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Apple cherche à tourner la page du luxe
Les Echos
Le départ annoncé de la grande patronne de la distribution d'Apple, Angela Ahrendts, est un signal fort. Avec les boutiques, elle avait façonné l'image haut de gamme de la marque à la pomme. Mais pour le groupe, les défis sont désormais d'une autre ampleur.
Depuis l'avenue, de grandes vitrines en verre laissent apercevoir des présentoirs élégants sur lesquels sont disposés des iPhone, des iPad et des Mac. Passé le portail d'entrée, l'allée centrale mène tout droit vers une petite cour entourée de façades haussmanniennes, surplombée par un toit de verre. Quatre grands arbres, d'une dizaine de mètres de haut et une vingtaine d'assises en bois donnent au lieu des faux airs de place publique - « town square », comme disent les Américains.
Ouvert le 18 novembre 2018, au lendemain de la première manifestation des « gilets jaunes », l'Apple Store des Champs-Elysées est l'une des dernières créations d'Angela Ahrendts, la patronne du retail, qui quittera la firme californienne en avril. Il symbolise à lui seul les transformations apportées par l'ancienne patronne de Burberry au réseau de magasins Apple.
Son départ, annoncé au début du mois, a surpris de nombreux observateurs de la tech, dont certains voyaient en elle un potentiel successeur du patron, Tim Cook. N'avait-elle pas fait une apparition remarquée lors de la dernière « keynote » d'Apple, en novembre, à New York, pour la présentation des nouveaux iPad et des Mac ? Débauchée à prix d'or en 2014 chez Burberry, celle qui a redressé de façon spectaculaire la marque de prêt-à-porter de luxe s'était vu confier la mission de redynamiser les ventes des boutiques. Ce qu'elle fit avec succès. En cinq ans, les revenus par magasin ont flambé, hissant Apple au même niveau que les géants du luxe qu'elle côtoie sur les Champs-Elysées, mais aussi sur la Ve avenue à New York, à Milan, à Hong Kong et dans tous les quartiers chics de la planète. Après avoir réuni sous la même entité tout le retail d'Apple (distribution physique et en ligne), qui pèse environ un tiers des revenus, Angela Ahrendts a repensé le concept de la vente, rendant invisible toute référence au paiement, convertissant les vendeurs en conseillers branchés et transformant les magasins en véritables lieux d'échange et d'apprentissage, avec des sessions de formation gratuites et ouvertes à tous. « Elle a réussi à implanter Apple dans tous les endroits iconiques de la planète, avec des emplacements exceptionnels, qui ont permis de faire briller la marque », complète Carolina Milanesi, analyste chez Creative Strategies. Les Apple Store, dont le nombre a augmenté de 25 % en cinq ans avec 506 magasins, sont même devenus de véritables attractions touristiques. La transformation des boutiques, plus élégantes, plus ouvertes mais aussi plus luxueuses, a accompagné la montée en gamme progressive de la marque à la pomme. En magasin, ordinateurs et tablettes côtoient les montres connectées réalisées avec Hermès et les enceintes sophistiquées du français Devialet. Depuis 2017 et le lancement de l'iPhone X, Apple a allègrement franchi le seuil des 1.000 euros pour ses mobiles - le modèle le plus cher est facturé 1.659 euros - et fait basculer par la même occasion l'univers du smartphone dans le luxe. Faut-il voir dans le départ d'Angela Ahrendts une remise en cause de la stratégie commerciale et, donc, de la distribution ? Pour certains analystes, les codes du luxe importés dans les magasins ont pu favoriser une relative désaffection des consommateurs, alors que les derniers iPhone Xs et Xs Max peinent à trouver leur public.
Pour d'autres, Apple est surtout victime de la saturation globale du marché, et notamment de la chute des ventes en Chine. L'industrie vient d'ailleurs d'enregistrer sa deuxième année de baisse d'affilée des ventes. « Apple n'est pas le seul à être monté en gamme. Huawei et Samsung l'ont imité », rappelle Carolina Milanesi. En se séparant de sa commerciale star, la firme à la pomme tourne en tout cas une page de son histoire. « Angela Ahrendts a fait le job. Le réseau de distribution a été remodelé, et sa remplaçante n'aura plus qu'à consolider le parc existant », estime Benoit Flamant, gérant de fonds tech chez Finaltis.
Pour s'assurer que la machine continue de bien tourner, Tim Cook a nommé une de ses plus proches collaboratrices : Deirdre O'Brien, trente ans de maison. Elle connaît bien la distribution pour avoir ouvert les toutes premières boutiques Apple. Celle qui était chargée des ressources humaines depuis 2017 a aussi supervisé les principaux lancements de produits des vingt dernières années. Moins connue hors du siège d'Apple, à Cupertino, et surtout moins cataloguée ambassadrice du luxe, elle peut symboliser une volonté de revenir aux fondamentaux, aux produits, sans en faire trop sur l'emballage.
Car, pour Apple, l'essentiel est ailleurs. Confrontée au ralentissement des ventes de l'iPhone, la firme à la pomme doit faire évoluer son modèle. La croissance ne passera plus seulement par la vente de nouveaux produits mais par la fourniture de services et de contenus à ses clients existants. Aujourd'hui, 1,4 milliard de personnes dans le monde utilise des produits Apple, dont 900 millions d'iPhone. Cela représente un gisement exceptionnel de croissance puisque ces utilisateurs seront amenés à consommer dans le futur toujours plus de logiciels et de services Apple. L'an dernier, les transactions réalisées via Apple Pay ont doublé, Apple Music a franchi le cap des 50 millions d'abonnés, les revenus du cloud ont bondi de 40 %… Au total, le nombre d'abonnés à des services Apple payants s'élève à 360 millions, et il pourrait dépasser 500 millions dès 2020. Le lancement au printemps d'un service de streaming vidéo devrait permettre d'atteindre cet objectif. Cette bascule d'un modèle de vendeur de hardware vers celui d'un fournisseur de services est l'un des principaux challenges qu'aura à relever Tim Cook dans les années à venir. Le départ d'Angela Ahrendts pourrait être la première étape de changements plus importants.