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Romain Bardet (DSM) : « J'avais besoin de me mettre en danger »
À 30 ans, Romain Bardet, l'ancien leader d'AG2R La Mondiale, s'apprête à donner un élan inédit à sa carrière au sein de la jeune équipe DSM (ex-Sunweb) où il a signé pour assouvir « son désir de nouveauté ».
Le sport de haut niveau et le télétravail ne sont pas incompatibles : Romain Bardet, par exemple, a préparé sa nouvelle saison - sa première dans une équipe étrangère - en enchaînant les heures derrière son écran.
« Ç'a été un hiver très chargé pour moi, sans doute le plus intense de ma carrière, souligne le grimpeur. Tout s'est fait en visio, avec des experts pour avancer sur l'entraînement, la nutrition, la musculation, avec d'autres coureurs pour apprendre à se connaître, parler des courses, de notre vision du cyclisme... J'ai même pu perfectionner mon positionnement sur le vélo à distance, ils ont des super logiciels qui leur permettent de te faire des retours en direct. »
Une structure qui intègre les dernières technologies en matière d'équipement
L'Auvergnat évoque ces nouveautés avec enthousiasme : c'est pour découvrir ces méthodes de travail et élargir son cadre que le jeune papa trentenaire, curieux de tout et parfaitement anglophone, a rejoint fin 2020 l'équipe Sunweb, rebaptisée DSM durant l'intersaison.
Une structure comme il la voulait : jeune, membre du MPCC (Mouvement pour un cyclisme crédible) et qui intègre les dernières technologies en matière d'équipement. « C'est très différent de ce que je connaissais jusqu'alors, dit-il. Toutes les formations vont dire qu'elles sont à la pointe dans certains domaines, mais ici, c'est exacerbé. Tu sens que tu fais partie d'une grande équipe. »
Ces deux dernières semaines, sous le soleil de Calpe (Espagne), où la formation allemande a organisé son camp de reprise, le Français a enfin pu faire la connaissance physique de ses nouveaux compagnons de route : le Belge Tiesj Benoot, qui l'avait devancé en 2018 sur les Strade Bianche, l'Australien Jai Hindley, surprenant deuxième du dernier Tour d'Italie, le vétéran franco-irlandais Nicolas Roche, qui fut l'un de ses premiers équipiers, mais pas Marc Hirschi, la nouvelle superstar suisse du peloton, dont la rupture de contrat et le départ vers UAE, au début du mois, a pris tout le monde par surprise.
« J'ai appris la nouvelle comme vous, je n'étais pas au courant, réagit Bardet. Pour moi, ça ne change pas grand-chose. Je n'ai jamais couru avec lui et nous n'étions pas, de toute façon, destinés à faire les mêmes courses. »
De ses neuf années chez AG2R La Mondiale, équipe dont il semblait indissociable et qui l'a laissé faire du Tour de France son obsession (huit participations d'affilée : 2e en 2016, 3e en 2017, maillot à pois en 2019), Romain Bardet n'a aucun regret.
« Je suis super fier du projet qu'on a construit, j'y ai toujours adhéré même s'il y a eu des moments plus difficiles, retrace-t-il. J'avais une position incroyable et je dois les en remercier parce qu'ils n'ont jamais cessé de me faire confiance. Entre 2013 et 2018, j'ai vécu six ans de trajectoire ascendante de façon quasi-ininterrompue. C'est rare. Mais j'étais entré dans une routine qui ne m'allait plus. J'avais besoin de me mettre en danger, de repartir sur de nouvelles bases et de me prendre un gros coup de boost. »
Un programme encore en pointillé
En termes de nouveauté, chez DSM, le Français est servi. Il a changé d'entraîneur, de matériel, d'habitudes d'entraînement - « de quasiment tout, en fait » - et prévient qu'il aura besoin d'un certain temps d'adaptation avant que ces bouleversements ne portent leurs fruits en course.
D'ailleurs, pour l'instant, il ne parle même pas d'objectifs sportifs avec ses nouveaux encadrants : il ne se consacre qu'à la théorie et aux fondamentaux. « L'équipe veut m'enlever cette pression-là et ne me projette pas vers un calendrier fixe. Il n'y a aucune urgence. »
Va-t-il zapper le Tour comme Pinot pour enfin découvrir le Giro ?
Ainsi, Bardet sait tout juste que son programme comportera moins de jours de course qu'auparavant, et qu'il attaquera par les classiques, dont certaines pavées, dans un rôle de soutien. Va-t-il zapper le Tour de France, comme Thibaut Pinot, pour enfin découvrir le Giro ?
Rien n'est encore décidé, mais il ressent « un profond désir de nouveauté ». Au diable les traditions : en 2019, en perdition sur le Tour, il avait évoqué « une lassitude », « une approche trop rationnelle ». La pandémie l'a empêché de faire sa révolution calendaire en 2020 ; elle sera d'autant plus marquante cette saison qu'elle s'accompagnera d'un rôle plus leste, moins oppressif.
« Chez AG2R, j'ai été propulsé leader dès ma deuxième année pro et je n'ai jamais pu évoluer dans l'ombre, note-t-il. J'étais systématiquement mis en avant, j'avais un projet à justifier et des ambitions à tenir. Chez DSM, je vais non seulement pouvoir travailler plus sereinement et de manière plus précise, mais en plus, je vais pouvoir faire des courses seulement pour aider l'équipe, sans la moindre ambition personnelle. Quelque part, ça m'enlèvera une forme de pression. Ils comptent sur moi et sur mon expérience, c'est sûr, mais je ne serai plus leader unique. C'est à moi de me réaffirmer, de prouver que je mérite ce statut ailleurs que chez AG2R. »
Deux ans et demi qu'il n'a plus levé les bras
Il veut croire que son envie, clairement assumée, de ne plus être le point focal de son équipe n'est pas incompatible avec celle de retrouver le chemin de la victoire.
Cela fait deux ans et demi que Bardet n'a plus levé les bras, et son palmarès (sept succès, dont trois sur la Grande Boucle) peut sembler modique au regard du statut qu'il possédait chez les « Terre et Ciel ».
« Je pense que je n'ai jamais lâché la bride parce que je cherchais d'abord à être constant au plus haut niveau, confie-t-il. Comme je devais avoir un niveau minimum à chaque fois, je n'ai jamais vraiment approfondi les choses, et dans un sens, c'est frustrant.
J'aurais aimé gagner plus de courses, ce sentiment me manque. Je le redis, je n'ai aucun regret de ces dernières années chez AG2R, mais c'est vrai que mon approche n'a jamais été celle du tout pour la gagne. Je devais assurer au classement général. J'ai toujours été là, devant, dans les cinq-six meilleurs, mais j'ai rarement été le plus fort. C'est un peu frustrant, mais c'est comme ça. »
C'est désormais du passé. Dans sa nouvelle structure, réputée pour développer des jeunes talents et dont le staff, élargi, n'a pas pour habitude de se jeter sur le moindre coureur en fin de contrat, Bardet est reparti d'une feuille blanche. « Ils ont un plan pour moi, mais je dois d'abord rentrer dans le moule, me fondre dans l'équipe. Je leur fais entièrement confiance sur la manière dont ils veulent m'amener au très haut niveau. Je ne suis pas pressé : ça prendra le temps qu'il faudra. À terme, je sais que tout cela me permettra de sentir quelque chose de différent en moi. »