On notera l'effort de Fourcroy visant à sociologiser le scientifique, via un questionnement embryonnaire certes, mais questionnement tout de même.
La question de l'utilité est assez récente dans l'histoire humaine. Personnellement, j'établirais une généalogie qui remonte aux utilitaristes britanniques du 19e siècle, soit la tentation de cartographier un monde où l'on assigne des identités fixes, où l'on distribue des fonctions sociales en rapport avec l'idée de production, et où on établit un partage rationnel entre ce qui est utile à une vision productive du corps social et ce qui ne l'est pas. Avec les utilitaristes, ce qui est nouveau, c'est que l'on "doit" et l'on "peut" être utile et que les inutiles peuvent disparaitre (la superfluité des êtres tels que aborigènes, nomades, etc. inaptes au schéma utilitariste). Il y a un ligne directe avec les entreprises de réforme des criminels ou des indigents et leur mise au travail plus ou moins forcée, les papiers d'identité, etc. Qui fait quoi et où ? On remarque ici une impressionnante convergence entre institutions publiques (prison, police, santé) et association humanitaires (à l'exemple de l'Armée du Salut gérant les camps d'internement et de travail de tribaux en Inde, la bible dans une main, la matraque dans l'autre et Bentham dans la tête). Bentham d'ailleurs exemple le plus probant, l'homme qui s'est préoccupé de prison et d'agriculture.
On est plein là dedans en ce moment non ?
De mon point de vue donc l'utilité est un concept quasi nazifiant propre au dressage de l'homme. Un mathématicien est tout aussi indispensable à l'humanité qu'un aborigène australien, après certains peuvent faire le choix de le juger superflu.
Fourcroy, sur le capitalisme cognitif : http://adonnart.free.fr/doc/ymbcacog.htm
et pour ceux qui ont la flemme de cliquer, qques passages éloquants :
En témoigne la liste impressionnante des affrontements récents sur le domaine d'extension des brevets (le génome humain, le vivant naturel, le vivant modifié, les médicaments pour les trithérapies), sur les droits de la propriété intellectuelle (droit d'auteur versus copyright), sur le droit de copier les logiciels, les données, les informations de caractère "privé" ou non, sur le droit de lire gratuitement dans les bibliothèques. Nous sommes en pleine bataille des nouvelles enclosures (nom qu'on a donné en Angleterre à la suppression par le Parlement des droits de propriété collective sur les terres communes). Pourquoi ? Parce nous assistons à une mutation profonde du capitalisme que nous résumons par le terme de capitalisme cognitif. Le capitalisme immatériel, sans poids (weightless economy selon l'expression de D. Quah), la "société de l'information", la net-economy, la "Nouvelle économie", la Knowledge-based Economy (OCDE), la révolution technologique des NTIC sont autant de façons de nommer cette transformation et d'en saisir certains aspects partiels.
Quelque part entre un changement de régime de l'accumulation capitaliste (école de la régulation) et un changement des rapports de production proprement dit c'est-à-dire l'esquisse d'une transition à l'intérieur du capitalisme, transition comportant des mutations aussi radicales que celles qui ont marqué le passage du capitalisme marchand esclavagiste et absolutiste, au capitalisme industriel salarié et "démocratique". Transition qui suppose probablement une métamorphose du salariat.
Les créateurs, les artistes, les inventeurs, mais aussi les soutiers du travail immatériel, le cognitariat, qui inventent la société, et recrée le lien sous la forme de réseau de la coopération gratuite, doivent-ils faire valoir leurs droits de propriété et réclamer que le marché paye toutes consommations intermédiaires cachées qu'il incorpore dans ses produits et dans ses institutions (un produit stratégique celui-là) ? Cette voie largement encouragée par le libéralisme hayékien, infiniment plus intelligent que le crétinisme manufacturier et assurantiel du Medef, est à notre avis une réponse anachronique : elle revient aux balbutiements du libéralisme du XIX siècle, quand l'art n'était qu'une affaire des élites bourgeoises. Aujourd'hui, le véritable sacre du capitalisme cognitif, c'est la dimension massive de la politique culturelle, la grande industrie de la fabrique du social.
Il existe une autre voie : celle indiquée par le revenu universel. (1) La propriété sociale qui doit être reconnue à ces actifs qui ne se retrouvent pas dans les comptes du capitalisme industriel, et qui pourtant nourrissent le marché, c'est celle de leur existence sociale libre. Pour passer des heures sur le réseau, pour lire, pour inventer des emplois qui ne soient pas des formes dégradantes d'esclavage déguisé, il faut être délivré de la quête du pain quotidien, du loyer mensuel, des notes de téléphone. La grande conquête du salariat qui en affaiblit largement le caractère esclavagiste fut l'accès à la protection sociale et l'extension de cette protection à la famille des titulaires d'emploi dans l'économie manufacturière. Seul un nouvel affaiblissement du salariat par l'attribution inconditionnelle d'un revenu d'existence à tous ceux qui en amont et en aval de la production matérielle garantissent sa profitabilité
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