May, la reine des abeilles de cette ruche mondaine, reçoit le beau monde qui se compromet allègrement. Elle copine avec Josée Laval, la fille de Pierre Laval, l’homme fort du régime de Vichy, se montre avec elle sur les hippodromes et les bals costumés s’enchaînent. On y croise le fidèle Paul Morand, qui promène son hédonisme chafouin, Pierre Drieu La Rochelle, bien en cour, Arletty, Sacha Guitry et tutti quanti. Se distraire, voilà l’impératif catégorique.
Marie-Pierre, la fille de la maison, est destinée à un beau parti. Encore faut-il le trouver. Les Cossé-Brissac s’y attellent. On la présente au prince Rainier de Monaco. Jean d’Ormesson fait le paon. Sans succès. Philip d’Édimbourg est même pressenti. « Vue de dot », la demoiselle ne manque pas d’attraits. Mais, sans renier les attributs de ses origines, cette forte tête s’émancipe de ce corset désuet, mène une vie autonome, encadrée et chapeautée par les sourcilleux gardiens du temple, et s’inscrit à des cours de philosophie.
À la même époque, Gaston Nora, ponte de l’hôpital Rothschild qui fait front, étoile jaune sur la poitrine, fait fuir sa famille, exode de détresse. Bordeaux d’abord, Hendaye ensuite, Grenoble pour finir. Simon, l’aîné, brillant élément, suit des cours de droit, protégé par Jean-Marcel Jeanneney, et entre dans la Résistance. Il se forme à l’École d’Uriage, étrange précipité qui prépare déjà les fondations de l’après-guerre, puis intègre les maquis du Vercors où il se retrouve sous les ordres d’un colosse impressionnant, le capitaine Goderville, qui n’est autre que l’écrivain Jean Prévost.
À Grenoble, Simon et sa famille ont échappé de justesse à plusieurs rafles. Réfugiés dans l’arrière-pays, ils ne doivent leur survie qu’à la compassion active de quelques fermiers. Simon participe activement aux combats des maquis, lâchés par Londres. La furie nazie les traque et les massacre. Simon Nora sera le seul survivant de cette tragique hécatombe.
C’est ce survivant, juif et résistant, solitaire et mutique lors de son retour douloureux dans la capitale, qui va tomber amoureux de Marie-Pierre de Cossé-Brissac, l’héritière de l’ancien monde, mal à l’aise avec ses occupations sous l’Occupation, issue d’une famille violemment antisémite.
Le surgissement de ce Simon Nora est vivement réprouvé. Gaston Nora s’oppose, lui aussi, à cette union, humilié par ces aristos collabos qui ont su retomber, avec aplomb, sur leurs pieds, comme si de rien n’avait été. Un juif, parmi eux ? Jamais de la vie, lui assène-t-on ! Les deux amoureux, si peu prédestinés à vivre ensemble, déjouent tous les obstacles et tentatives pour les séparer. Ils défient les conventions pour ne suivre que leurs inclinations.
C’est cette extraordinaire aventure que raconte Félicité Herzog dans un roman somptueux qui court des beaux salons inconscients à la rafle des orphelins à l’hôpital Rothschild, du tourbillon mondain aux enfouis du Vercors, de la débâcle des collabos à l’échappée des amants. Elle alterne sans cesse avec brio d’un monde à l’autre.
Je n'ai pas (encore) lu le livre, mais je partage cette critique du journal La Croix, qui me donne envie.