par timolovitch » 16 Mar 2006, 02:37
Je n’ai pas peur de le dire, à 23 ans, je n’ai jamais pris le chemin des urnes le dimanche matin et ce parce que je considérais que je ne disposais pas encore de tous les éléments pour le faire. En effet, combien de jeunes, votent maladroitement avant le réveil de leur conscience politique?
Je n’ai pas peur de le dire, en 23 ans, je n’ai fait qu’étudier. On me disait souvent que le monde du travail, je ne connaissais pas et que je comprendrais le jour où je travaillerais vraiment.
J’ai fait connaissance avec ce fameux monde il y a un mois, puisque je suis actuellement en stage de fin d’études dans une petite entreprise, à l’étranger certes mais dans un pays proche de la France, au propre comme au figuré. Un mois seulement aura été nécessaire pour que je me rende compte à quel point le monde de la vie active pouvait être cruel et inhumain.
Je rentrais parfois à pied avec ce collègue, à la fin des dures journées ou à midi car il habitait sur mon chemin. Malgré le fait qu’il ait vingt cinq ans de plus que mois, quatre enfants à peine plus jeunes que moi pour certains et une vie bien différente de la mienne, on s’entendait bien.
Ce soir, il est venu me dire adieu dans mon bureau et j’ai compris tout de suite que je ne le reverrai plus jamais. Les derniers mots qu’il m’a adressés furent :
« il m’a dit que ce n’était plus la peine que je vienne. À une prochaine Timothée! ».
Le patron venait de le remercier, quinze jours avant le terme de la période d’essai de trois mois à laquelle il était soumis.
Deux jours plus tôt, le patron s’en était pris personnellement et assez violemment à lui, et ce devant tous les autres employés, ne se rendant sûrement pas compte qu’il était en train de l’humilier inutilement en public. Personne ne s’en était offusqué bien sur, qui oserait aller à l’encontre de ce que dit ou fait le patron ? On a tous besoin de son salaire, à la fin du mois.
Je n’ai sûrement pas tous les éléments pour juger de sa valeur mais ce dont je suis sur, c’est que le malheureux mettait de la bonne volonté dans son travail. Il était toujours déjà là le matin quand j’arrivais, et quand on ne partait pas ensemble, il restait toujours après moi. Moi même restant plus longtemps sur mon lieu de travail que le temps normal, je peux vous assurer que mon collègue faisait au moins cinq ou six heures de plus que les 40 heures hebdomadaires légales. Et il était toujours d’une disponibilité infaillible, et ce pour tout le monde, y compris pour le petit stagiaire étranger que je suis. J’avais d’ailleurs entendu le patron l’affirmer quelques jours plus tôt à certains autres collègues :
« question disponibilité, je n’ai rien à lui reprocher ».
Je ne connais pas le motif exact de son licenciement, le patron n’en aura jamais aucun à fournir puisqu’il est dans la légalité la plus totale. Des erreurs ont très certainement dues être commises, mais n’a-t-on pas le droit de se tromper, lors d’une période d’essai durant laquelle on est sensé découvrir sa nouvelle entreprise, ses nouveaux collègues, son nouveau poste ? La motivation et l’envie d’apprendre ne devraient-elles pas être davantage valorisées que l’efficacité et les résultats ? Et ne venez pas me dire qu’à 50 ans, il aurait du avoir acquis toutes les qualités nécessaires pour occuper son nouveau poste. Arriver dans une nouvelle entreprise, c’est devoir se familiariser avec son mode de fonctionnement, avec ses règles, avec ses nombreux produits, surtout pour lui qui s’occupait seul de la logistique. Le monde du travail ainsi que ses outils changeant, il faut continuellement s’adapter, apprendre. Connaissez-vous beaucoup de personnes de plus de 40 ans sachant se servir parfaitement d’un ordinateur ?
Il m’avait un soir confié qu’il n’était pas évident pour lui de connaître autant de références de produits en si peu de temps, que telle personne dans l’entreprise l’aidait beaucoup mais que telle autre n’y mettait pas de bonne volonté et ne lui laissait rien passer. Et j’ai moi-même pu me rendre compte que certains ne l’avaient pas adopté et ne l’adopteraient sûrement jamais, sans que je comprenne exactement pourquoi. Comme la secrétaire qui se montrait odieuse avec lui, le traitant comme un moins que rien et je n’exagère pas. Son travail nécessitant une importante et bonne communication avec cette dernière, je voyais mal comment les choses pouvaient aller en s’améliorant. Je passe ici les discussions ou autres moqueries proférées à son encontre et toujours dans son dos par deux ou trois personnes certainement certaines de valoir mieux que lui.
Il est difficile de s’intégrer dans une entreprise et de s’y faire accepter par tous, je m’en rends bien compte. Les conflits, les jalousies, les erreurs que l’on se rejette les uns aux autres font bien souvent que les nouveaux arrivants ne sont pas bien accueillis. Et je crois ne pas me tromper lorsque j’affirme que la vraie cause de son renvoi n’est pas son efficacité pas encore parfaite certes mais qui le serait sans aucun doute devenue si tout le monde y avait mis du sien (lui y mettait du sien) mais bel et bien parce qu’il ne plaisait pas à tout le monde. Et ce, non pas à cause d’un manque de sérieux ou de sociabilité. Il s’habillait correctement, ne sentait pas mauvais, parlait poliment, avait une attitude décente. C’était un homme d’un certain âge, comme il en existe tant, humble et honnête. Humble comme fut sa façon de venir me dire adieu. Sans en rajouter, sans crier au scandale. Je l’ai entendu dire au revoir au patron et à la secrétaire avant de s’en aller. A sa place, je pense que je serais parti sans leur dire un mot, en claquant la porte. Il a eu du courage d’être si correct.
Comme vous le voyez, la discrimination ne touche pas seulement l’employé au moment de l’entretien de travail ou de la lecture de son CV. Car pour moi cet homme est bien victime ici de discrimination, la seule raison valable de son renvoi étant le fait que certaines personnes ne le supportent pas. Dois-je pour autant blâmer le patron ? Son objectif est que son entreprise fonctionne et soit rentable. Il a fallu qu’il fasse un choix et il a pris la décision la plus simple et la moins coûteuse pour lui. Aucun tribunal ne lui demandera de comptes à rendre. Je ne sais pas par contre si ce sera le cas de celui qu’il vient de licencier lorsqu’il annoncera la triste nouvelle à sa femme et ses enfants. Lui en demanderont-ils la cause ? Comment réagiront-ils ? Des jours difficiles s’annoncent pour cette famille et je suis bien content de la chance que j’ai d’être jeune, célibataire, sans enfants et en stage. Mais je n’aurais pas toujours ce privilège, malheureusement.
J’ai ce soir touché mon premier vrai « salaire » (appelons ça comme cela même s’il s’agit d’un stage). Lorsque le patron me l’a remis, j’ai vraiment apprécié d’être récompensé pour ce long premier mois. Il est agréable de recevoir de l’argent que l’on considère avoir mérité. Quinze minutes plus tard, j’apprenais que juste après avoir payé pour la première fois et ainsi introduit dans la vie active un nouveau travailleur, mon patron en avait exclu un autre.
Avec un certain nombre de billets de 50 euros dans la poche, j’aurais pu quitter le travail le cœur léger, en pensant à ce que j’allais pouvoir m’offrir avec cet argent et que j’allais fêter cela ce soir. J’aurais aussi pu me dire que le licenciement du collègue ne me concernait pas, que c’était le problème du patron et que quelque part la bonne décision avait été prise et que c’était dans le fond mérité. J’aurais pu me dire que finalement ce brave homme, je ne le connaissais que depuis un mois et que dans une semaine, je l’aurais déjà oublié.
Mais ni l’argent ni le temps doux et ensoleillé de ce soir de fin d’hiver n’aura réussi à me rendre joyeux et à effacer ce goût amer présent au fond de ma gorge.
Je n’ai pas peur de vous avouer qu’à la seconde même où mon désormais ancien collègue de travail m’a annoncé la nouvelle, j’en ai eu les larmes aux yeux. Et j’ai eu bien du mal à contenir ces larmes lorsque la secrétaire est monté cinq minutes plus tard et a lancé en riant à ceux qui voulaient bien l’entendre de façon triomphante :
« enfin, il s’en va ! ».
Pour ma part, je me suis penché devant l’écran de mon ordinateur et ne lui ai même pas accordé un regard. Je ne voulais pas qu’elle se rende compte à quel point cette situation m’avait affecté. Je ne lui en veux même pas d’être aussi cruelle. Je m’en veux à moi, d’être aussi émotif et sensible dans un monde aussi cruel. Je n’irai sûrement pas loin dans la vie, comme le dit l’expression populaire. Mais voyez-vous, je n’en ai aucune envie, et ne désire même pas réussir dans cette société aussi immorale et triste.
Je n’ai pas honte de vous avouer que durant le trajet du retour à la maison, j’ai eu du mal à contenir mes larmes. Marchant la tête baissée et évitant le regard des gens, je devais faire peine à voir. Je suis arrivé déprimé (bien que plus riche que le matin même) à l’appartement et j’ai de suite éprouvé le besoin de raconter ma triste journée à ma col locatrice qui est par chance psychologue. Elle aussi a été choquée et je pense que je lui ai plus baissé le moral qu’elle ne m’a remonté le mien.
En revenant en France en septembre prochain, il faudra bien que je me mette à trouver du travail, à 23 ans. Si l’on ne travaille pas directement après les études, on perd le bénéfice de ces dernières, paraît-il et les employeurs voient les périodes d’inactivité d’un mauvais oeil. J’ai appris comme tout le monde que notre gouvernement désire mettre en place ce qu’il appelle Le Contrat Première Embauche (CPE) pour tous les jeunes de moins de vingt six ans. Ce contrat n’est finalement qu’une période d’essai de deux ans, durant laquelle l’employeur pourra mettre un terme quand il le désire au contrat sans avoir à se justifier auprès de son employé ni auprès de quiconque d’ailleurs. Je passe sur le fait que cette réforme ne permettra pas aux jeunes de faire des projets et ce même à courts termes, d’obtenir des crédits auprès des banques ou de s’installer dans la stabilité. Après tout, si cette mesure permet de diminuer le chômage, en admettant bien sur que ce soit le cas, on peut faire quelques concessions.
Je n’ai personnellement pas l’impression que cette mesure puisse être plus efficace que d’autres mesures prises par d’autres gouvernements (les emplois jeunes, les 35 heures) qui elles au moins, sûrement loin d’être parfaites, allaient dans le sens des employés. Car finalement et de manière totalement intuitive, on peut se rendre compte que le CPE profite surtout à l’employeur, lui donnant une encore plus grande liberté de faire ce qu’il lui plait.
Certains jeunes pensent que le CPE leur donnera enfin la chance qu’ils n’ont pas encore eu de prouver leur valeur. Je le leur concède et ne doute de la valeur de personne mais qui nous dit que l’on ne sera jugé que sur sa bonne volonté d’apprendre, son sérieux et sa qualité ? N’est-on pas à l’abris des discriminations ? On a tous été à l’école, je ne pense pas qu’il y ait eu un jour une classe dans laquelle tout le monde supportait tout le monde… Et pour un qui réussira et aura bénéficié de cette loi, combien en auront été victimes et verront leurs illusions perdues? Pour un qui sera bien tombé, combien auront été exploités? Mais de cela vous vous en moquez, vous qui êtes surs de valoir mieux que les autres et de réussir si on vous donne une chance. Et tant pis pour cesles perdants, les meilleurs doivent gagner puisque c'est la loi dans cette société. Et ne venez pas me dire que je ne propose rien car des choses à proposer, il y en a toujours, et croyez moi meilleures qu'une augmentation de la période d'essai, du moins meilleures pour nous les jeunes! Et puis soyons honnêtes, pensez vous que 2 ans soient vraiment nécessaires pour que le patron se rende compte si son nouvel employé fait bien l'affaire? Je pense pour ma part que 1 ou 2 mois sont hautement suffisants!
Le monde du travail est un monde aussi cruel et impitoyable que celui du collège. Si vous ne plaisez pas à la secrétaire, à la femme du patron ou à l’employé ayant le plus d’ancienneté, votre patron n’aura sans doute pas d’autres choix que de vous remercier sans avoir à évoquer votre valeur intrinsèque. Vous n’aurez pas besoin de faire une faute grave. Et je ne vous parle pas ici des patrons profiteurs et inhumains qui exploitent les salariés et à qui cette mesure convient parfaitement. Certains pourront venir me dire que ce n’est pas dans l’intérêt du patron de former un petit jeune pour le virer sans raison après, mais il existe des métiers ou des postes pour lesquels on n’a pas besoin d’être beaucoup formés pour commencer à être rapidement productifs. Et d’autres pour lesquels les études suivies suffisent à la formation. Je ne dis pas que tous les patrons sont des voyous loin de là mais il en existe et dans l’exemple développé ci-dessus, je n’ai certainement pas pris le plus odieux des chefs.
Je vais être honnête et vous dire qu’en politique, mon cœur est encore à prendre puisque je n’ai jamais voté. Je ne pense cependant pas voté lors des prochaines élections présidentielles en 2007, échéance que beaucoup d’hommes politiques attendent avec excitation et espoir, pour un candidat qui aura prôné, soutenu ou tenté d’introduire ce fameux CPE qui n’est pas pour moi la solution aux problèmes des jeunes de ce pays. Tant bien même ce fameux CPE permettrait de réduire le chômage, je ne pense pas qu’il réduirait la misère ou la précarité mais bien qu’il l’augmenterait de façon significative. Le taux de chômage des Etats-Unis d’Amérique est de 4%, et ce n’est pourtant pas vraiment un exemple à suivre ni un pays ou tout le monde vit décemment et au dessus du seuil de pauvreté.
J’ajouterai que je ne me trouve pas en France en ce moment et n’ai donc pas été manipulé par un quelconque syndicat ou une quelconque organisation étudiante. Je ne suis pas pris par ce flot grisant des manifestations étudiantes. Mais je pense sincèrement que je les approuve et espère qu’elles dureront jusqu’à l’annonce pure et simple du retrait du projet de loi sur le CPE. Car ce n’est pas la solution pour nous les jeunes et nous ne sommes pas obligés d’accepter l’inacceptable sous prétexte que ce gouvernement est sensé nous représenter.
Certains politiques pourraient me dire que je suis mal tombé et que l’ambiance est excellente dans la plupart des entreprises. Il est vrai que nos hommes politiques nous donnent un bel exemple en se chamaillant, se trahissant, se dénonçant (et encore je suis gentil) constamment les uns et les autres, y compris entre membres de mêmes partis ou courants politiques. Mais telle est la nature humaine et il est logique que les entreprises, les cours d’école, les stades de football ou encore l’Assemblée Nationale soient à une seule et même image : celle de la société.
Pour ceux qui pensent que je ne suis qu’un propagandiste de gauche, je leur signalerais que j’ai autre chose à faire que de passer mes soirées à écrire un texte qui ne sera sûrement jamais lu par personne. Il est 2 heures du matin et m’attend demain une autre journée de travail, durant laquelle il faudra être efficace et éveillé. Si j’ai écrit ce texte, c’est parce que j’en ai éprouvé un profond besoin. Ce même besoin de révolte qui pousse en France les jeunes pas encore entrés dans la logique individualiste et égoïste (mais cependant compréhensible) du monde du travail.
Ce soir, j'ai simplement voulu dire stop et dénoncer ce que je considère comme étant inadmissible. Certains m'accuseront de ne me baser que sur un exemple de ma vie personnelle et d'être sous le coup de l'émotion de ma dure entrée dans le monde du travail. je leur répondrai que les licenciements et la misère des gens m'ont toujours rendu extrêmement triste. Mais y assister "en direct" est bien différent que d'y assister en regardant la télévision et cela m'a donné envie de me battre contre les injustices sociales. Ils avaient bien raison, je ne connaissais rien du monde du travail. Au bout d'un mois, il m'a déjà fait pleurer une fois. Et devant la majorité indifférente, je tenais à le signaler, même si j'ai honte d'être si faible par rapport à ceux que le malheur des autres ne touchent pas (plus).
Je vais à présent me relire, corriger mes fautes et vous remercier de m’avoir lu. Je suis fatigué mais me lèverai tôt demain matin pour prendre le temps de bien m’habiller et de bien me coiffer. J’espère plaire à la secrétaire et ne pas être le prochain à être pris en grippe (je me méfie à présent des sourires qu’elle me lance). Elle-même plait certainement bien au patron, elle a les atouts pour et entre elle et moi, il n’hésitera sûrement pas longtemps. Les mois prochains, je serai hypocrite et je leur sourirai tous les matins en leur disant bonjour, comme si de rien n’était et comme si au fond de moi, rien ne bouillonnait. Mais cette hypocrisie est nécessaire pour avoir un bon rapport de stage ainsi qu’un bon CV. Mon avenir en dépend et j’aurai aussi un jour moi aussi le besoin de gagner ma vie.
Je ne sais pas à partir de quel âge ou de quel moment de ma vie la nécessité de gagner de l'argent me rendra individualiste et égoiste au point de ne pas voir qu'à mes cotés d'autres sont plus à plaindre et sont plus malheureux.
Nico je crois que je vais demissioner de mon taf pour me consacrer pleinement à la nuit, je vois bien qu'elle a besoin de moi @ un vrai bringueur pote de flashy