16 Oct 2006, 19:23
Ecrits d’alarme
Pendant plusieurs mois, les membres d’AC-lefeu ont sillonné la France en minibus pour donner la parole à une population mise à l’écart. Un périple qui a permis de recueillir par écrit plus de 20 000 doléances. Une initiative citoyenne et une leçon pour les politiques.
Ils l’ont fait pour Zyad, 15 ans, et Bouna, 17 ans. Pour qu’ils ne soient pas morts pour rien. Ils sont partis de Clichy-sous-Bois (93), où les deux garçons ont péri le 27 octobre 2005, électrocutés dans un transformateur EDF après une course-poursuite avec la police. De là, ils ont étendu leur périple au reste de la Seine-Saint-Denis puis à toute la France, de Strasbourg à Toulouse et de Nice à Rennes. Sans oublier l’Ousse-des-Bois, l’Ariane, la Castellane, Saragosse. La France toujours, mais une France perdue de vue, où personne ne vous entend crier. Samir, Mokded, Mamadou et les soixante-dix membres de l’association AC-lefeu (Association du collectif liberté égalité fraternité ensemble et unis) sont allés à sa rencontre. Pas pour attiser la révolte, mais au contraire « pour mettre des mots sur les maux ». Des mots écrits. Des « doléances ».
La référence à 1789 est parfaitement assumée. De la Révolution française, ils ont retenu ce moment où, des profondeurs du royaume, étaient remontés les frustrations, les désirs, les remontrances du pays : « On peut tourner le problème dans tous les sens et jouer sur les mots, mais aujourd’hui encore, on vit dans une société de privilèges et les populations des “quartiers” se sentent mises à l’écart, » explique Samir Mihi, 29 ans, le porte-parole de l’association – et par ailleurs éducateur sportif. « Pour la convocation des états généraux, on se doute bien que le gouvernement traînera des pieds. Mais les cahiers de doléances, ça, on pouvait s’en charger ! » Démagogie, diront certains. Démocratie participative, répond Samir. Avec les moyens du bord : stylo, page blanche divisée en deux, un paragraphe pour les « constats », un autre pour les « propositions ». En deux mois, ils ont recueilli 20 000 de ces cahiers. Ils en déposeront solennellement une synthèse le 25 octobre à l’Assemblée nationale – et peut-être même à l’Elysée.
Le départ a eu lieu le 7 mars, le retour le 6 mai. Un tour de France en trente-huit villes (et en minibus), « au total, une centaine d’endroits visités si l’on ajoute la banlieue parisienne et les petites communes où l’on a fait une pause en chemin ». 17 000 kilomètres au compteur par roulement de six bénévoles (le plus jeune a 18 ans, le plus âgé la cinquantaine), une ou deux tables de tapissier, quelques chaises pliantes, un mégaphone, un peu de tchatche et beaucoup de volonté. Bref, la militance on the road… Souvenirs, souvenirs ! Excellents pour la plupart, malgré l’accueil du maire d’Angoulême, un peu chiche, qui les a d’abord invités à ouvrir leurs cahiers sur le parking désert d’un quartier dépeuplé, avant de les autoriser à dresser leurs tréteaux dans le centre-ville. Difficile aussi de dialoguer avec les passants qui, évoquant la mort de Zyad et Bouna, déclaraient index levé qu’« on ne fuit pas la police quand on n’a rien à se reprocher ! ». Mais pour les bénévoles d’AC-lefeu, l’objectif était clair : « retourner le micro », rendre à la France muette – des oubliés des centres-villes à la « racaille » des cités – une parole confisquée depuis trop longtemps par les avocats de la défense (de l’ordre public) et les experts de tout poil. Mission accomplie sans distinction de peau, de classe ou de religion (ces cahiers se veulent tout sauf « communautaires »), quitte à secouer les esprits parfois résignés : « Sarkozy vous propose de nettoyer les quartiers au Kärcher et vous ne réagissez pas ? Vous êtes contents de vivre comme ça ? Le logement, l’emploi, tout va bien ? » s’inquiétait ainsi le président de l’association (et éducateur de rue), Mohamed Mechmache, sur la place du marché à Bondy-Nord. « Alors, comme ça, vous n’avez rien à dire ? »
Si ! Même qu’ils l’ont écrit. 20 000 témoignages anonymes, « c’est mieux que l’Insee, sourit Samir, et ça n’aura pas coûté cher au gouvernement ». Une mine d’informations, de souffrances exprimées, de revendications actives. Que disent-elles, ces doléances qui sont désormais passées au crible par des sociologues bénévoles ? L’emploi et le logement se taillent la part du lion, explique Annick Rogès, formatrice à Clichy-sous-Bois. Mais reviennent aussi en leitmotiv les relations dégradées avec la police : « Certains témoignages vous font monter les larmes aux yeux, comme ces adolescents de la cité Ariane, à Nice, qui se plaignent d’être arrêtés trois, quatre fois par jour pour des contrôles d’identité. » On pioche une fiche dans le 06 (Alpes-Maritimes). Homme, 17 ans. Dans l’espace réservé aux « constats », il écrit : « 1. Abus de pouvoir. 2. Tutoiement abusif. 3. Comportement trop autoritaire ». Dans l’espace « propositions » : « Instaurer un dialogue serein, notamment lors des contrôles “de routine”. Avoir un langage exemplaire : le respect doit fonctionner dans les deux sens. Motiver clairement les contrôles. » Et le jeune homme de conclure : « Le dialogue est plus efficace que la répression. » Commentaire ironique de Samir : « Le contrôle de routine, c’est ce que fait le médecin avec ses malades, non ? Mais faites-vous “contrôler” trois fois par jour, et vous finirez par vous dire que quelque chose ne tourne pas rond ! C’est exactement ce qui arrive à ces jeunes. »
Autre cahier, en provenance d’Epinal : « Les violences urbaines trouvent leur source dans le désespoir. Le désespoir est le résultat de destins de vie inégaux. » Et l’auteur, un garçon de 20 ans, de proposer que l’on « donne des cours sur l’histoire de la jeunesse française ». Une idée, tiens, qui nous rappelle qu’elle s’est toujours rebellée. Et il y en a plein d’autres dans ces cahiers, qu’il s’agisse de formation professionnelle, du CV anonyme, de la santé ou des droits de la femme – un thème qui surgit plus souvent qu’on ne le croit sous la plume des hommes. Mais des inquiétudes à méditer aussi, comme cette réflexion d’un « doléant » de 81 ans, qui s’interroge sur la « difficulté de maîtriser le français lorsque la famille parle une langue étrangère et que la télévision est reçue dans la langue des parents (parabole) ».
Changer le silence (et les pierres) en mots, c’était le premier objectif d’AC-lefeu. Le second est de les transformer en bulletins de vote en poussant les gens à s’inscrire sur les listes électorales. Pas une mince affaire, comme Samir a pu le constater. « A Nice, quand les jeunes de la cité Ariane nous ont vus arriver, ils nous ont traités de gros naïfs en disant que les hommes politiques n’en avaient rien à foutre des habitants des quartiers. Toute l’après-midi, on leur a expliqué que voter reste le moyen le plus efficace de mettre la pression sur les élus, et que les jeunes n’avaient aucune légitimité à “l’ouvrir” s’ils ne votaient pas. Quand on les a quittés, ils avaient promis de s’inscrire sur les listes. C’est mon meilleur souvenir. »
En moins d’un an, le collège électoral de Clichy-sous-Bois, stable depuis des lustres, est passé de 7 000 à 8 000 inscrits. 15 % d’électeurs en plus, à sept mois de la présidentielle et deux ans des municipales, ça « interpelle », comme on dit, dans les partis politiques. Surtout si, comme l’espère AC-lefeu, le phénomène se reproduit dans toutes les villes traversées par les deux minibus. Des dragueurs de gauche et de droite ont fait quelques tentatives d’entrisme… vite déjouées : « On a croisé du beau monde, s’amuse Samir : le Tour de France des MJS [Mouvement des jeunes socialistes], le Tour des plages de l’UMP… Mais ils cherchaient des adhérents et venaient à notre rencontre avec un discours tout prêt. Nous, on cherchait des citoyens et on venait avec nos oreilles, pour écouter. C’est pas tout à fait la même démarche… » Citoyens d’abord, et de tous bords ? Oui, mais pas citoyens neutres pour autant. Quelle « neutralité » pourrait-il y avoir, d’ailleurs, quand les « doléants » évoquent la dégradation de leurs rapports avec la police au moment où le ministre de l’Intérieur, lui, bat la campagne pour la présidentielle ? « Comme on pouvait s’y attendre, Nicolas Sarkozy est souvent cité dans les textes que nous avons recueillis, confirme Samir. Dommage qu’avec lui le dialogue soit rompu depuis longtemps. Il ne s’est jamais manifesté, et pourtant il apprendrait plein de choses en lisant ces cahiers. Mais on garde des exemplaires à sa disposition – et surtout, qu’il n’hésite pas à nous appeler s’il souhaite nous rencontrer : les RG ont mon numéro… »
Sous l’ironie, l’envie d’aboutir. Car ces cahiers seront du papier gâché et du temps perdu si leurs destinataires – les élus de France – ne prennent pas le temps de les lire et continuent de fermer les yeux. Alors, prévient Samir, « On restera vigilant. On n’a pas rassemblé ces milliers d’informations pour les voir rangées dans les archives des ministères ! ». Le 25 octobre, la Marche des cahiers emmènera ceux qui ont participé à l’aventure de la place Denfert-Rochereau à l’Assemblée nationale. Tout le monde est invité. Deux jours plus tard, les familles et amis de Zyad et Bouna déposeront une stèle à Clichy. Et à la fin du mois, sur une idée de l’association Au-delà des mots (ADM), 166 chanteurs, parmi lesquels Diam’s et Akhenaton, sortiront un album coécrit avec des lycéens du collège Robert-Doisneau, où Zyad et Bouna étudiaient. Morts pour rien, ça s’appelle. Aux hommes politiques de faire mentir le titre.
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el loco a écrit:sonny, quand un gamin doit présenter ses papiers 3 ou 4 fois par jour à la police juste parce qu'il vit dans une cité je trouve ça grave et cela existe bien avant que Sarko fasse de la politique
16 Oct 2006, 20:38
16 Oct 2006, 21:04
sonny a écrit:nemenems, +1 aussi
ca se regle pas a coup de loi.
mais une chose, quand on leur demande ce qu'ils veulent poru que ca change, quand on leur demande les attentes qu'ils ont. ils ne repondent rien a part de l'appe la la haine. a croire qu'ils ne veulent pas que ca change
16 Oct 2006, 21:11
16 Oct 2006, 21:13
16 Oct 2006, 21:14
manuchao a écrit:La c'est plus que tendu , la Jeunesse souhaite meme "feter" la date anniversaire de l'année derniere .
Soit disant que le gouvernement a débloqué 700 Millions d'Euros suite a la crise de l'année derniere .
16 Oct 2006, 21:17
16 Oct 2006, 21:19
sonny a écrit:manuchao a écrit:La c'est plus que tendu , la Jeunesse souhaite meme "feter" la date anniversaire de l'année derniere .
Soit disant que le gouvernement a débloqué 700 Millions d'Euros suite a la crise de l'année derniere .
et plus de la moitier a été utilisée pour rembourser tout ce qui a été sacagé ou brulé
16 Oct 2006, 21:21
16 Oct 2006, 21:23
16 Oct 2006, 21:24
loursin a écrit:c'est le seul truc interessant dans tes posts !
moi je regrette les grands discours de chirac apres les problemes de l'an dernier. "grande cause nationale" blablabla.. concretement quelles ont été les mesures prises ? une fois de plus, il faudra que ca pète pour qu'on en parle. c'est bien dommage.
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