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Pierre-Emerick Aubameyang renaît à l'OM : « Cette euphorie que tu viens chercher ici ! »
À l'aube d'un mois de mai excitant, Pierre-Emerick Aubameyang, le serial buteur de l'OIympique de Marseille, se livre sur sa renaissance après une année quasiment blanche à Chelsea.
Le sourire, immense, barre régulièrement son visage et il est contagieux. « Avant la séance de tirs au but contre Benfica (en quarts de finale retour de Ligue Europa, le 18 avril, 1-0, 4-2 aux t.a.b. ; aller : 1-2), j'ai dit aux copains : ''Il y a de bonnes chances qu'on ait de la chance aujourd'hui. Un mec va tirer sur le poteau !'' », raconte Pierre-Emerick Aubameyang, le devin, entre deux anecdotes gourmandes. Pendant une heure, lundi après-midi, le soleil de la saison olympienne (27 buts, 9 passes décisives) a détaillé son plaisir d'évoluer à un tel niveau et de vivre tant « de moments exceptionnels », à bientôt 35 ans.
« C'est le moment, le gros match arrive, la demi-finale aller de Ligue Europa contre l'Atalanta, jeudi soir. Comment la sentez-vous ?
On ne va pas se mentir, depuis qu'on est passés contre Benfica, on y pense quasiment tout le temps, puisque les gens te le rappellent. Je suis très excité de jouer une demi-finale de Ligue Europa. Il faut vraiment prendre du plaisir, que tout le monde se rende compte que c'est une occasion incroyable. Notre parcours a déjà été top, vu le groupe qu'on a passé et les adversaires affrontés ensuite. Mais on a une chance d'aller en finale et on va tout donner.
C'est fou de voir l'OM en demi-finale de Coupe d'Europe après une saison aussi compliquée, non ?
Oui ! On doit être guidés par les forces au-dessus (rires). Il y a des signaux qui ne trompent pas. Quand tu vois le premier match qu'on joue en Ligue Europa à l'extérieur à Amsterdam (le 21 septembre, au lendemain de la démission de Marcelino), on n'a pas de coach, c'était le bordel. Ils me disent : ''On t'a fait un cadeau, tu dois faire la conférence de presse''. (Il rit.) Et on fait un super match, on fait 3-3. Ce match un peu fou, c'est à l'image de toute la campagne. Le signal qu'on pourrait se surpasser malgré tout ce qu'on subissait.
Quand vous êtes partis pour Amsterdam sans entraîneur, sans président, avec la crise au club, vous êtes-vous demandé où vous aviez mis les pieds ?
Non, ça non. Je savais que ça pouvait arriver, Marseille est une folie mais c'est un gros défi et c'est exactement ce que je recherchais. Après une année à vide, il fallait quelque chose qui puisse me stimuler, même si c'est l'extrême parfois ici. Tu vis la chose à fond et ça te donne l'énergie de montrer que tu es encore là. Je ne me suis pas posé la question : ''Qu'est-ce que je fais à l'OM ?'', non. Mais ''qu'est-ce que je fais à la conférence de presse ?'', oui ! Mais je m'en étais sorti, avec l'expérience on arrive à dribbler (rires) ! Je suis content et fier d'avoir fait ce choix de venir ici, parce que le temps prouve que j'avais raison.
Comment avez-vous appréhendé le contexte marseillais, si particulier ?
C'était stimulant parce que moi aussi je suis un peu fou dans ma tête et j'ai besoin de sentir le public, même si dans un premier temps, ils m'ont boudé. Mais ça fait partie de la vie, quand vous n'avez pas de résultats, c'est normal qu'on vous pointe du doigt. C'est ce qui te donne la force. Ils savent que tu es capable de le faire, à toi de te surpasser, de te regarder dans la glace et de faire le nécessaire pour leur rendre ce qu'ils donnent. Quand ça va, ils sont là, mais quand ça ne va pas, ils ont aussi été là. Ils ne nous ont pas lâchés.
La condition physique vous manquait-elle en début de saison, après l'épisode Chelsea (960 minutes de temps de jeu toutes compétitions confondues) ?
Plutôt le rythme, l'intensité de la rencontre, je le ressentais énormément pendant les matches, surtout au niveau du souffle. J'avais beaucoup de mal à enchaîner les efforts alors que j'ai toujours été quelqu'un qui envoie les sprints à répétition sans que cela puisse me gêner.
Psychologiquement, comment avez-vous vécu cette année blanche à Chelsea ? Cela pouvait-il être le début de la fin ?
Je me suis posé la question : ''Est-ce que c'est ça d'être vieux ?'' Et je me suis répondu tout seul : ''C'est toi qui décides en fait. Soit tu décides de suivre ce chemin-là, et tu te dis c'est peut-être l'âge. Ou tu te dis non, c'est des conneries, j'ai encore des choses à faire''. J'ai choisi cette voie-là, je me sentais encore capable de faire des choses et c'est pour ça que je suis venu ici, déterminé. Mais oui, on se pose la question, c'est humain. J'étais déçu et blasé, je me suis un peu... ''perdu'', c'est un grand mot, mais je me suis laissé aller.
Je m'entraînais, mais je ne prenais pas forcément la peine de faire des séances en plus l'après-midi, alors que j'avais tout mon temps libre. J'avais trouvé un bon challenge à Chelsea, avec mon coach qui m'a fait briller à Dortmund (Thomas Tuchel), et qui part au bout d'une semaine. J'ai bien compris, dès le mois de décembre, que la saison était finie, je voulais déjà partir, mais on ne peut pas faire trois clubs en une saison (il avait joué un match avec le FC Barcelone en août).
Vous auriez pu aller chercher un gros chèque en Arabie saoudite, comme Sadio Mané, Karim Benzema ou d'autres...
Il y a eu l'opportunité. La proposition est arrivée. Comme chaque été, je fais le point avec mon père et je me dis : ''Non, ce n'est pas moi''. Je ne veux pas finir sur une saison comme ça parce que pour le joueur que j'étais, pour la carrière que j'ai faite, je ne peux pas accepter de partir sur un échec. Bien sûr que ce type de gros chèque est tentant, d'Arabie saoudite ou d'ailleurs, mais avant tout, c'est le football que j'ai dans le coeur, je n'ai pas envie d'avoir de regrets demain. Je préfère avoir un challenge, même risqué, c'est ça qui va faire que je reprendrai derrière un plus gros chèque, on ne sait jamais dans la vie (rires).
Comment avez-vous vécu les critiques du début de saison ?
Je n'avais jamais connu une telle impatience. Ça a été dur, surtout par rapport à ma famille, notamment mon fils le plus grand qui comprend mieux la situation. À l'école, il doit se faire chambrer et il ne le vit pas forcément bien. Le moment qui m'a le plus touché, c'est le jour où je me suis fait siffler ici à domicile (OM-Lille, 0-0, le 5 novembre). Ça m'a foutu les boules quand je suis rentré chez moi et que j'ai vu ma mère qui était triste. Je me disais : ''Mais pourquoi ils ont fait ça alors que ma mère est là et qu'elle n'a pas à subir ces choses''. Surtout qu'elle a eu des problèmes de santé il n'y a pas longtemps, je n'ai vraiment pas envie qu'elle vive ça, je veux qu'elle voie son fils comme elle l'a toujours connu, souriant, plein d'énergie.
ç'a été le déclic dans ma saison. J'ai commencé à jouer avec la rage, presque avec la haine. J'ai la chance encore de les avoir, mes parents, toute ma famille, alors il faut bosser pour eux. Ma mère vient aux matches donc elle vit pleinement la situation. Là, quand on rentre à la maison, elle sourit. Et il n'y a rien de mieux que de voir sa maman sourire.
Comment avez-vous fait pour retrouver votre niveau ?
C'est vraiment grâce au travail de (Gennaro) Gattuso et son staff, on a bossé énormément, chaque semaine, c'était basé sur le rythme. Il me disait : ''ça fait combien d'années que tu ne t'es pas entraîné à ce rythme-là (rires) ?'' Bon, Barcelone, on s'entraînait bien, attention. Mais je ne les remercierai jamais assez de m'avoir redonné ce peps, parce que quand tu es bien physiquement, tu réussis les gestes plus simplement. Le travail devant le but, après, je le fais toujours, je prends toujours mon temps pour peaufiner les détails.
L'arrivée de Jean-Louis Gasset, fin février, a été importante aussi pour vous. Il vous a mis à votre meilleur poste...
Ça me plaît énormément dans le sens où il laisse beaucoup de liberté et ça, c'est la meilleure chose que tu puisses avoir quand tu es attaquant, d'être libre, de pouvoir t'exprimer pleinement. Avec les entraîneurs qui m'ont laissé faire ça, cela s'est toujours bien passé. Ils te responsabilisent. Tu dois assumer ton rôle, tu joues à ton poste. C'est ce qui me rend heureux et me donne envie de me surpasser. Avec le coach, on a juste eu besoin d'un coup d'oeil et on s'est compris. C'est la preuve de son expérience dans le football.
Et d'un savoir-faire dans l'humain, le relationnel.
C'est clair. Il est tellement attachant par son discours qu'on a envie de tout donner.
Votre vitesse a toujours été l'une de vos forces. Comment avez-vous compensé la perte de vélocité induite par les années ? Qu'avez-vous changé dans votre jeu ?
Le placement. On essaye de se renforcer mentalement pour anticiper et préparer au mieux les appels. Je pense au match d'hier (dimanche, contre Lens, 2-1), je me disais : ''Bon, je suis un peu fatigué, il va falloir faire les bons appels au bon moment''. On compense comme ça même si on essaie de maintenir la vitesse. On se déplace, pour essayer de se trouver au meilleur endroit au meilleur moment, pour faire les courses qui servent à quelque chose et moins celles qui sont inutiles. J'essaie toujours de trouver le sang-froid nécessaire, qui va te permettre pas de ralentir, parce que dans la surface il faut aller vite, mais de trouver cet arrêt du temps en toi pour te dire : ''OK, là, c'est le moment crucial, ajuste.'' Galette (Christophe Galtier), à l'époque de Saint-Etienne, savait que je devais le bosser et me disait à l'entraînement : ''Tu veux un gardien ? Prends-le !'' Je prenais Jessy Moulin, je l'ai fracassé ! (rires) Il en a reçu des frappes !
Vous êtes le leader d'une attaque jeune, cela vous plaît ?
Oui c'est super intéressant. J'essaye de donner des conseils. On m'appelle le vieux, je suis l'ancien du vestiaire. Je sais que chaque mot peut compter pour eux donc j'essaie toujours de donner la bonne motivation. En donnant de la confiance. Il faut qu'ils sachent qu'ils ont du talent sinon ils ne seraient pas là. J'en suis la preuve : au début, cela a été dur, mais on se relève. Il ne faut pas qu'ils lâchent, notamment Ili (Ndiaye). Je lui ai dit un jour : ''Les gens, ils t'aiment ici, tu as de la chance, tout le monde rêve que tu exploses parce que tu viens d'ici, alors joue ton football, amuse-toi.'' J'aime bien Ili, il peut te sortir une folie à tout moment.
Pour vous, les Winners parlaient de l'EHPAD...
Oui, hier encore, sur les réseaux, quelqu'un a dit : ''J'aimerais bien avoir des pensionnaires comme Aubameyang à l'EHPAD.'' Ça m'amuse. Il y a aussi des choses qui me blessent mais il faut avoir cette force de recul, une fois que ça t'a blessé. Tu te dis tranquille, on va doser un peu les réseaux et se concentrer sur la réalité.
Avez-vous retrouvé à l'OM les sensations que vous étiez venu chercher ?
C'est exactement ça, et ce n'est pas fini. Je suis vraiment content d'être ici et j'en remercie Pablo Longoria. Il m'a convaincu de venir ici. L'OM était venu me chercher deux ans avant et je n'étais pas sûr à 100 % que c'était le bon projet, et au final il a réussi à me convaincre. Si ça marche ici, c'est la folie, et c'est cette euphorie que tu viens chercher. Quand je marque au Vélodrome, ou même une passe, c'est extraordinaire.
En début de saison, votre père semblait encore plus excité par l'OM que vous. Vient-il vous voir jouer souvent ?
Oui. Là, il est reparti au Gabon mais pour les gros matches, il est là, et quand il est là, on gagne à chaque fois ! Amine Harit me demande : ''Le vieux, il est là ou pas ?'' Il a intérêt à venir jeudi.
Vous donne-t-il encore des conseils, comme à vos débuts ?
Toujours et ils sont bons à prendre. Il me connaît, et il sait qu'une discussion avec lui va me faire du bien. On s'appelle toujours après les matches et il a des mots constructifs. Au début de saison, il me reprochait de ne pas assez frapper au but, il disait : ''C'est dommage, tu as une belle frappe, utilise-la''. On prend compte, on regarde les images et on se dit : ''Il n'a pas tort.''
Comment voyez-vous cette fin de saison ? Elle rappelle celle de Didier Drogba, avec l'épopée européenne en 2003-2004.
Drogba... Quand je jouais à Dijon (2008-2009), je vivais avec mon meilleur ami et ma mère, et un DVD était sorti sur Drogba, sa carrière, son passage à l'OM. Un DVD L'Équipe d'ailleurs (Didier Drogba, l'incroyable destin, édité en 2007). Je le regardais en boucle, je me disais : ''C'est une folie, il explose à 30 ans'' (26, en fait). À ce moment-là, moi je devais faire mon choix pour le Gabon. Mais en fait je n'ai pas hésité, ça m'a tellement donné envie de faire la même chose, ce qu'il a représenté pour son pays, cela a été une source d'inspiration incroyable. À Marseille, quand je vois la campagne qu'il fait en Coupe d'Europe, pfff, ce fameux soir où il met la Drogba (contre Newcastle). On a tous rêvé de marquer ce but-là.
Si on devait faire un top buts à la Téléfoot d'autrefois, comment les classeriez-vous cette saison ?
J'ai plus des top actions qui ne sont pas rentrées que des top buts ! Je pense à Lorient (4-2, le 10 décembre), j'aurais pu mettre le but en aile de pigeon, ou le piqué contre Nice (2-2, le 24 avril). Au final, ce sont celles qui ne rentrent pas ! Mais il y a eu des beaux buts, le ciseau contre l'Ajax rentre dans le top 3 (4-3, le 30 novembre), avec Villarreal, le piqué (4-0, le 7 mars).
Vous l'avez fait exprès, celui-là ?
En soi, surtout sur l'action, je peux expliquer ce que j'ai vu le terrain, je vois (Pepe) Reina qui sort, je me dis ''ah ouais, il sort pour quoi faire ? Je tente !'' Vous me connaissez moi et mes piqués, quand ils rentrent, ils sont beaux en général.
Et le prochain but, ce jeudi ?
Bon, ce jeudi, même s'il est moche on prend quand même.
D'où émerge ce type de gestes ?
À l'instinct. Quand j'étais petit, j'allais au match avec mon grand-père et j'ai dit : ''Pépé, j'ai jamais mis un retourné, mais t'inquiète pas, je vais t'en mettre un.'' Je lui disais tout le temps ça. Le jour où j'ai marqué le retourné, je lui ai dit sur le chemin du retour à la maison : ''Un jour, je vais le faire mais en pros.'' J'ai mis du temps à le marquer, c'était avec Arsenal (en février 2020), j'étais tellement heureux, tellement heureux ! Alors celui-là de l'Ajax, imaginez !
Comment voyez-vous votre avenir ?
Bonne question ! Je fais toujours le point à la fin de la saison. On va finir cette saison avec les grands matches à venir, et on en reparlera à ce moment-là. »