pretender a écrit:Je continue mes posts soli
Je suis allé voir Le sel de la terre, un voyage avec Sebastião Salgado.
Un doc de Wim Wenders (qui donc n'est pas à ranger dans le même genre que ses films), dont l'idée est de revenir sur la carrière de Sebastião Salgado, photographe brésilien.
J'avais eu l'idée en allant le voir, après avoir lu le synopsis du doc, que j'allais me régaler devant de magnifiques paysages tout au long du film. J'ai vite déchanté, on voit effectivement de superbes photos et paysages, mais durant la dernière demie-heure du doc.
Les images de la première partie du doc' (et aussi + longue) sont d'un tout autre genre.
Cette première partie est d'un autre genre, le doc revient sur la plus grande partie de la carrière de S. Salgado, à savoir une photographie sociale, très politique. Ces clichés sont terribles et choquent car on y voit des photographies de conflit, d'exodes, et de famines, que ce soit en AmSud, en Afrique ou en Europe. Il est question de dignité humaine et d'humilité.
Je ne connaissais pas l'oeuvre de ce photographe donc j'ai été curieux de le découvrir là, et me voilà curieux d'aller jeter un oeil plus profond à ces clichés. Néanmoins, je suis ressorti de la séance, partagé entre la beauté de certains clichés, sans doute la volonté modeste de montrer au monde la nature humaine et les ravages des conflits, et le fait de juger qu'il y avait là un côté extrêmement dérangeant à prendre ces clichés. Comme lorsqu'on voit S. Salgado prendre des photos de famine, voir les personnes qui l'accompagnent, et lui ne dire mot de comment il pouvait s'approvisionner.
Cet aspect de photographier la misère aussi, même si ça n'a pas de mauvaise volonté chez lui, mais il y a toujours un aspect qui fait colon avec lequel j'ai beaucoup de mal.
C'est un très beau documentaire ou plutôt une belle présentation et revue de l'oeuvre de S. Salgado mis à part cela, mais il ne faut vraiment pas y aller dans l'idée de se détendre. C'est le genre de document à projeter dans les classes auprès d'élèves de lycée.
Si le sujet t'intéresse, tu peux jeter un œil sur les travaux de James Nachtwey (gaffe c'est très dur, mais son approche est moins esthétisante que celle de Salgado), de Don Mc Cullin, de Reza ou de Steve McCurry par exemple, ou dans un autre genre sur ce que fait Nick Brandt aujourd'hui.
Concernant le fait de montrer ou de ne pas montrer, c'est un très vieux débat que tout photographe, caméraman ou journaliste affronte et doit garder en tête. En même temps, grâce à ce travail-là, la liberté d'information survit tant bien que mal dans un monde de plus en plus uniformisé et opaque en dépit d'une transparence de façade claironnée partout.
Ça ne veut pas dire qu'on peut tout montrer, certainement pas, d'ailleurs ces photographes t'expliquent qu'ils s'imposent des choix très difficiles et ont parfois du mal à poursuivre leur travail dans certains cas. Si certaines photos te choquent, c'est normal, car elles doivent choquer et témoigner de la souffrance, de la guerre, de la maladie et de la mort face à l'indifférence générale.
La question du voyeurisme est tout à fait pertinente, mais il faut la poser en d'autres termes qu'il y a trente ans, à l'époque où les grands reporters avaient infiniment plus de moyens, de prestige et de soutien à travers des organes de presse bien plus influents. Salgado a souvent été montré du doigt - comme d'autres -notamment à partir des années 90, pour autant, je ne suis pas certain qu'il gagne autant par an qu'un sous-consultant sur MCS par semaine. J'ajoute que les risques ne sont pas les mêmes.
Prenons un exemple pour pour y voir plus clair.
Lors de la mort de Lady Diana, le photographe de garde à l'agence Gamma (de mémoire), était Jacques Langevin. Il fut le premier à arriver sur les lieux et fit son travail, en rapportant des images de l'accident après avoir procédé de lui-même à un tri de ce qui était de l'ordre de l'information, et de ce qui ne l'était pas (exercice parfois très difficile).
Dix ans plus tôt, ce même photographe se trouvait sur la place Tien' anmen lorsque l'armée chinoise ouvrit le feu sur les étudiants qui manifestaient. Il eut le temps de prendre quelques clichés avant d'être lui-même légèrement blessé par un éclat de balle et ne dut son salut qu'à la chance (en se couchant derrière un arbre). Il parvint ensuite, au prix de trésors de patience, de prudence et d'imagination, à cacher puis à envoyer ses films à Paris par l'intermédiaire d'un touriste qui quittait le pays, et ce, malgré la censure et les filtres mis en place (la plupart des films furent confisqués et détruits par les autorités chinoises). Quarante-huit heures plus tard, coincé dans l'hôtel avec le reste de la presse internationale, il fut l'un des auteurs de la célèbre photo ci-dessous, avant d'être obligé de rentrer en France sans pourvoir poursuivre son travail.
http://www.archive.worldpressphoto.org/ ... %3Adat6970
http://blogs.lexpress.fr/media/2009/05/ ... nanmen_un/