Year Zero
Note : 17.5 / 20
Année : 2007
A Ecouter : Comme un concept album remarquablement maîtrisé
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- 13 Commentaires (Moyenne : 17.96/20) -
A été album du moment
2007, sortie du nouvel album de Nine Inch Nails. Year Zero, accroche ambitieuse que celle-là à peine deux ans après With Teeth. On aurait pu craindre le pudding de chutes de studio, un nouvel album à chansons, plus rock que novateur. On se retrouve finalement avec un disque tortueux et vicieux, aussi dense que prenant. Conceptuel, véritable anticipation pessimiste, Year Zero a bénéficié d'une campagne de promotion virale à base de sites internet mystérieux, de clés USB baladeuses. Tout pour faire monter la pression autour d'un album tordu et foisonnant d'électro-indus.
Car c'est là la première clé de ce nouvel opus, NIN n'a jamais sonné comme ça, quand bien même on ne se retrouve pas en terrain inconnu, cet album surprend vraiment. Témoignage de Reznor sur un futur incertain, mais indéniablement sombre, ce disque montre une Amérique de plus en plus fondamentaliste et dictatoriale et nous plonge dans le même temps dans les tourments d'un monde courant au chaos multilatéral. Musicalement aussi, NIN joue sur deux tableaux, à la fois les hymnes sautillants dance-floor façon The Beginning Of The End et bien sûr Survivalism, excellent premier single, et les boucles déchirées, les sons triturés (Hyperpower, superbe intro chaotique), les infrabasses concassées et autres rythmes syncopés. Guitares et claviers imbriqués déclinent des toiles opaques tandis que Reznor nous abreuve de lignes de chant malignes. A l'écoute, on croirait entendre un mix improbable entre la limpidité mélodique de Pretty Hate Machine et les expérimentations bizarres des albums de remix de NIN.
Cet album ne ressemble à aucun autre du groupe et multiplie les collages inédits, avançant masqué derrière les basses dansantes pour mieux planter les germes de la confusion à coup de décrochages bruitistes et autres dérapages électroniques. Year Zero est tout sauf ennuyeux, au contraire, c'est un album vivant, autant dans le maëlström synthétique que dans le chant organique de Reznor. Celui-ci se fait plus ténu que jamais, s'essayant à des accents inédits sur Capital G, offrant une sensualité bienvenue à des morceaux sinueux comme Me I'm Not, tenant toujours le fil de compositions par ailleurs exigeantes. En effet une chose frappe dès la première écoute, lorsqu'on croit saisir dans quelle direction avance un morceau, c'est pour mieux être bluffé par une outro déglinguée décapante ou bien une destructuration progressive et saturée. En témoigne par exemple le remarquable titre Vessel.
On se retrouve ainsi avec un album formidablement schizo, capable d'accrocher par un refrain ultra mélodique comme de désarçonner l'auditeur par des expérimentations en roue libre. Grâce aussi à ses thématiques plus que jamais dirigées vers le monde extérieur, Reznor parvient à se renouveler avec brio. Loin de s'incarner dans l'utopie, il propose une vision désabusée et terriblement réaliste d'un futur possible. Cette vision chaotique transpire d'un bout à l'autre d'un album novateur et éclatant d'ambition à tous les niveaux. Promu messager des temps modernes, Reznor s'incarne en prophète revenu de son propre enfer pour prêcher l'apocalypse imminente, sur des boucles musicales aussi groovy que débridées (redoutable God Given). Poussé par le souffle de la fin qui vient, par un rêve qu'on devine obsédant, le voilà devenu mystique allumé, cramé aux actualités les plus sombres de notre civilisation en chute libre. Passés au crible de l'analyse, les textes de Year Zero sont des mantras perturbants (The Greater Good), des prières alarmistes ( Meet Your Master) ou bien encore des brûlots accablants (The Great Destroyer, décharge électronique achevée en combustion spontanée) . Pas de quoi pavoiser, Reznor est là pour nous clouer au mur de nos lamentations. Tout est en décomposition, aucune échappatoire ici, même musicale, le piano si cher au maître n'apparaissant que sur un instru minimaliste (Another Version Of Truth) ou en conclusion moraliste d'un exposé tétanisant (Zero-Sum).
Year Zero est une oeuvre lunaire, le manifeste nihiliste d'une humanité paumée, d'un monde en perdition, dont les soubresauts ridicules n'appellent que le mépris, assené en toute décontraction sur des compositions écartelées entre groove inimitable et dérive sonique non identifiée. Voilà un cocktail molotov plein de saveur musicale et de venin salvateur distillé par un Trent Reznor (re)gonflé à bloc après With Teeth, désormais habité de mille voix vindicatives, réincarné en vaisseau d'un dieu vengeur présent en filigrane tout le long de l'album. Que dire? Come on, Meet Your Master.
Angel O