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Ollivier Pourriol : “‘Le grand journal’, c’est une machine à laver le cerveau”
Entretien | L'ex-chroniqueur du “Grand journal” raconte dans un livre les coulisses de l’émission star de Canal+. Une expérience violente et douloureuse pour cet agrégé de philo, broyé par la puissance du format.
Le 15/04/2013 à 00h00
Propos recueillis par Richard Sénéjoux
Remplacer Ali Baddou au poste de chroniqueur livres du Grand journal n'était pas chose aisée. Ollivier Pourriol a pourtant accepté cette mission lors de la saison 2011-2012 de l'émission vedette de Canal+. Ce philosophe y a vécu l'enfer et le raconte dans On/OFF, un livre qui fait grand bruit et sort ce lundi 15 avril 2013 en librairie.
Pourquoi avez-vous eu envie d'écrire ce livre ?
J'avais besoin de me réparer tant l’expérience a été violente. C'était de l’ordre de la souffrance physique. Dans cette grande machine à laver le cerveau qu’est Le grand journal, je me suis retrouvé dispersé, psychiquement atomisé, désintégré. Quand vous arrivez sur le plateau, c'est comme dans le film Gladiator : vous êtes projeté dans une arène, avec la scène qui s’ouvre, les lumières qui vous aveuglent, les cris de la foule… Le temps s’accélère, ça vous coupe littéralement de la réalité. J’avais besoin de retrouver une temporalité et de répondre à plusieurs questions : pourquoi j'ai accepté, pourquoi je suis resté si longtemps...
Sur la forme, le livre surprend, puisqu’il n’est constitué que de dialogues. On a l’impression d’assister à une pièce de théâtre…
Je n’aime pas les livres de blessure. Je ne voulais pas non plus être guidé par l’amertume, même s’il y en a bien sûr. Une œuvre m'a inspiré : Deception (titre français : Tromperie), de Philip Roth. Un livre qui n'est fait que de dialogues non attribués, sans aucune description.
“Le système de valeur qui
sous-tend tout ça, c’est la triche.”
Sur le site du Point, Renaud Le Van Kim, le producteur de l’émission avec Michel Denisot, estime que vous avez dû enregistrer les gens à leur insu, vu le détail des dialogues rapportés…
En m’engageant, il m’avait dit que « j’étais soluble dans l’ADN de l’émission ». J’aurais dû me méfier ! (rires). Evidemment, je n’ai rien enregistré. Les conversations entre les personnes de l’équipe étaient assez rares pour qu’on s’en souvienne. Et les propos tenus tellement hallucinants qu’ils se sont gravés dans mon cerveau. Ce que je raconte, tout le monde le sait. Renaud Le Van Kim cherche à déligitimer mon acte, qui est littéraire.
On/Off est sous-titré « comédie », ce qui en renforce encore l'aspect théâtral…
A l’intérieur du Grand Journal, c’est une tragédie. En m’en détachant, je l’ai vécu comme une comédie. Quand on voit les animateurs et chroniqueurs intervenir à la télé, on a l’impression que ce sont des personnes. Tout le monde a l'air d'être cool, mais ne l’est pas du tout. Ce sont des rôles, des archétypes.
Au cours d'une discussion, le rédacteur en chef vous dit « On ne parle pas des poètes morts » au Grand Journal. Ça a l'air de vous avoir étonné ?
Ce jour-là, j’ai compris que je n'y arriverais pas. Je ne pouvais pas faire de citations, être dans l’énumération… Quand un grand écrivain est invité au Grand journal, ce qui compte ce n’est pas le mot « écrivain », c’est le mot « grand ». Il faut que ce soit un phénomène, qu’il y ait du bruit autour. Ce qu'il y a dedans, tout le monde s’en fout !
Pour vos chroniques, on vous conseille même de ne lire que le début, la page 100 et la fin des livres pour gagner du temps...
Tout ce que je suis m’a été nié, les yeux dans les yeux. Le système de valeur qui sous-tend tout ça, c’est la triche, la glorification du cancre.
Vous décrivez un univers très dur, hyper individualiste, où l’argent règne en maître…
Les salaires sont très élevés. Je gagnais 10 000 euros par mois, mais pour d'autres, ça peut être beaucoup plus. Pour moi, ça a été le prix de ma douleur.
C'est l'argent qui vous a fait tenir ?
Oui, évidemment ! Mais pas seulement. J’ai essayé de m’adapter au système, pensant que je pourrais faire les choses à ma manière. J’ai échoué. Cette saison, Augustin Trapenard, qui m'a remplacé, s’en sort très bien.
Un technicien compare Michel Denisot à un « superprédateur, qui se place tout en haut de la chaîne alimentaire, peut bouffer tout le monde mais que personne ne peut bouffer… » Plutôt effrayant, non ?
Ça m’a effrayé aussi. C’est lui qui régit le système, fondé sur des statuts immuables (les gens de l’antenne, la rédaction en chef, les techniciens, les petites mains…). Les fichistes, qui résument livres, films etc. pour les animateurs abattent par exemple un travail exceptionnel. Sauf que personne ne le sait. Mais le plus violent reste l’absence de rapports entre les gens. Personne ne se voit en dehors du plateau.
“Le pire piège, ce serait de rire
ensemble de toute cette comédie.”
Dans l’ensemble, vous vous donnez quand même le beau rôle : seules vos interventions contiendraient un temps soit peu d'intelligence. Un peu facile, non ?
Ma première intervention face à François Hollande est catastrophique, pourtant je la raconte. Et la honte de cette négation en tant qu'intellectuel, c'est une morale que je fais à moi-même, pas aux autres. La plupart des gens dont je parle (producteurs, chroniqueurs, journalistes…) sont intelligents. Chacun remplit son rôle en toute conscience.
Vous participez une fois par mois au Cercle sur Canal + Cinéma , une émission de critiques. Avec ce livre, vous risquez de perdre votre place…
Je ne sais pas. Ceux qui m’aiment m’ont déconseillé de faire ce livre pour ne pas me griller. Je continue mes conférences dans les cinémas MK2. Et je m'attellerai bientôt à un roman ou à un film.
Les producteurs ont fait savoir qu’ils vous invitaient au Grand journal pour parler de votre livre. Allez-vous y aller ? Bien sûr que non. Ce serait nier tout ce que j’ai fait. Le pire piège, ce serait de rire ensemble de toute cette comédie. Pour rire ensemble, il faut avoir confiance.