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Entre Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Debré, la hache de guerre est loin d'être enterrée. L'invalidation des comptes de campagne du premier par le Conseil constitutionnel, dirigé par le second, vient enrichir le contentieux, ancien et notoire, qui oppose les deux hommes. Nicolas Sarkozy, qui a claqué la porte de l'institution hier soir, a dénoncé sur sa page Facebook une décision "indédite sous la Ve République".
"C'est une décison totalement injuste, qui démontre une nouvelle fois la volonté d'asphyxier par tous les moyens une personnalité qui gêne, a déclaré au Monde Brice Hortefeux. C'est une décision qui s'en prend une nouvelle fois à Nicolas Sarkozy, qui apparaît décidément aujourd'hui comme la cible de tous les pouvoirs, comme la victime de tous les acharnements". En ligne de mire des fidèles soutiens de Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Debré.
Entre les deux hommes, les relations sont faites d'échanges de phrases mesquines. Une inimitié qui prend racine lorsque la grande famille gaulliste se déchire en vues de la présidentielle de 1995. D'un côté, Edouard Balladur, que soutient Nicolas Sarkozy ; de l'autre Jacques Chirac, soutenu par son ami Jean-Louis Debré.
TENSIONS ET INIMITIÉ
L'ancien président de l'Assemblée nationale est un proche de Jacques Chirac, à qui il voue une fidélité inconditionnelle depuis quarante ans. Une loyauté récompensée en février 2007. Quelques semaines avant de quitter l'Elysée, l'ancien président propulse son loyal ami à la tête du Conseil constitutionnel.
"Les relations entre Nicolas Sarkozy et Jean-Louis Debré ont toujours été tendues", affirme Isabelle Debré, sénatrice UMP des Hauts-de-Seine et belle-sœur du président du Conseil. Des rapports qui s'enveniment pendant le deuxième mandat de Jacques Chirac, avec qui Nicolas Sarkozy entretient des relations pour le moins compliquées. Entre les deux hommes, les passes d'armes sont fréquentes.
"Avant la présidentielle de 2007, les rapports entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy étaient très tendus. C'est un secret de Polichinelle: Jacques Chirac ne voulait pas que Nicolas Sarkozy soit élu, explique un conseiller politique, qui souhaite rester anonyme. Jean-Louis Debré était le grognard de Jacques Chirac, chargé de le critiquer et de dire dans les médias ce que le président ne pouvait pas affirmer".
PHRASES ASSASSINES
Jean-Louis Debré voit d'un mauvais œil les sorties de l'ancien maire de Neuilly contre celui qu'il "aime très profondément". Exemple parmi d'autres, la visite de Nicolas Sarkozy en 2006 aux Etats-Unis. Devant un parterre de New-Yorkais, il avait qualifié le veto de Jacques Chirac à l'intervention en Irak d'"arrogance française". Une leçon de morale adressée à l'Elysée, à laquelle Jean-Louis Debré avait immédiatement répliqué. "Attention à ceux qui sèment le vent, ils pourraient récolter la tempête. Dénigrer, contester, critiquer la politique d'un gouvernement dont on est membre est non seulement une erreur, mais une faute politique", avait-il prévenu.
Leurs passes d'armes s'intensifient avant la présidentielle de 2007. Autre épisode emblématique de leurs invectives, les débats, en 2006, sur la réforme des institutions. Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, s'était montré favorable à une présidentialisation du texte. Jean-Louis Debré n'avait pas manqué de réagir. Il l'avait accusé, sans jamais le nommer, d'être un "obsédé de la rupture". Avant d'ajouter : "Il retrouve ce que le cardinal de Richelieu décrivait comme le régime idéal, le principat : un monarque absolu, un principal ministre simple exécutant de ce monarque absolu." Une petite phrase à laquelle Yves Jégo, soutien de Nicolas Sarkozy, avait répondu, goguenard: "On ne répond même plus à Debré. C'est un obsédé du passé, il est dans un dialogue avec l'au-delà."
"JE NE SUIS PAS L'UN DE SES FANS"
Des invectives qui surviennent à intervalles réguliers. Et qui se poursuivent après la victoire de Nicolas Sarkozy. En 2008, sur Canal+, Jean-Louis Debré avait manifesté des "réserves" sur le style présidentiel de Nicolas Sarkozy. Avant d'affirmer, à couteaux tirés : "Je ne suis pas l'un de ses fans. Mais il a été élu président de la République. Comme je suis respectueux des institutions, je le respecte."
Si certains voient dans cette inimité des liens avec la décision du Conseil constitutionnel de jeudi, Isabelle Debré tempère. "Il s'agit d'une décision collégiale. Jean-Louis Debré a fait abstraction de leur mésentente", assure-t-elle. Ce que confirme, à une nuance près, un conseiller politique, anonyme :"S'il était très difficile pour le Conseil de contredire l'avis rendu par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politique, Jean-Louis Debré n'a pas dû se plier en quatre pour défendre Nicolas Sarkozy."