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François d’Haene, la vie du trail
L’ultra-traileur français cultive l’équilibre entre sa vie sportive, professionnelle et familiale, loin de l’ascétisme qui prédomine dans cette discipline extrême.
par Benjamin Delille
publié le 26 décembre 2021 à 18h00
Le bruit des cloches résonne lorsqu’on domine le village d’Arêches. «Les vaches commencent à descendre des alpages», commente François d’Haene alors que la montagne brunit sous un timide soleil d’automne. Charge à lui de tenir compagnie aux sommets abandonnés, baskets aux pieds en attendant d’enfiler les peaux de phoques. «C’est la saison parfaite pour courir : il n’y a pas encore trop de neige là-haut», explique l’ultra-traileur, tout en tenue pour la photo. Il regarde les hauteurs avec envie, la tête déjà tournée vers sa course de l’après-midi, «si le petit fait la sieste».
A le voir comme ça, assis sur la terrasse de l’hôtel des Ancolies en attendant la sortie de l’école, on en oublierait presque son statut de grand champion. Cet été, il a remporté le Hard Rock dans le Colorado ainsi que son quatrième Ultra-Trail du Mont-Blanc (UTMB), dépassant son meilleur rival, le médiatique Kílian Jornet, qui n’en compte «que» trois. On parle de 160 km et de plus de 10 000 mètres de dénivelé positif que ces monstres dévorent sans faire le tour du cadran. Quand on lui demande quelle sera sa prochaine course, le coureur temporise : «Une course d’ultra, ça demande une motivation énorme, ça ne se fait pas sur commande, il y a besoin d’excitation.»
On comprend vite que ce n’est pas la quête des podiums qui le fait courir, mais plutôt le dépassement de soi et un amour inconditionnel de la montagne. «On s’y sent tout petit», souffle-t-il alors que le paysage se reflète dans le verre de ses lunettes de soleil. Tout petit face aux pentes escarpées du Beaufortain, mais très grand pour ses pairs, de par son palmarès et son mètre quatre-vingt-douze. Ses yeux bleus respirent la sérénité, le regard taillé par un sourire qu’il arbore sans modération.
Avec sa femme, ils sont ici chez eux depuis près d’un an, deux des trois enfants inscrits à la petite école du village. «C’était plus simple, d’autant plus qu’ils en avaient marre de bouger.» Ballottés depuis leur naissance entre la montagne et le Beaujolais où le couple a cultivé la vigne pendant près de dix ans. Une étape qui se termine progressivement, marquée notamment par «le vin qui monte», un projet de l’ultra-traileur pour livrer ses bouteilles à dos d’homme dans les refuges d’altitudes.
La montagne est un aimant pour ce fils de Lillois qui a grandi à Chambéry. Il dit pourtant l’avoir découverte «sur le tard», autour de sa majorité. Plutôt tourné vers l’athlétisme, son expérience montagnarde se résume alors aux randonnées familiales jusqu’aux refuges. «Avec mes potes on s’est rendu compte qu’on pouvait aller au-delà», dit-il, toujours souriant. Aller taquiner les glaciers, gravir les sommets, valser sur les arêtes. Peu à peu, les stades d’athlé s’éloignent. «On essayait de tester de nouvelles choses, de prendre la frontale au petit matin pour rallier Grenoble à Chambéry.»
François d’Haene fait ses études de kiné au croisement des massifs de Belledonne, du Vercors et de la Chartreuse. Un immense terrain de jeu pour son groupe de copains qui sillonne au trot les sentiers. Jusqu’à tenter un premier défi : le tour des glaciers de la Vanoise en 2006 et ses 72 kilomètres. Une révélation. «On est parti un peu vite, et au bout de quatre ou cinq heures, il y avait un sentiment de lassitude pour mes amis alors que moi je me sentais de mieux en mieux.» A tel point qu’il dépasse tout le monde et remporte la course avec plus de vingt minutes d’avance sur le deuxième.
Il attendra 2009 pour se lancer réellement dans l’ultra-trail à la Réunion dans une course mythique : la Diagonale des fous. Il ramène une honorable cinquième place pour sa première participation au Grand Raid qu’il remportera quatre fois. Il signe chez l’équipementier sportif Salomon. «Je n’étais pas très chaud parce que j’avais peur qu’on m’oblige à courir tout le temps, à m’habiller d’une certaine manière, se souvient-il. Mais Jean-Michel Faure-Vincent [qui coordonne les activités sportives et médiatiques de François d’Haene, ndlr] m’a tout de suite rassuré en disant qu’ils voulaient simplement m’aider à progresser.»
Devenu tour à tour kiné, ultratraileur et vigneron, la naissance de ses enfants lui impose de trouver un équilibre toujours plus ténu entre sport, boulot et vie perso. Car, contrairement à Kílian Jornet, François d’Haene ne se considère pas totalement comme un athlète professionnel. «On n’a pas exactement le même tempérament.» Le premier multiplie les disciplines (alpinisme, pente raide, ski) pour vivre de sa passion, François d’Haene privilégie l’ultra-trail et enchaîne les projets. Un choix duquel transpire toute sa philosophie. «L’ascétisme, ce n’est pas ma façon de faire, résume-t-il. Je veux pouvoir pratiquer mon sport en m’occupant de mes trois enfants, en buvant des bières avec mes potes.»
Etre à l’aise avec soi-même, montrer qu’on peut gagner des courses tout en ayant une vie normale, sans oublier que ses capacités physiques sont supérieures à la moyenne. Lui ne gagne pas une course d’ultra-trail en multipliant les sacrifices, mais en écoutant son corps. «Tu pars surtout pour gagner contre toi-même, courir avec et pas contre les autres.» Impossible de tenir vingt heures d’affilée sans une motivation à toute épreuve. «Le premier stresse autant que le dernier et, à l’arrivée, ils sont aussi contents l’un que l’autre.»
Pour s’y préparer, il n’y a pas que les courses dans la montagne. «C’est la somme de tout un tas de petites expériences du quotidien pour mieux se connaître, comme un trajet de nuit en voiture passé à lutter contre la fatigue.» Lui aussi hallucinait sur les courses des ultras avant de s’y mettre. Comme lorsqu’il a fait le GR20 avec sa femme, à 20 ans. «On allait vite, on doublait les étapes, et quand j’ai vu que certains le faisaient en une fois, ça paraissait impossible. Pourtant en 2016, j’ai battu le record. Comme quoi.»
Quand on aborde la politique, François d’Haene préfère taire son vote. Ses convictions ne sont pas fermées, «tant que ce n’est pas dans l’extrême». Sa politique à lui semble se jouer dans cette vallée, dans les valeurs qu’elle lui permet d’inculquer à ses enfants. «Une réflexion locale, pour que ça résonne.» Leur faire comprendre ce qu’ils mangent : des fruits de saison, du fromage et la viande du coin, mais pas tous les jours. Des voyages «raisonnés et raisonnables» pour ne pas non plus les enfermer dans une bulle. Pas de télé non plus : «Les enfants n’en souffrent pas : ils vivent dehors.» Le coureur veut développer leur sensibilité à l’environnement.
Voici venue l’heure de nous laisser pour les retrouver. Le soleil continue d’inonder la place du village. Un temps parfait pour une jolie rando, une fois le déjeuner passé. François d’Haene ne se privera pas : ses réseaux afficheront une trace de 12 km, 1 200 mètres de dénivelé jusqu’au col de la Forclaz. Puis une descente en parapente. Les sommets vont passer l’hiver en bonne compagnie.
24 décembre 1985 Naissance à Lille.
25 octobre 2009 Premier 100 miles à la Diagonale des fous.
31 août 2012 Première victoire à l’ultra-trail du Mont-Blanc.
28 août 2021 Quatrième victoire à l’ultra-trail du Mont-Blanc.