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Tour des Flandres : Mathieu van der Poel, la machine à rouler
Le coureur néerlandais laisse sans voix le milieu du cyclisme sur route depuis deux ans, tout comme celui du cyclo-cross. Il sera, dimanche, l’un des favoris du Tour des Flandres, qu’il a remporté l’an dernier.
Par Jean-Louis Le Touzet
La plus inouïe machine à pédaler du moment a 26 ans et est néerlandaise par son père et française par sa mère, mais belge par son accent flamand anversois. Elle est donnée favorite pour un doublé sur le Tour des Flandres, dimanche 4 avril. Mais elle peut aussi dérailler. Mercredi 31 mars, sous le soleil, Mathieu van der Poel, qui n’aime pas la chaleur, a terminé 58e de la course cycliste A Travers la Flandre, à plus de 1 min 40 s de son compatriote Dylan van Baarle (Ineos Grenadiers). « Un jour sans. Mais dimanche sera un autre jour. »
Fils du cycliste néerlandais Adrie van der Poel (vainqueur du Tour des Flandres en 1986, de Liège-Bastogne-Liège en 1988, de l’Amstel Gold Race en 1990 et champion du monde cyclo-cross en 1996), il est le petit-fils de Raymond Poulidor – Corinne Poulidor a rencontré son futur mari en discothèque en Martinique en 1987. « L’éternel second » disait que Mathieu lui avait en quelque sorte évité de dire trop vite adieu à sa jeunesse tant il se reconnaissait en lui : « Mathieu ? Il n’a peur de rien, disait Raymond Poulidor quelques mois avant sa disparition, en novembre 2019. C’est un fonceur ! »
Lors du grand départ du Tour de France à Bruxelles, en 2019, Raymond était déjà rentré dans le soir de sa vie, comme dans un pays étranger. Il signait, avec une patience paisible, des autographes. Avec lui, on errait dans son passé comme dans un musée. Le cycliste, symbole des « trente glorieuses », donnait de plus en plus l’impression d’être une affiche dans la salle d’attente d’une gare désaffectée. Comme s’il attendait le train du soir.
« Avec papy on est dépassé. » Adrie, 61 ans, évoquait son beau-père la semaine dernière au présent en l’appelant toujours papy. « C’était d’abord une époque où la diététique n’existait pas. Puis, ensuite, on ne choisissait pas nos courses, hein, c’est pas comme Mathieu… » Comprendre que Mathieu « fait ce qu’il veut » dans l’équipe belge Alpecin-Fenix dont il est le leader.
Adrie reprend, la voix couverte par le bruit d’une tondeuse :
« Mais à notre époque il fallait quand même sourire au public, aux supporteurs, à la caméra, aux sponsors. Et papy souriait. Mathieu est comme lui : il sourit et en plus il gagne ! C’est resté le même petit gamin qu’à 6 ans. En fait, il ne pense qu’à rouler. Et encore rouler. Tiens, même quand il se repose, il roule. »
Les parents van der Poel se sont installés il y a trente ans en Campine, à Kapellen, dans le nord d’Anvers, à cheval sur la frontière néerlandaise (région du Brabant-Septentrional). Sont nés David et Mathieu. Ils seront coureurs. C’est ici que se dispute l’ultime course de la saison sur un circuit de 16 km : la Putte-Kapellen. A chaque tour on change les fûts de bière.
Si Anvers est riche, la Campine est opulente. On n’est pas très loin d’Herentals, la patrie de Rick Van Looy (trois Paris-Roubaix et deux fois champion du monde). Aujourd’hui la campagne flamande tend à disparaître devant l’urbanisme : ennui des parterres, tristesse des pavés autobloquants, des massifs taillés au cordeau, des murets de brique rouge, des portails électriques à deux battants des demeures bourgeoises où l’on entend le feulement des berlines allemandes qui crissent sur le gravier. A moins de 1,5 million d’euros, on ne trouve rien.
C’est aussi ici que la machine à rouler s’est acheté une « villa », à 8 km de chez ses parents, Corinne et Adrie : « Il a voulu une maison pratique avec sa copine. Puis on n’est pas loin », se rassure son père.
Raymond a toujours donné l’impression de manquer. Pour lui, c’était une peur d’enfant pauvre, comme une peur de solstice d’hiver. Il en était frigorifié. Après sa carrière cycliste, il lui arrivait de rouler plus de 40 000 km dans l’année pour inaugurer un supermarché, honorer une foire aux vins dans laquelle il signait des autobiographies. Il en avait oublié le nombre. On lui récitait un compliment et Raymond signait.
Le petit-fils a gardé de son grand-père la bosse du commerce. On parle de 15 000 euros par engagement par épreuve de cyclo-cross. A cela il faut ajouter un salaire d’un million d’euros par an versé par son sponsor. Hors primes. Mathieu peut rouler en Porsche. « Papy » jusqu’au bout en Mercedes.
La profondeur du banal
A la vérité, quand on écoute les proches de Mathieu van der Poel, ce dernier serait une éponge. On le presse et il n’en sort que des bons sentiments : « C’est vraiment un mec sympa », « il ne vit que pour le vélo », « il est toujours gai », etc. Il aime sa mère, sa copine, le legs de « papy », qui disait qu’il fallait toujours mettre de côté. Il n’est ni cynique, ni méchant, ni arrogant, ni peureux. Il ne se fie qu’à son talent. On peut appeler cela la profondeur du banal.
« Il se moque complètement des consignes et court à l’instinct »
A la vérité, explique le journaliste écrivain du quotidien belge De Morgen Hans Vandeweghe, 63 ans, « c’est un personnage assez difficile à cerner ». « Une fois qu’on a dit que c’est le plus grand phénomène vu sur un vélo depuis Eddy Merckx, on écrit quoi de plus ? Mais en même temps c’est le type de coureur qui va rendre fou de rage son directeur sportif car il se moque complètement des consignes et court à l’instinct, comme Merckx. Se foutant complètement des données des capteurs de puissance. Cela le rend forcément sympathique. »
Celui qui est « fou de rage » s’appelle Christoph Roodhooft. Il est directeur sportif d’Alpecin-Fenix et brosse le portait d’un coureur que l’on ne peut évidemment qu’admirer : « Il est exceptionnel sur les trois disciplines (VTT, cyclo-cross et route). C’est un énorme moteur posé sur une énorme carrosserie. » Mais, de là à envisager qu’il puisse aussi s’imposer sur les grands tours de trois semaines, « c’est non ». « Il faudrait alors qu’il perde de la masse » – 74 kg pour 1,84 m.
Il s’en va sans se retourner
En course, Mathieu van der Poel, quand il accélère, donne l’impression de rebondir comme la balle sur la raquette. Et puis il s’en va sans se retourner pour juger des dégâts. Comme dans les Strade Bianche, cette course sur les routes toscanes autour de Sienne, pour partie sur des chemins de cailloux blancs qui ont donné son nom à l’épreuve, qu’il a remportée le 6 mars.
Il boit l’obstacle, avale les secousses et décolle dans la pente. Il ne vibre pas. Ne se contracte pas. Donne l’impression de ne jamais subir l’ébranlement des routes empierrées ou pavées qui va du petit doigt jusqu’à la racine des cheveux.
Il laisse sans voix le milieu du cyclisme sur route depuis deux ans, tout comme il l’a fait avec celui du cyclo-cross (quatre fois champion du monde). C’est un spectacle déprimant pour ses adversaires. C’est vrai que les génies comme van der Poel ne font pas exprès de gagner mais doivent aussi faire face aux basses considérations : « Les gens qui parlent de dopage à notre sujet sont des cons », explose Christophe Roodhooft.
Dans les années 1980, Adrie van der Poel avait été contrôlé positif à la strychnine. Il a attribué ses tourments à… une tourte au pigeon servie à la table des Poulidor. Le pigeon était « chargé ». On ne peut avoir une destinée moyenne, le jour du gigot-flageolets et du Tour des Flandres, quand on a la chance d’avoir un champion de père qui s’est dopé à la tourte. Une tourte de chez Poulidor.