par Fidel Cienaga » 06 Oct 2006, 17:34
peezee, Très bon texte de défense par Baubérot dans le monde du 05/10 de Redeker, même si ce dernier est un parfait neocon islamophobe.
Je ne résiste pas au plaisir de vous en faire part.
"Nous cheminons sur une route bordée de deux gouffres profonds. Je crains que
les intellectuels signataires de l'"appel en faveur de Robert Redeker" (Le
Monde du 3 octobre) n'aient vu qu'un seul précipice et qu'ils reculent
horrifiés devant lui au risque de tomber au fond du ravin qu'ils n'ont pas
voulu voir.
Mon accord avec eux est complet en ce qui concerne la défense vigilante de la
liberté d'expression. Je me joins tout à fait à leur appel solennel " aux
pouvoirs publics afin, non seulement, qu'ils continuent de protéger comme ils
le font déjà Robert Redeker et les siens, mais aussi que, par un geste
politique fort, ils s'engagent à maintenir son statut matériel tant qu'il est
en danger". Je signe des deux mains et je veux, moi aussi, résister à "une
poignée de fanatiques (qui) agitent de prétendues lois religieuses" pour
remettre en question "nos libertés les plus fondamentales".
Mais déjà là, je me demande si ces intellectuels mesurent bien l'ampleur du
gouffre. Cette "poignée de fanatiques" n'existe malheureusement pas dans un
vide social. Alors que la fin de la guerre froide, l'effondrement du mur de
Berlin aurait pu augmenter la qualité du débat démocratique en le rendant moins
manichéen, c'est le contraire qui s'est produit. De divers côtés, on assiste à
la multiplication d'indignations primaires, de propos stéréotypés qui veulent
prendre valeur d'évidence en étant mille fois répétés par le moyen de la
communication de masse. L'évolution globale est inquiétante, et cela est dû à
la fois à la montée d'extrémismes se réclamant de traditions religieuses (au
pluriel) et d'un extrême centre qui veut s'imposer socialement comme la
(non-)pensée unique et rejette tout ce qui ne lui ressemble pas.
Il faut donc regarder de plusieurs côtés à la fois. On peut, on doit défendre
les droits élémentaires d'une personne sans abandonner tout esprit critique à
son égard. "Quel que soit le contenu de l'article de Robert Redeker" écrivent
les signataires sans autre précision. Je regrette, là je ne peux plus du tout
les suivre. Combattre le gouffre de l'intolérance n'implique pas de se coucher
devant la bêtise haineuse. Au contraire, les deux combats n'en font qu'un. La
Ligue des droits de l'homme l'a compris, qui défend Robert Redeker tout en
refusant ses "idées nauséabondes". Son article prône, en effet, une reprise,
contre l'islam dans son ensemble, du discours maccarthyste contre le
communisme. L'Occident est le "monde libre", paré de toutes les vertus face à
un islam monolithique et diabolisé. Et naturellement, l'auteur dénonce les
"intellectuels qui incarnent l'oeil du Coran, comme ils incarnaient l'oeil de
Moscou, hier" et "ne s'opposent pas à la construction de mosquées".
Pour masquer sa propre ignorance, M.Redeker cite des extraits de l'article
"Muhammad" écrit par Maxime Rodinson dans l'Encyclopaedia Universalis et en
conclut : "Exaltation de la violence : chef de guerre impitoyable, pillard,
massacreur de juifs, polygame, tel se révèle Mahomet à travers le Coran." Il
suffit de se reporter à l'article du grand savant pour constater à quel point
et le ton et le contenu lui-même sont d'une autre planète. On pourrait, avec
plus de citations encore, tirer de cet article une apologie de Muhammad.
Rodinson écrit par exemple : Muhammad "montra, en bien des cas, de la clémence
et de la longanimité, de la largeur de vues et fut souvent exigeant envers
lui-même. Ses lois furent sages, libérales (notamment vis-à-vis des femmes),
progressives par rapport à son milieu".
Naturellement je donne cette citation comme un contre-exemple et seulement pour
montrer à quel point M. Redeker effectue un usage inadmissible, par son
caractère tronqué et unilatéral, des dires de M. Rodinson. Ce dernier n'a écrit
ni une dénonciation haineuse ni une apologie. La lecture de texte qu'opère
Redeker est inadmissible s'agissant d'un professeur de philosophie dont le
devoir professionnel serait d'enseigner l'objectivation, la prise de distance à
l'égard de ses affects, l'analyse critique. Le soutenir doit donc s'accompagner
de la mise en cause du contenu et de la forme de ses propos.
Non, je ne comprends vraiment pas le "quel que soit le contenu de l'article" et
je ressens cela comme une grave menace pour la liberté de penser elle-même.
J'imagine la situation en 1894 ; supposons une minute qu'ait existé alors un
groupe d'extrémistes menaçant Edouard Drumont ou un autre publiciste antisémite
(qui lisaient les textes exactement de la même manière), pouvons-nous concevoir
ceux que l'affaire Dreyfus allait faire qualifier d'intellectuels écrivant pour
défendre le publiciste attaqué : "quel que soit le contenu des articles de La
Libre Parole (l'organe de Drumont)..." ? La recherche historique montre que
tous les thèmes antidreyfusards circulaient avant l'affaire Dreyfus. De tels
stéréotypes sont permanents ; seules changent les minorités qu'ils transforment
en boucs émissaires. La lutte contre l'intolérance ne dispense pas de la lutte
contre la bêtise haineuse. "
Le moloch marseillais en engloutira un autre et les lueurs rougeoyantes de ce brasier distrairont les derniers fous qui croient soutenir un grand club.@Serguei