La publication du dernier rapport du Police Ombudsman for Northern Ireland (1), présenté lundi dernier, aurait dû faire l’effet d’une bombe et faire vaciller le gouvernement de Tony Blair, sous l’opprobe des démocraties de ce monde, généralement bien prompt à fustiger le terrorisme. En effet, l’enquête du Médiateur confirme les collusions entre paramilitaires loyalistes et services de police et de sécurité agissant pour le compte du gouvernement britannique dans le Nord de l’Irlande. L’essentiel des travaux de l’Ombudsman a porté sur le rôle et l’implication d’agents de l’Etat dans plusieurs assassinats, ainsi que sur leur refus de mener à terme les enquêtes sur ces crimes.
Le rapport a surpris jusque dans les rangs républicains, car la période couverte par les investigations du Médiateur concerne seulement la décennie 1990, jusqu’en mars 2000. Elles n’ont pas porté sur des cas célèbres plus anciens, comme l’assassinat en 1989 de Pat Finucane, l’avocat des militants et volontaires républicains, que l’enquête menée par le journaliste britannique Kevin Toolis a pu attribuer aux paramilitaires loyalistes assistés directement par les services de sécurité de le couronne. Je reviendrai sur cette affaire bien attristante le mois prochain, car aujourd’hui encore, l’assassinat demeure impuni, tandis que la mémoire de l’avocat et sa famille sont régulièrement traînés dans la boue.
L’enquête sur les meurtres des dix victimes dont il s’agit aujourd’hui met en exergue le rôle ambigu des agents infiltrés dans les groupes paramilitaires loyalistes, et celui des autres types d’informateurs, qui furent exonérés de poursuite, car travaillant pour le compte de la police, quand bien même ils pouvaient avoir admis être les assassins, comme dans le cas de Sharon McKenna. Sean McParland a quant a lui été tué par une équipe de l’UVF comprenant un informateur ayant prévenu au préalable son agent traitant. Parmi les victimes figurent également plusieurs loyalistes tombés lors de règlements de compte. L’infiltration des paramilitaires par les forces de sécurité est chose bien connue, et dans le cas des terroristes loyalistes, on peut légitimement se demander s’ils n’ont pas été largement manipulés par les services secret. Le Massacre oublié est toujours un cas qui affleure à ma mémoire lorsque ces sujets sont évoqués.
En dehors des milieux républicains, les réactions au rapport de l’Ombudsman restent pour la plupart hypocrites. Silence du DUP. Un Blair outragé le temps d’une phrase, mais bien prompt à évacuer le travail du Médiateur en le qualifiant de rapport du passé, alors même que certains de ces assassinats ont eu lieu sous sa mandature. Ailleurs, on peut noter le silence des média français, et notamment du Monde, dont le correspondant principal a par le passé été jusqu’à prendre à son compte la propagande loyaliste. Il y a quelques semaines, on pouvait remarquer un même silence de ce journal lorsqu’un célèbre terroriste loyaliste a tenté d’introduire une bombe dans le parlement nord-irlandais. La moindre incartade républicaine est pourtant brocardée par ce même journaliste, qui remet également en question chaque progrès du Sinn Fein vers la paix. Cette semaine, le journal de révérence préférait narrer le pillage d’un porte-conteneurs par des habitants du sud-ouest de l’Angleterre, ou le scandale de l’attribution de titres de noblesses aux hommes d’affaires prêts à financer le Parti Travailliste. Les magouilles d’une monarchie décadente et discréditée sont ainsi plus importantes que l’utilisation par une prétendue démocratie de méthodes policières dignes d’une dictature militaire.
Le rapport de l’Ombudsman symbolise pourtant l’implication partiale de l’Etat britannique dans le conflit nord-irlandais. Il intervient également à un moment-clé du processus de paix. En effet, le Sinn Fein, qui a rempli tous les engagements du Good Friday Agreement, au contraire des représentants de la communauté unioniste et de l’Etat, doit maintenant s’engager à soutenir les services de police prétendument réformés pour éviter ce genre de collusion. Malheureusement, les derniers cas traités par le Médiateur peuvent faire douter de la valeur de ce gage donné à la communauté catholique. Cette ultime exigence réclamée doit permettre au Sinn Fein de participer à un prochain gouvernement d’union confessionnelle. Gerry Adams devrait continuer son combat pour normaliser le nord de l’Irlande, mais la contestation risque de grandir, alimentée par cette nouvelle preuve de l’insincérité des Unionistes et du gouvernement de Londres.
(1) Ombudsman : nom d’origine scandinave, désignant un médiateur dont la mission consiste généralement à recueillir les doléances des administrés vis-à-vis des services de l’Etat. La fonction d’Ombudsman de la Police dans le Nord de l’Irlande a été créée dans le cadres des Accords du Vendredi Saint, dans le but premier de servir de recours aux membres de la communauté catholique face à une police considérée comme partiale tout au long du conflit. Pour plus d’informations, voici leur site internet.
merci tony