Introduction :
La société Free, filiale du groupe Iliad, est devenue depuis plus de 10 ans un des acteurs majeurs du marché des télécommunications. En effet, elle a d’abord fait figure de pionnière sur le marché de l’internet en 1999 avec la première offre internet sans abonnement ni numéro surtaxé. Par la suite, à partir de novembre 2002, Free a surfé sur la vague de l’internet ADSL en lançant une offre groupée dite « triple play », proposant des services d’accès à une connexion internet ADSL illimitée, de téléphonie illimitée vers les fixes et de télévision, le tout en cassant les prix et en forçant ses concurrents à s’aligner.
Cette offre révolutionnaire et très bon marché (30€) a longtemps poussé Free à utiliser des manœuvres qualifiées de déloyales pour faire gonfler la note du consommateur, ce qui lui a valu d’être attaqué en justice par l’association de consommateurs « UFC Que choisir » à de nombreuses reprises, et d’être condamné, lui donnant même la réputation d’être un « très mauvais élève » concernant le respect des règles du droit de la consommation.
Malgré cela, devant le succès de sa stratégie commerciale (4.7 millions d’utilisateurs en 2011), Free s’attaque désormais au marché de la téléphonie mobile où il s’apprête à utiliser les mêmes méthodes, c’est-à-dire à proposer un maximum de services à bas prix, en jouant au maximum sur les marges. L’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile est devenue possible après que l’ARCEP (l’autorité qui a la charge d’accorder les licences mobiles) lui ait attribué la quatrième licence de téléphonie mobile de troisième génération (« 3G ») le 18 Décembre 2009. Les enjeux résultant de cette décision valent la peine de se pencher sur les raisons et conséquences de l’arrivée sur le marché de Free ainsi que des moyens que ce nouvel acteur déploiera notamment pour être compétitif.
Un contexte favorable pour un quatrième opérateur
Selon Olivier Beddeleem, enseignant-chercheur à l’EDHEC Business School, « la stratégie juridique peut consister à anticiper l’évolution législative, ou à influencer l’évolution législative ». C’est la stratégie qu’a suivie Free en surfant sur les promesses de défense du pouvoir d’achat du président actuel de la République, notamment en faisant un lobbying efficace pour obtenir la quatrième licence de téléphonie mobile, promettant une baisse significative des prix, qui équivaudrait à baisser de moitié le budget de téléphonie mobile des ménages, selon Xavier Niel, le directeur de Free. Justement, le critère de la baisse des prix a été retenu par l’ARCEP dans sa décision d’accorder à Free cette licence en déclarant que « l’arrivée de ce nouvel acteur devrait avoir un effet favorable sur la dynamique du marché de la téléphonie mobile, et, plus généralement devrait être un facteur positif pour le développement des services de communications électroniques. » Cette décision est d’autant plus compréhensible que l’une des missions premières de l’ARCEP dans le domaine des télécommunications et de « veiller à l’exercice d’une concurrence effective et loyale au bénéfice du consommateur. »
Ce lobbying se révélera payant dans la mesure où il permettra à Free de bénéficier de plusieurs « aides » de la part des pouvoirs publics, l’aidant à réduire ses coûts d’entrée sur le marché. En effet, le prix versé par Free pour obtenir la fameuse licence d’exploitation est passé de 619 millions d’euros (prix payé par les trois opérateurs déjà en place) à 240 millions d’euros. En contrepartie, Free ne dispose que d’une bande de fréquence de 5 mégahertz, soit trois fois moins que ses concurrents, ce qui aura une incidence certaine sur la performance du réseau, mais relative car elle restera suffisante pour la grande majorité des opérations. Cette « licence à prix cassés » se révèle être une excellente affaire pour Free qui partira avec un avantage que ses concurrents n’auront pas eu en leur temps, ce qui rend son arrivée sur le marché plus facile.
En outre, la baisse significative (de plus de 73% d’ici 2013) des tarifs de « terminaisons d’appels » imposés par la Commission Européenne à l’ARCEP constitue un autre « coup de pouce » salutaire qui aidera Free Mobile à proposer des offres intéressantes pour le consommateur. En effet, les terminaisons d’appels représentent un coût non négligeable pour les opérateurs qui doivent verser une redevance à la minute (fixée par l’ARCEP) à leur concurrent qui prend en charge sur ses lignes le reste de l’appel lorsqu’un utilisateur d’un réseau d’un des opérateurs appelle un autre utilisateur d’un autre opérateur. Cette évolution permettra à Free de proposer à moindre coût une offre illimitée à tout moment de la journée, lui donnant un avantage certain sur ses concurrents.
De même, le coût d’entrée sur le marché se fera plus facilement pour Free qui pourra, comme l’exige l’ARCEP, utiliser le réseau GSM (la 2G) d’un des trois autres opérateurs téléphoniques pour les appels classiques et les SMS, en attendant de disposer de son propre réseau. Cet opérateur sera Orange, après négociation sur un accord d’itinérance 2G et 3G entre les deux concurrents le 3 Mars 2011, permettant aux futurs utilisateurs de Free Mobile de bénéficier d’un réseau d’excellente qualité malgré le retard technologique pris par l’arrivée tardive de Free sur le marché (plus de dix ans plus tard). Ainsi, Free, en utilisant les antennes de son concurrent, n’aura pas à débourser des sommes astronomiques pour l’élaboration complète de son réseau national, car seuls 27% de couverture seront nécessaires pour obtenir l’aval de l’ARCEP. Encore une fois, cela permettra de tirer les prix des forfaits par le bas.
Enfin, Free Mobile s’est également positionné sur un appel d’offre de l’ARCEP pour une licence 4G en déboursant 271 Millions d’EUROS, lui donnant accès à une quantité de fréquence de 20 mégahertz.
Les obligations imposées à Free avec l’attribution de la licence
En obtenant la quatrième licence de téléphonie mobile 3G, la société Free Mobile s’est néanmoins vue imposer plusieurs obligations de la part de l’ARCEP. Pour commencer, Free Mobile devra atteindre le seuil de 27% de couverture du territoire avant d’être autorisé à exploiter sa licence. La société a déclaré avoir dépassé ce seuil, et atteint les 30%, ce qui devrait être confirmé par l’audit de l’ARCEP qui doit inspecter le réseau de Free Mobile avant de se prononcer. Par ailleurs, en contrepartie de l’attribution de la licence, « Free Mobile s'engage à ouvrir commercialement son réseau mobile au plus tard deux ans après la délivrance de l'autorisation et à couvrir, d'ici huit ans, au moins 90 % de la population par son réseau 3G ». Ainsi, les faveurs accordées par l’ARCEP ne sont que provisoires, et Free Mobile devra disposer de son propre réseau, couvrant la quasi-totalité de la population d’ici 2018.
De même, lors de l’autorisation de l’ARCEP en 2009, il a été déclaré que : « Free Mobile prend également de nombreux engagements concernant l’accueil des opérateurs mobiles virtuels (MVNO), sur les plans commercial, contractuel et technique. Il s’engage notamment à accueillir des MVNO " complets " (" full MVNO ") sur son réseau. » En d’autres terme, Free participera au développement de ces opérateurs mobiles virtuels utilisant les infrastructures des opérateurs licenciés, tout comme ses concurrents, ce qui aura encore plus d’impact une fois que le nouvel entrant sur le marché couvrira 90% du marché. Cela devrait contribuer à faire durablement baisser les prix de la téléphonie mobile. Cette obligation d’accueillir des opérateurs mobiles virtuels MVNO se concrétise avec l’engagement pris par Free Mobile lors de l’appel d’offre pour les premières licences de fréquences à très haut débit dites « 4G » en Septembre 2011 à ouvrir son futur réseau.
Les polémiques autour de l’attribution de licence à Free Mobile
L’arrivée de Free sur le marché de la téléphonie mobile inquiète beaucoup les opérateurs déjà présents. Ils ont usé de tous les recours possibles pour empêcher dans un premier temps l’attribution d’une quatrième licence, arguant que le marché de la téléphonie mobile n’était pas propice à l’existence d’un nombre important d’opérateurs, car il nécessitait des capitaux importants. Ces recours des concurrents de Free Mobile traduisent une crainte compréhensible notamment du fait de la stratégie de Free Mobile. En effet, il est très probable que Free applique les mêmes méthodes que celles qui ont fait son succès sur le marché de l’offre internet, c’est-à-dire une stratégie de prix cassés, obligeant les concurrents à s’aligner, et provoquant ainsi une baisse généralisée des prix et des marges faites par les concurrents (fournisseurs d’accès internet ou les opérateurs de téléphonie mobile dans ce cas précis).
Par ailleurs, comme il a été mentionné auparavant, Free Mobile a obtenu la quatrième et dernière licence de téléphonie mobile 3G en 2009 contre une somme de 240 millions d’euros. Ce prix a déclenché la colère des trois opérateurs déjà en place, qui avaient dû débourser 619 millions d’euros en 2000 pour la même acquisition. C’est pour cette raison que les concurrents de Free Mobile ont estimé qu’il s’agissait d’une injustice. Ainsi, Orange, SFR et Bouygues Telecom ont d’abord porté plainte et demandé l’annulation de la décision de l’ARCEP en avançant qu’il s’agissait d’une aide illégale de l’Etat faisant de fait atteinte à la concurrence. Ils ont été débouté par le Conseil d’Etat le 12 Octobre 2010 qui a suivi l’avis du rapporteur de la République et statué en faveur de Free Mobile, jugeant que « le montant de la redevance fixe due par le quatrième opérateur de 240 millions d’euros n’était ni sous-évaluée ni discriminatoire par rapport au montant versé en 2001-2002 pour les trois opérateurs mobiles en place (619 millions d’euros) ». Une des raisons de cette décision réside dans le fait que Free Mobile ne disposerait que d’une capacité hertzienne quatre fois plus petite que celle octroyée à ses concurrents, et est arrivé sur le marché avec beaucoup de retard.
Par la suite, un recours a été fait au niveau communautaire, mais la décision intitulée « Décision autorisant la société Free Mobile à utiliser des fréquences pour établir et exploiter un réseau radioélectrique de troisième génération ouvert » de la Commission Européenne du 12 mai 2011 n’a fait que confirmer la conformité et légalité de la future présence de Free sur le marché. La Commission a en effet déclaré dans un communiqué avoir « rejeté les plaintes des trois opérateurs de téléphonie mobile actuellement actifs sur le marché français » pour la bonne raison que « la procédure d’attribution, en 2009, d’une quatrième licence de téléphonie mobile 3G en France n’a pas impliqué d’aide d’Etat au sens des règles européennes » et que « cette attribution s’est déroulée selon une procédure transparente et ouverte » et « a mené à un résultat concurrentiel ».
Conclusion :
L’arrivée sur le marché de la téléphonie mobile de Free Mobile fait couler beaucoup d’encre du fait de la révolution qui s’ensuivra. Cependant, cette procédure n’a pas été évidente pour Free Mobile qui, malgré les faveurs non négligeables qui lui ont été faites, a dû réunir les conditions préalables à l’exploitation de cette licence, et surtout a dû surmonter les attaques de ses concurrents qui ont tout fait pour éviter que Free Mobile vienne leur prendre des parts de marché. Les recours qui ont été faits ont tous été déboutés par les autorités nationales et communautaires, et donc, rien n’empêchera Free Mobile de lancer très prochainement ses offres.