édit: doc officiel:
http://www.inhes.interieur.gouv.fr/Tabl ... rd-98.html
fukusan, ca devrait t'intéresser...
Voici quelques éléments tirés de ce rapport, qui n’est pas l’œuvre, je le rappelle, d’une association opposante au gouvernement, mais d’un dispositif officiel.
- Moins de 24% des atteintes aux biens font l’objet d’une plainte.
- 2 victimes sur 3 d’actes de violences ne portent pas plainte.
- 32% des faits de violence signalés par les victimes aux services de police et de gendarmerie sont enregistrés en main courante, au lieu de faire l’objet d’une plainte en bonne et due forme.
Le reste est à l’avenant.
L’explication donnée aujourd’hui est que ce décalage est « normal », les gens ne déposant logiquement pas plainte pour les délits mineurs et que la preuve de l’efficacité de la politique du Ministère de l’Intérieur est que le sentiment d’insécurité est en baisse, selon la même enquête.
Je vais vous donner quelques explications de manipulations possibles de ces chiffres, tirées d’exemples vécus.
Tout d’abord, de manière préliminaire, je voudrais préciser que seuls les Procureurs de la République ont le pouvoir de qualifier pénalement une infraction. Dès lors, je m’étonne que les chiffres « officiels » des infractions relevées et élucidées proviennent d’un Ministère qui n’est pas techniquement compétent pour un classement réel et définitif. Les magistrats s’en offusquent ils ? Apparemment non.
Ces mêmes magistrats ont le devoir de viser régulièrement les registres de main-courantes des commissariats et gendarmeries. Pour justement éviter les « abus ». Dans la réalité, peu de réactions.
Enfin, les chiffres du Ministère de l’Intérieur ne peuvent qu’être sujets à caution. Pourquoi ? Parce que les Commissaires de Police, chefs de service, pour parler d'une administration que je connais, sont jugés sur leurs performances. Quoi de plus légitime, dès lors que le débat est clos en dehors des chiffres présentés que de « s’arranger » pour qu’ils soient le plus attractifs possible pour une carrière sans accrocs ?
Pour cela, plusieurs possibilités.
La première est de laisser les fonctionnaires chargés des plaintes de faire le tri tous seuls. En gros de refuser de prendre des plaintes. Exemple (vécu par une ex-compagne), votre vélo est volé dans votre jardin clos. C’est un vol aggravé par escalade. Arrivé au commissariat de Strasbourg, première tentative de plainte. « Vous avez la facture. Non ? Ah ben je ne peux pas prendre votre plainte ! » Deuxième tentative, avec la facture. « Il est tatoué votre vélo ? Non ? Ah ben je ne peux pas prendre votre plainte ! » C’est ce que l’on appelle en langage policier, la technique du « shoot ». Une technique vielle comme les services de police (et de gendarmerie aussi). Illégale, mais permise. Dans un service qui devrait recevoir en moyenne 30 plaintes par jour pour des dénonciations de délits, il suffit de renouveler l’opération 3 fois pour faire baisser la délinquance constatée de 10 %.
Autre technique, la main-courante. Il s’agit là de convaincre le plaignant que son affaire ne vaut pas une procédure judiciaire. C’est évident très subjectif et laissé à l’appréciation d’un simple gardien de la paix. En général très efficace pour les violences légères et les larcins. 3 par jour. 10 % de baisse supplémentaire.
Le basique reste de s’arranger pour que le délai d’attente au commissariat pour déposer plainte dissuade les « clients peu motivés » sans pour autant devenir scandaleux. Comptez pour une grosse ville entre 30 mn et une heure d’attente. 3 plaintes par jour découragées. 10 % de baisse supplémentaire.
Vient l’enregistrement administratif des plaintes. C'est-à-dire celui qui permet de dresser « l’état 40O1 ». Petit exemple. On casse la vitre d'une voiture, elle est fouillée, mais rien n’est volé, ou le plaignant ne sait pas. Et hop, cela passe d’une tentative de vol (délit) à dégradation volontaire avec un préjudice contraventionnel. 3 par jour, encore 10 % de réduction.
Les astuces sont nombreuses, et faciles à mettre en place, sans réellement maquiller les chiffres.
En France, vous pouvez également déposer plainte en écrivant directement au procureur de la République. Il renvoi le dossier au commissariat ou à la gendarmerie compétente pour prendre la plainte sous forme de ce que l’on appelle un « dossier parquet ». Pas pris en compte dans les plaintes enregistrées par la police. 3 par jour ? Encore 10 % à mettre en débit. Notez que la technique en la matière est de ne comptabiliser ce dossier que si l’auteur est entendu. Là on rédige un « Compte Rendu d’Enquête après Identification » dit CREI. Un bâton pour le délit, un bâton pour l’auteur. On en parle plus loin, c’est du domaine des "faits élucidés".
Vous avez fait l’addition ? Nous sommes déjà à 50 % de baisse artificielle de la délinquance constatée. Soit, à la place des trente plaintes délictuelles, seulement 15 d’enregistrées légalement. CQFD.
Et je dois être loin du compte, sans prendre le temps de définir l’impossible, c'est-à-dire le «chiffre noir »: le nombre de plaignants qui ne se posent même pas la question de déposer plainte.
L’efficacité des services de police se mesure lui par le nombre de « faits élucidés » et celui du nombre de gardes à vue.
Exemple. Un gamin vole un CD en la présence de deux de ses amis. Avant, c’était l’objet d’une main courante avec remise aux parents et remboursement du CD. Pas de statistiques.
Aujourd’hui c’est trois gardes à vue d’une heure pour le même effet. Résultats : 1 fait élucidé, 3 gardes à vue…
Il est possible aussi "d'imposer" un nombre de garde à vue à effectuer par semaine aux fonctionnaires de police. Délirant ? Non. Le directeur départemental de l'Hérault s'est fait "choper en flag" en voyant une telle note de service "commerciale" rédigée par lui, paraître dans la presse...
Autre exemple facile à comprendre. Un môme est interpellé avec trois barrettes de shit, usager revendeur, à la sortie de son lycée. Le but est-il de lui demander qui lui vend ce produit ? Non. Remonter la pyramide prend du temps, utilise des « heures supplémentaires à rendre» et provoque à terme de longues gardes à vue. Pas rentable. Mieux vaut lui demander la longue liste des camarades auxquels il a vendu depuis les dernières semaines. Ils viendront à de simples convocations adressées à leurs parents (pas de grosses opérations à monter) et au final, on fera une dizaine de gardes à vue et un « trafic » (sic). Dans les statistiques, c’est bien plus rentable, plus facile à gérer, et pour faire du poids, on comptera une barrette supplémentaire à chaque rétrocession de la même. Evident.
En face de ces méthodes tout à fait légales, on monte des opérations de communication. Le sentiment d’insécurité, c’est de la médiatisation. Sans plus. Un sentiment. Facile à manipuler. Comme le reste. Je ne fais pas de morale, c’est ce que j’avais préconisé dans un rapport remis en 1995 à Chambéry, en Savoie, à un député UDF passé depuis à l’UMP: Dominique Dord.
Je me cite : « Un autre aspect de la lutte contre le sentiment d’insécurité passe par la médiatisation importante mais intelligente du fonctionnement des services de police. Le moyen d’un bulletin régulier peut bien sûr être utilisé mais il sera nécessaire de jeter de véritables ponts avec les différents médias afin de bénéficier de retombées inévitables"…"Il serait utile de mettre sur pied une véritable cellule de communication jouant le rôle d’une véritable attachée de presse. »
Voilà. Monsieur Sarkozy n’a rien inventé. J’avais 10 ans d’avance.
Sauf que.
Ce dispositif était suggéré parmi 9 pages de propositions visant à améliorer le rapport citoyen-police et l’efficacité réelle des enquêtes.
Dans lesquelles ne rentraient pas les manipulations des chiffres...
Alors ?
Quand va t'on enfin boucher le trou de l’insécu ?