Information
Dans l'histoire de la Ve République, c'est sans précédent. Devançant la décision du Conseil constitutionnel, qui devait se réunir en séance plénière, mercredi 24 octobre dans l'après-midi, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a annoncé, mercredi matin sur France Inter, l'annulation de la loi sur le logement social adoptée le 10 octobre au Parlement.
Lire aussi : Ayrault annonce l'annulation de la loi sur le logement social par le Conseil constitutionnel
"Il y a eu un cafouillage parlementaire, je le regrette, mais en ce qui concerne la cause de cette annulation, vous savez que le Conseil constitutionnel a été saisi sur un problème de forme par l'UMP et l'UMP a obtenu l'annulation, a indiqué M. Ayrault. Très bien pour l'UMP, mais ce n'est pas bien pour les Français." Ce n'est pas très bon, non plus – et c'est un euphémisme – pour le gouvernement : premier projet de loi présenté en session extraordinaire et premier texte censuré. Alors que, de plus, le projet de loi sur les emplois d'avenir, dont le Conseil constitutionnel a également été saisi, risque, selon nos informations, une censure partielle.
"LEÇONS DE VERTU"
C'est plus qu'un "cafouillage parlementaire". Le gouvernement a bel et bien péché par précipitation. Soumis, à la fin du mois d'août, à un feu roulant de critiques sur son "immobilisme" et son absence d'initiatives, François Hollande décide d'avancer au 11 septembre la reprise des travaux parlementaires et de présenter sans délai à la discussion les projets de loi sur les emplois d'avenir, à l'Assemblée nationale, et sur le logement social, au Sénat.
Lorsque le décret de convocation de la session extraordinaire est publié au Journal officiel du 5 septembre, le texte de la ministre Cécile Duflot sur le logement n'a même pas encore été présenté en conseil des ministres.
Pour répondre à cette demande, le gouvernement va devoir imposer au Sénat des conditions d'examen que la gauche, lorsqu'elle était dans l'opposition, aurait non seulement jugées intolérables, mais dont elle aurait sans le moindre doute saisi le juge constitutionnel. C'est ce qu'ont fait les sénateurs de l'UMP et de l'Union centriste. Fait inédit, également, depuis la révision constitutionnelle de juillet 2008, qui renforçait les droits du Parlement, leur recours porte, non sur le fond du projet de loi, mais uniquement sur la procédure parlementaire.
"La procédure législative a porté gravement atteinte à plusieurs exigences et règles à valeur constitutionnelle, estiment les deux présidents des groupes UMP, Jean-Claude Gaudin, et centriste, François Zocchetto. Pendant cinq ans, la gauche a voulu nous donner sans cesse des leçons de vertu. Depuis qu'elle est au pouvoir, c'est 100 % de textes adoptés en procédure accélérée, un calendrier improvisé, des délais amputés et les droits de l'opposition bafoués."
"Pour feindre l'action, le gouvernement a convoqué une session extraordinaire en septembre, rédigé à la hâte des projets de loi et improvisé un ordre du jour bancal. Les textes sont inscrits avant même leur transmission aux parlementaires", condamnent pour leur part trois anciens ministres des relations avec le Parlement, Roger Karoutchi, Henri de Raincourt et Patrick Ollier.
LE SIGNE D'UNE FAIBLESSE
Du jamais vu, effectivement. La commission du Sénat n'aura même pas le temps de s'emparer du projet de loi sur le logement. C'est le texte du gouvernement qui sera examiné en séance, et non celui de la commission. Les amendements ne pourront être examinés qu'alors que la discussion générale aura déjà eu lieu. L'opposition est justifiée à dénoncer "une violation caractérisée" de la Constitution. Le signe d'une faiblesse de son ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, qui aurait dû alerter le chef du gouvernement des risques que cette précipitation faisait encourir au projet de loi.
La sanction était quasiment écrite. Au cours de l'instruction au Conseil constitutionnel, le secrétariat général du gouvernement a bien tenté, désespérément, de prétendre qu'aucune entorse à la Constitution susceptible de motiver une censure n'avait été commise. Au fil des réunions, il a dû se rendre à l'évidence : la cause était indéfendable. Depuis une semaine, il avait prévenu le premier ministre que le projet de loi allait tomber sous le coup de la censure.
En faisant cette annonce, mercredi matin à la radio, M. Ayrault a sans doute voulu désamorcer la "bombe politique", banaliser la décision du Conseil constitutionnel. Ce faisant, il se montre peu respectueux du fonctionnement des institutions et de la séparation des pouvoirs. Il pourrait fort bien, à présent, s'attirer les foudres du Conseil constitutionnel, que l'on sait jaloux de ses prérogatives. A une erreur de procédure parlementaire, le chef du gouvernement vient d'ajouter une faute à l'égard des institutions. Cela fait beaucoup pour un début de législature.