peops, tu as appris à me connaître : toujours dans la nuance.
Bon, en deux mots. Cette loi
est une loi idéologique, 1) en ce qu'elle cherche à contrôler le développement de la recherche et à transférer au politique la responsabilité de définir les axes de pensée à privilégier - et ceux à écarter... 2) en ce qu'elle inféode le contenu de la formation non pas au monde du travail, mais à la vision du monde de certains acteurs de ce dernier.
Ce que montre Fert - et que savent tous ceux qui connaissent de près ou de loin la recherche et ceux ayant une culture solide en histoire des sciences - c'est que le contrôle de la recherche en amont ne fonctionne pas, ou mal. Les grandes inventions, les ruptures, les "catastrophes épistémologiques" pour parler comme Thom ne se décrètent pas à priori ; elles doivent beaucoup à la conjonction de hasards improbables et comme tels imprévisibles.
Il y a 90 ans, le mathématicien Anglais Hardy, ardent pacifiste, se réjouissait d'être spécialiste de théorie des nombres parce que celle là, au moins, n'avait aucune application pratique - et il identifiait "application pratique" avec tout ce qui permet d'accroître les inégalités et de détruire la vie humaine (une boutade dans laquelle, tout un chacun verra selon ses opinions beaucoup de vrai et beaucoup de faux, les deux étant défendables). Quand Hardy a dit ça, on était en 1915. Trente ans plus tard, la guerre est gagnée, notamment grâce au déchiffrement d'Enigma, le système de cryptage des nazis. Déchiffrement essentiellement l'oeuvre d'Alan Turing, mathématicien et théoréticien des nombres Anglais (que son charmant pays, loin d'honorer, voudra interner de force après la guerre pour cause d'homosexualité, mais c'est une autre histoire, et vive l'Angleterre).
Bon, c'est juste une anecdote, mais il y a pas mal d'autres exemples de ce type. Les applications de la recherche fondamentale sont indécelables à moyen ou long terme.
En soumettant la recherche à un système de projets, on se focalise sur une recherche prévisible, donc certes pas inintéressante, mais peu créatrice. Par ailleurs, si tu connais des chercheurs en activité, demande leur la part de leur temps consacré à ramasser des sous à droite et à gauche, juste pour pouvoir faire leur métier... Tu seras étonné. Ca prend un temps infini...
Et encore, on parle là de recherche scientifique... Les dérives potentielles en matière de sciences humaines et politiques d'une recherche dont le contenu est contrôlé par l'Etat est manifeste. Pas besoin de chercher loin (Mitterrand, Balladur) pour trouver des exemples d'institutions de recherches disparaissant pour cause d'indépendance intellectuelle après avoir publié des résultats très gênants pour les gouvernants en question (je pense notamment à une étude prouvant que les inégalités avaient augmenté sous les socialistes...)
Le CNRS est une structure indépendante. Actuellement, la tendance, renforcée par la loi, est à la substitution d'entités contrôlées au CNRS pour attribuer les crédits. C'est grave.
Pour l'enseignement supérieur, ce n'est pas très différent. Qu'il y ait des partenariats école/entreprise, c'est très bien, mais ça existe déjà... En revanche, que ce soient les entreprises qui définissent le contenu de la formation, ben non. Le monde économique vit sur le court terme, l'éducation vit sur une autre durée, et ça doit rester comme ça. Enfin, c'est mon avis. En plus, en mettant les entreprises dans le coup, on régionalise l'enseignement (encore une énorme connerie défendue par la droite comme par le PS). La formation ne doit pas se faire indépendamment des débouchés, mais ne doit pas y être inféodée. On ne se forme pas uniquement en pensant à la rentabilité immédiate. Mieux vaut des gens ayant des notions d'informatiques et une bonne capacité d'adaptation que des étudiants formés à utiliser le logiciel Z parce que les entreprises du coin ont acheté le logiciel Z.
P'tain, je me relis, et je lis "bon, en deux mots"...
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"La société de surconsommation, fruit d'un capitalisme dérégulé, relève d'une logique compulsionnelle dénuée de réflexion, qui croit que le maximum est l'optimum et l'addiction, la plénitude." Cynthia Fleury