Moonwalker, puisque c'est la semaine "Tell me about your life" sponsorisée par JPP REVIENS, allons-y.
J'ai retrouvé Calabrais à Montpellier vendredi, d'où il nous a voiturés jusqu'à Millau. Là, on a pris les dossards, bu une bière, j'ai revu un certain nombre de potes d'un forum d'ultra, et chacun est parti se coucher. Samedi, pointage des dossards avant 9h30, et tout le monde rejoint la ligne qui se trouve environ 1 km plus loin. Les vélos (pour ceux qui ont des accompagnateurs) sont partis une demi-heure avant, pour se ranger à Aguessac, au km 7. Je précise que l'accompagnateur est là pour pourvoir aux besoins du coureur en matière de ravitaillement, de fringues, d'encouragements de de coups de pied au cul, mais qu'il n'a pas le droit de lui prêter son vélo.
Samedi, ambiance très sympa, plein de gens aux fenêtres - les 100 km sont une institution ici. Devant, les meneurs d'allure, de 9h à 15h, reconnaissables à leur drapeau, qu'ils portent sur leur casquette. Parti un peu loin, je mets quelques kilomètres à rejoindre le pote qui mène en 11h. Comme je me suis très peu entraîné en juillet, plus, mais encore peu en août (3 fois par semaine), et quasiment pas en septembre (3 séances en tout), j'y vais tranquille, sans autre objectif de continuer à apprendre et de m'amuser. 11h, c'est un rythme raisonnable au début, et le gars a mis au point la "méthode Cyrano", qui consiste à alterner marche et course, environ 45" de marche toutes les 10', pour faire redescendre le rythme cardiaque et s'économiser. C'est l'occasion de tester.
Au 15 ème km, on se rend compte qu'un autre pote, qui mène en 10h, est 150 mètres devant. A l'occasion d'une descente, je le rejoins. Je resterai avec lui jusqu'au 40ème km. Enfin, avec lui, pas exactement car je continue à appliquer mon alternance marche-course. La deuxième partie du marathon (la course commence par une boucle de 42,2 km, suivie d'une deuxième boucle de 57,8 km, sur laquelle se concentrent les difficultés) est légèrement vallonnée. Rien de bien méchant, mais ça permet de dérouler en descente pour prendre un peu d'avance, puis de faire les pauses marchées en côte.
A l'arrivée sur Millau, en côte, je me laisse larguer. Le meneur en 10h est puissant, il monte très bien, ce qui n'est pas mon cas et je le laisse prendre une minute d'avance - je ne le reverrai qu'à l'arrivée. Passage au marathon en 3h53, 170ème, pas trop entamé, même si les 2 km de gros faux plat montant m'ont fait un peu mal alors qu'au passage au 40ème, je me sentais encore très frais. Premier coup de barre en repartant, mais ça va à peu près. Arrive au 48ème le première grosse difficulté, 2 km de côte à 7% pour monter sous le viaduc. Je fais tout en marchant, ce qui me permet de récupérer, et je descends derrière à fond, ce qui me fait reprendre pas mal de coureurs. Ca roule encore jusqu'au 55ème, où je sens que je commence à me déshydrater.
Là, je suis pris entre deux feux. Je sais que 2% de déshydratation = 20% de performance en moins, d'une part, et que, d'autre part, il ne faut pas boire plus d'un verre à la fois, sous peine de risques gastriques. Comme il y a des ravitaillements au mieux tous les 5 km, parfois 8, et qu'il fait très chaud, c'est insoluble. Je choisis de boire 3 verres au lieu d'un. A partir du 60ème, et pendant 25 bornes, j'ai chopé des crampes... d'estomac.
Je ne peux faire la descente sur Saint-Affrique correctement, où j'arrive toutefois 120ème. Détour aux chiottes, je repars en marchant, dès que je cours, j'ai le bide qui se met à hurler. J'ai remonté toute la côte en marchant, mais de plus en plus lentement. Arrivé en haut, impossible de courir sur le plat en haut, et ça n'allait pas mieux dans le début de la descente.
Pendant ce temps, le soir tombe, la température chute assez brutalement, et je commence à me geler. Après 10 km avec la chair de poule, je commence à penser à abandonner, et décide en tout cas d'aviser au ravitaillement de Saint-Rome, au km 82. A la perspective de me réchauffer, je peux courir la fin de la descente et je reste assez longtemps au ravito pour me réchauffer. Là, j'ai l'inspiration de demander un sac poubelle. Un trou pour la tête, deux pour les bras ; les bras continueront à avoir froid, le reste mijotera, mais je conserverai la chaleur du corps, au lieu d'exposer mon maillot trempé à la fraîcheur vespérale.
Je repars, toujours en marchant, puis 2 km plus loin, je peux recommencer à courir doucement, j'ai moins froid. Je sens que les tensions commencent à descendre de l'estomac sur l'intestin, conséquence naturelle du froid... ce qui me donne des ailes pour rejoindre le ravito suivant au km 89 afin d'y faire une Betsamee. Là, je bois chaud, je me soulage, donc, mais j'ai retrouvé de l'énergie. La nuit est tombée, il faut encore remonter sous le viaduc, redescendre et finir dans Millau, encore en côte. Je remonte en marchant, mais à un très bon rythme, puis je descends à fond et finis très vite (enfin, tout est relatif, mais en 1h02 pour les derniers 10 km quand même, côte de 2 km en marchant comprise). Résultat, un peu moins de 11h30, 260ème environ.
Ces courses plus longue que le marathon sont fascinantes, parce qu'elles sont un raccourci de la vie en accéléré. Alternance ultra rapide d'euphorie, de détresse, de maux, subis et surmontés, suivis d'autres moments durs eux aussi surmontés. Tu peux ne plus pouvoir que marcher lentement et, 10 km plus loin, descendre à tombeaux ouverts dans l'obscurité avec des jambes raides comme des piquets. Tu devrais essayer. Calabrais racontera s'il en a envie. Il a bien galéré et a fini en 16h et des brouettes.
"La société de surconsommation, fruit d'un capitalisme dérégulé, relève d'une logique compulsionnelle dénuée de réflexion, qui croit que le maximum est l'optimum et l'addiction, la plénitude." Cynthia Fleury