voeckler. « Je leur ai expliqué pourquoi j'avais changé le programme initial et combien il était important qu'on aille reconnaître, tous ensemble, la première partie en ligne de la course, 73 bornes dont trois ascensions (en tout 1800 m de dénivelé), avant d'entrer sur le circuit (13,2 km). »
Le sélectionneur, c'est clair, a une idée derrière la tête et veut que ses troupes s'imprègnent de l'endroit avant de leur faire part de sa stratégie. Il veut qu'ils découvrent les passages qu'il a d'abord été inspecter, seul sur son vélo, dès son arrivée en Italie mardi : les travaux, les virages étroits, la force du vent dans la vallée, la longue montée vers le dernier sommet, à Candriai, qui se termine par six kilomètres à 7,1%, et aussi la descente vers Trente, toute en épingles. « Pas un truc pour Zakarin ! » image t-il, allusion à la lourde chute du Russe sur le Giro 2016.
Sans vraiment dévoiler son plan, il lâche quelques indices : « En septembre, les coureurs atteignent un niveau où ils sont capables de faire 100 km à bloc, du début à la fin. Ma composition d'équipe n'est pas conforme mais si on roule pour un seul mec, si on laisse l'Italie contrôler, Colbrelli sera champion d'Europe. Quand il y a plusieurs leaders, comme là - et normalement, il devait aussi y avoir Guillaume (Martin) -, le plus dur, c'est de faire accepter aux mecs que peut-être ils ne seront pas numéro un. J'ai travaillé en amont, je me porte garant qu'il n'y aura pas de problème d'ego. Aucun n'a revendiqué un statut, un rôle. Si je demande à n'importe lequel d'attaquer au km 0, il ira, peu importe son pedigree. »
Avant de leur proposer sa stratégie finale -« qu'ils seront libres de refuser »-, samedi dans la soirée, Voeckler voulait avant tout créer une ambiance entre les huit coureurs. « Lors de la reconnaissance, les mots d'ordre, c'était se parler, rigoler et s'attaquer sans regarder les compteurs. » Avec sa gouaille, il a lancé les premières vannes et visé la coupe de cheveux de Valentin Madouas qui, selon Aurélien Paret-Peintre, « se prend pour Pogacar avec sa mèche qui sort du casque. »« Valentin, c'est pour quand le coiffeur ? lance le sélectionneur. Quand on n'est pas bon, on essaie au moins d'être beau ! »
Plus tard, au pied de la dernière ascension, c'est au tour de Pierre-Luc Périchon, qui sera un des capitaines de route, de prendre le relais et de se laisser distancer par le groupe de quatre (Pinot, Barguil, Madouas et Bonnamour) qui monte à grand train et a lâché Paret-Peintre, Cosnefroy et Bardet, restés avec Voeckler qui n'a pris le vélo que deux fois en août. « Je prends les écarts, qu'est-ce qu'ils lui mettent ! »
Pinot et Barguil surtout, à l'attaque dans la montée du Candriai, à l'initiative du premier. Au sommet, battu par « Wawa », Pinot fait demi-tour pour s'infliger un second passage -« mais je n'ai pas tout redescendu. » Madouas est impressionné : « Dis donc tu tiens la forme ! » « Pas terrible », rétorque son leader chez Groupama-FDJ, un petit sourire en coin. « Tu rigoles ou quoi ? J'ai regardé mon compteur à un moment (pardon Thomas) et j'étais loin derrière, à 500 watts ! » Voeckler arrive enfin, juste devant la voiture suiveuse, et vide un bidon d'un seul trait. Tout le monde se marre encore un coup avant d'attaquer la descente, douze kilomètres qui plongent sur Trente, un endroit parfait pour filer et prendre de l'avance après avoir dynamité le peloton dans l'ascension.
Les Français prendront-ils ce risque, à cent kilomètres de l'arrivée ? « Une chose est sûre, on va tout tenter, martèle Voeckler. Ce ne sont pas les Jeux Olympiques ici, seule la première place compte. On est là pour la gagne ou rien. Et pour avoir une chance face à Sonny Colbrelli, Remco Evenepoel ou Matej Mohoric, on va multiplier les attaques. »
Vendredi, il a commencé à en parler avec quelques coureurs, comme Périchon ou Madouas. « Valentin, il est très demandeur par rapport à la tactique, je m'appuie sur lui car il lit la course de manière parfaite. D'autres, question de stress ou de tempérament, préfèrent attendre le dernier moment pour savoir. » Ces deux-là seront des guides en course, chargés de prendre les décisions puisqu'il n'y aura pas d'oreillettes.
« J'aurai aussi un rôle d'équipier, dit Périchon, je ne vais pas forcément finir, mais mon souci sera de donner les dernières instructions avant de m'écarter. » Tous semblent prêts pour le feu d'artifice. « La sélection fait rêver, dit Cosnefroy, qui se sacrifiera sans problème même s'il a battu Julian Alaphilippe sur la Bretagne Classic. Dans ce groupe, il y a beaucoup de leaders dans leurs équipes respectives ; ça promet d'être offensif. » « Thomas est quelqu'un qui pousse les coureurs à faire de belles courses, conclut Paret-Peintre. Il a choisi des gars qui aiment les risques. On va accepter ses consignes avec fierté. »