l'État abolit à sa manière les distinctions de naissance, de rang social d'éducation, de profession, quand il décrète que naissance, rang social, éducation, profession sont des distinctions non politiques; quand, sans tenir compte de ces différences, il proclame que chaque membre du peuple participe, à un titre égal, à la souveraineté populaire; quand il traite tous les éléments de la vie réelle du peuple du point de vue de l'État. Et pourtant, l'État laisse la propriété privée, l'éducation et la profession agir à leur façon et affirmer leur nature particulière, c'est-à-dire en tant que propriété privée, éducation et profession. Loin de supprimer ces différences réelles, il n'existe en vérité que grâce à elles, il ne se sent politique et ne peut affirmer son universalité qu'en s'opposant à ces éléments. C'est pourquoi Hegel définit d'une façon parfaitement juste le rapport entre l'État politique et la religion quand il dit : "Pour que […] l'État puisse devenir la réalité consciente et morale de l'esprit, il doit se différencier de la forme de l'autorité et de la foi. Mais cette distinction ne se manifeste que lorsque la sphère ecclésiastique en vient à se diviser elle-même; car c'est seulement ainsi que l'État, par-dessus les Églises particulières, a acquis l'universalité de la pensée, le principe de sa forme, et qu'il lui donne existence."
Assurément Ce n'est qu'en s'élevant ainsi au-dessus des éléments particuliers que l'État s'érige en universalité.
L'État politique achevé est essentiellement la vie générique de l'homme par opposition à sa vie matérielle. Toutes les conditions de cette vie égoïste continuent à subsister, en dehors de la sphère de l'État, dans la société civile, mais comme attributs de la société civile. Là où l'État politique est parvenu à son épanouissement véritable, l'homme mène, non seulement dans la pensée, dans la conscience, mais dans la réalité, dans la vie, une vie double, une vie céleste et terrestre : la vie dans la communauté politique où il s'affirme comme un être communautaire et la vie dans la société civile, où il agit en homme privé, considère les autres comme des moyens, se ravale, lui-même au rang de moyen et devient le jouet de puissances étrangères. L'État politique se comporte envers la société civile d'une manière aussi spiritualiste que le ciel envers la terre. Il se trouve envers elle dans la même opposition, il en vient à bout de la même manière que la religion surmonte la limitation du monde profane, c'est-à-dire qu'il est de nouveau contraint de la reconnaître, de la rétablir et de se laisser lui-même dominer par elle. Dans sa réalité la plus immédiate, dans la société civile, l'homme est un être profane. Et c'est justement là où, à ses propres yeux et aux yeux des autres, il passe pour un individu réel, qu'il est une figure sans vérité. En revanche, dans l'État, où il est considéré comme un être générique, l'homme est le membre imaginaire d'une souveraineté illusoire, dépouillé de sa vie réelle d'individu et empli d'une universalité irréelle. […]
Considérons un instant ce qu'on appelle les droits de l'homme; voyons ces droits sous leur forme authentique, sous la forme qu'ils possèdent chez leurs révélateurs, les Américains du Nord et les Français ! Ce sont pour une part, des droits politiques, des droits qui ne peuvent être exercés qu'en association avec autrui. Leur contenu, c'est la participation à la communauté, plus exactement à la communauté politique, à la vie de l'État. Ils rentrent dans la catégorie de la liberté politique, dans la catégorie des droits civiques qui, comme nous l'avons vu ne présupposent en aucun cas l'abolition inconditionnelle et positive de la religion, ni, par conséquent, du judaïsme. Il nous reste à examiner l'autre partie des droits de l'homme, les droits de l'homme dans la mesure où ils sont différents des droits du citoyen.
Au nombre de ces droits, on trouve la liberté de conscience, le droit d'exercer le culte de son choix. Le privilège de la foi est expressément reconnu, soit comme un droit de l'homme, soit comme la conséquence d'un des droits de l'homme, la liberté.
L'incompatibilité de la religion avec les droits de l'homme est si peu incluse dans la notion des droits de l'homme qu'au contraire le droit d'être religieux, de l'être à sa convenance et de pratiquer le culte de sa religion particulière, figure en toutes lettres parmi les droits de l'homme. Le privilège de la foi est un droit universel de l'homme.
On distingue les droits de l'homme comme tels des droits du citoyen. Quel est cet homme distinct du citoyen ? Nul autre que le membre de la société civile. Pourquoi le membre de la société civile est-il nommé "homme", homme tout court; pourquoi ses droits sont-ils dits droits de l'homme? Comment expliquons-nous ce fait ? Par la relation entre l'État politique et la société civile, par la nature de l'émancipation politique.
Avant tout, nous constatons que ce qu'on appelle les "droits de l'homme", les droits de l'homme distingués des droits du citoyen, ne sont autres que les droits du membre de la société civile, c'est-à-dire de l'homme égoïste, de l'homme séparé de l'homme et de la communauté. Laissons parler la constitution la plus radicale, la constitution de 1793
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Art. 2. "Ces droits, etc. (les droits naturels et imprescriptibles) sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété."
En quoi consiste la liberté?
Art. 6 "La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d'autrui", ou, d'après la Déclaration des droits de l'homme de 1791 : "La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui."
Ainsi, la liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Les limites dans lesquelles chacun peut se mouvoir sans préjudice pour autrui sont fixées par la loi, comme les limites de deux champs le sont par le piquet d'une clôture. Il s'agit de la liberté de l'homme, comme monade isolée et repliée sur elle-même. Pourquoi, d'après Bauer, le juif est-il inapte à obtenir les droits de l'homme ? "Tant qu'il reste juif, la nature bornée qui fait de lui un juif l'emportera sur la nature humaine qui devrait l'unir aux autres hommes, et le séparera des non-juifs."
Or le droit humain de la liberté n'est pas fondé sur l'union de l'homme avec l'homme, mais au contraire sur la séparation de l'homme d'avec l'homme. C'est le droit de cette séparation, le droit de l'individu borné, enfermé en lui-même.
L'application pratique du droit de l'homme à la liberté, c'est le droit de l'homme à la propriété privée.
En quoi consiste le droit de l'homme à la propriété privée ?
Art. 16 (Constitution de 1793) "Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie."
Par conséquent, le droit de l'homme à la propriété privée, c'est le droit de jouir de sa fortune et d'en disposer à son gré, sans se soucier d'autrui, indépendamment de la société c'est le droit de l'intérêt personnel. Cette liberté individuelle, tout comme sa mise en pratique constituent la base de la société civile. Elle laisse chaque homme trouver dans autrui non la réalisation, mais plutôt la limite de sa propre liberté. Mais ce qu'elle proclame avant tout, c'est le droit, pour l'homme, de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie.
Restent les autres droits de l'homme, l'égalité et la sûreté.
L'égalité, dépourvue ici de signification politique, n'est rien d'autre que l'égalité de la liberté définie plus haut, à savoir : chaque homme est considéré au même titre comme une monade repliée sur elle-même. La Constitution de 1795 définit la notion de cette égalité conformément à sa signification:
Art. 3 (Constitution de 1795) : "L'égalité consiste en ce que la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse."
Et la sûreté?
Art. 8 (Constitution de 1793) "La sûreté consiste dans la protection accordée par la société à chacun de ses membres pour la conservation de sa personne, de ses droits et de ses propriétés."
La sûreté est la plus haute notion sociale de la société civile, la notion de police d'après laquelle la société toute entière n'existe que pour garantir à chacun de ses membres la conservation de sa personne, de ses droits, de ses propriétés. C'est dans ce sens que Hegel nomme la société civile : "l'État du besoin et de la raison"
Par la notion de sûreté, la société civile ne s'élève pas au-dessus de son égoïsme. La sûreté, c'est plutôt l'assurance de son égoïsme.
Ainsi, aucun des prétendus droits de l'homme ne s'étend au-delà de l'homme égoïste, au-delà de l'homme comme membre de la société civile, savoir un individu replié sur lui-même, sur son intérêt privé et son caprice privé, l'individu séparé de la communauté. Bien loin que l'homme ait été considéré, dans ces droits-là, comme un être générique, c'est au contraire la vie générique elle-même, la société, qui apparaît comme un cadre extérieur aux individus, une entrave à leur indépendance originelle. Le seul lien qui les unisse, c'est la nécessité naturelle, le besoin et l'intérêt privé, la conservation de leur propriété et de leur personne égoïste.
http://perso.wanadoo.fr/marxiens/philo/ ... oithom.htm
Je suis dans mon lit, j'ai du mal a atteindre le clavier, on en reparlera demain