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Propos déplacés sur les musulmans, défenseurs noirs qualifiés de « King Kong » : le détail des accusations contre Galtier
À 10 jours du procès de Christophe Galtier, « L'Équipe » révèle ce que les joueurs et l'encadrement de l'OGC Nice ont raconté à la police. Par la voix de ses avocats, l'entraîneur affirme quant à lui n'avoir « jamais harcelé ou discriminé quiconque ».
« S'il avait voulu détruire l'homme que je suis, il n'aurait pas fait mieux. Et je le paye au prix fort. »Interrogé en garde à vue par les enquêteurs ce jour de printemps 2023, Christophe Galtier nie. Nie choisir ses joueurs en fonction de leur religion ou de leur race ; nie avoir réclamé le départ de certains joueurs musulmans ; nie les avoir contraints à rompre leur jeûne pendant le ramadan.
L'affaire résulte d'une volonté de « nuire » de Julien Fournier, le directeur du football de l'OGC Nice, accuse-t-il. Il s'agit d'un « règlement de comptes » et d'une « instrumentalisation des joueurs », ajoute l'ancien entraîneur de Nice (2021-2022), devenu celui du Paris-SG (2022-2023) avant de rejoindre Al-Duhail au Qatar en octobre. Alors que Christophe Galtier doit être jugé le 15 décembre à Nice pour discrimination et harcèlement moral, L'Équipe a enquêté sur les soupçons de racisme qui le visent.
Tout commence par une déclaration mystérieuse. En septembre 2022, dans l'After Foot sur RMC, Julien Fournier, directeur du football du Gym entre août 2019 et juillet 2022, revient sur sa relation houleuse avec Christophe Galtier. Leur inimitié est notoire, les raisons de leur mésentente, moins. « Si j'explique les vraies raisons, il n'entre plus dans un vestiaire en France et en Europe », tacle-t-il, évoquant des « choses graves ».
La mèche est allumée et, six mois plus tard, le journaliste indépendant et influenceur Romain Molina et RMC Sport révèlent le contenu d'un long mail envoyé par Fournier à Dave Brailsford, le directeur du sport d'Ineos (propriétaire de l'OGC Nice). Le directeur du football, qui dément être à l'origine de sa diffusion aux médias, assure l'avoir rédigé, non pas dans un esprit de vengeance, mais pour ne pas qu'on lui reproche par la suite de ne pas avoir agi ou dénoncé un potentiel comportement délictueux. Il y relate notamment une scène qui se serait passée dans son bureau, le 9 août 2021. Une discussion lors de laquelle Galtier aurait affirmé que l'équipe devait « tenir compte de la réalité de la ville » et ne pouvait pas compter autant de « Noirs et de musulmans ».
« Il m'a dit : "hier soir, je suis allé au restaurant et tout le monde m'est tombé dessus en disant que nous avons une équipe de Noirs" (...) Il n'y avait aucun argument sportif mais bien uniquement des arguments religieux ou de couleur de peau », relate encore, dans son courriel, Fournier. Il précise que le fils adoptif de Christophe Galtier, John Valovic-Galtier, qui officie en tant que conseiller sportif de son père, lui a tenu le même genre de propos.
Rivère se montre très flou
L'affaire fait scandale et le parquet de Nice décide d'ouvrir d'initiative, c'est-à-dire sans plainte préalable, une enquête préliminaire pour « discrimination ». Des perquisitions sont diligentées le 14 avril 2023 à l'OGCN. Les investigations embarrassent, et pas seulement Galtier, alors au PSG, car personne, dans la direction du club niçois, ne semble jusque-là s'être ouvert de la situation à une quelconque autorité judiciaire ou policière.
Devant les policiers, le dossier se transforme vite en un duel parole contre parole. Auditionné par la police judiciaire, Jean-Pierre Rivère, le président du Gym, se montre très flou. Il affirme ne pas se souvenir de manière précise de la réunion en question, à laquelle il a pourtant assisté, et des propos qui pourraient y avoir été tenus. Il admet que son entraîneur d'alors a un style direct et serait tout à fait capable de dire des choses de manière un peu « frontale ».
Mais il évoque aussi une « lutte d'ego » entre Galtier et Fournier pour expliquer l'ampleur que leurs différends a pu prendre. Bien qu'il ait assisté à des réunions houleuses entre les deux hommes et qu'il était, comme l'actionnaire, Ineos, au courant de nombreuses récriminations formulées par Fournier, Rivère affirme aujourd'hui ne pas s'être mêlé, à ce moment-là, de la gestion quotidienne du club, et s'être consacré à ses tâches institutionnelles de représentation.
Des membres de l'encadrement chargent Galtier
Les perquisitions ne sont pas davantage utiles à l'enquête. L'expert informatique, qui a fouillé l'ordinateur de Galtier lorsqu'il était à Nice, en entrant les mots-clés « musulman », « Fournier » ou encore « arabe », n'a trouvé aucun élément susceptible d'éclairer les faits. Des membres de l'encadrement niçois vont par contre livrer un témoignage à charge. Frédéric Gioria, légende du club - il a fait toute sa carrière à l'OGC Nice (235 matches) et il était capitaine de l'équipe sacrée en Coupe de France en 1997 - est particulièrement sévère.
L'entraîneur-adjoint assure ainsi à la police avoir, comme Fournier, entendu Galtier narrer l'anecdote du restaurant où des gens se seraient plaints à lui que l'équipe ne ressemblait pas à la ville. Il dit aussi avoir été le témoin de l'énervement du technicien, alors que ce dernier venait d'apprendre, en janvier 2022, que Billal Brahimi, un ailier gauche Franco-Algérien, avait été recruté. « Encore un musulman, j'en veux pas, on en a assez », aurait dit Galtier devant Gioria.
L'ex-capitaine de l'OGC Nice dit enfin avoir entendu le coach, lors d'un entraînement, qualifier Youcef Atal et Hicham Boudaoui (internationaux algériens, vainqueurs de la CAN en 2019 avec les Fennecs) de « sales types ». « Le pire, ce sont les Algériens », aurait fulminé Galtier, toujours selon le récit de Gioria. Des propos très contestés par l'intéressé.
Autre témoignage : celui de Hachim Ali Mbaé, analyste vidéo de l'OGC Nice, aujourd'hui responsable de la cellule vidéo au Racing club de Strasbourg. Aux policiers qui le questionnent, l'ancien salarié dit avoir été choqué un jour de match contre Saint-Étienne (en septembre 2021). À la mi-temps, Galtier évoque sa stratégie et aurait surnommé la paire de défenseurs des Verts, Harold Moukoudi et Mickaël Nadé, les « deux King Kong », soutient-il.
Il dit aussi, un autre jour, avoir croisé Galtier dans les couloirs, tandis que celui-ci partait prendre sa douche. L'entraîneur lui aurait alors dit ne jamais avoir eu de problème avec la religion, sauf avec les Algériens. « Ils sont trop dans l'extrême », se serait-il plaint, notant n'avoir aucun souci de ce genre avec les Turcs. Il aurait ajouté qu'à Lille, où il a entraîné entre 2017 et 2021, les musulmans, comme Burak Yilmaz, étaient d'accord pour ne pas jeûner les jours de match.
Lorsque l'affaire éclatera publiquement, Yilmaz prendra d'ailleurs la défense de son ex-entraîneur sur Instagram, le qualifiant « d'entraîneur fantastique », et affirmant n'avoir « jamais senti le moindre comportement négatif de sa part au sujet de [s] a religion ». Galtier sera aussi soutenu par d'autres personnalités, comme l'entraîneur Antoine Kombouaré.
Devant les policiers, Hachim Ali Mbaé indique qu'à l'été 2021, Galtier n'est pas favorable à l'idée de faire venir Islam Slimani à Nice. L'entraîneur sait que l'attaquant disputera très probablement la CAN début 2022 sous les couleurs de l'Algérie et ne sera donc pas disponible pour son équipe. Mais il aurait aussi, lors d'une conversation téléphonique, précisé qu'il n'en voulait pas car il allait jeûner pendant le ramadan qui se déroulera du 1er avril au 1er mai 2022, relate l'analyste vidéo.
Ce dernier précise : Galtier jettera finalement son dévolu sur Andy Delort, qui ne fera ni l'un ni l'autre - il avait annoncé à l'époque une pause internationale avec l'Algérie pour se consacrer à son nouveau club. L'ancien employé termine son audition en affirmant que Christophe Galtier aurait tenté d'inciter Jean-Clair Todibo, défenseur et international français (depuis septembre 2023), à ne pas jeûner les jours de match.
Le cas Brahimi
La veille du début du ramadan, le 31 mars 2022, une réunion a lieu dans le bureau de Fournier. Galtier est agacé. Sa formation était deuxième du Championnat en janvier et il réclamait des renforts au mercato d'hiver pour tenir ce classement. Le recrutement de Billal Brahimi, qu'il ne désirait pas, paraît l'avoir excédé. Fournier pointe un grand paperboard dans son bureau, veut discuter de l'équipe de la saison prochaine et demande déjà à l'entraîneur sur quels joueurs il compte.
Selon le récit de Fournier, Galtier aurait alors énuméré les noms qu'il souhaiterait voir partir. Atal, Todibo, Boudaoui, etc : quasiment que des musulmans figurent sur la liste. Les deux hommes se disputent et Fournier lui évoque la piste menant au défenseur central turc Ozan Kabak. Nouveau refus de Galtier. « Julien, tu n'as toujours pas compris. Moi je ne veux plus de noirs ou d'arabes », lui aurait alors lancé Galtier, selon le témoignage de Fournier à la police. Un témoignage une nouvelle fois totalement démenti par l'entraîneur, qui ne voit pas l'intérêt qu'il aurait pu avoir à faire partir quelques-uns de ses meilleurs joueurs.
Le 1er avril, Galtier envoie pourtant un message dans lequel on sent poindre une certaine exaspération : « Julien, Billal se rajoute à la liste de joueurs qui font le ramadan. » Fournier ne lui répond pas. La veille, la diététicienne du club, a envoyé par mail à l'entraîneur un « récap ramadan » où elle détaille les « habitudes alimentaires et culturelles » des joueurs. Elle indique ceux qui font le ramadan et ceux qui acceptent de rompre leur jeûne les jours de match. Dans le cas contraire, les joueurs sont incités à se réveiller à 5 heures du matin, avant le lever du jour, pour prendre un copieux petit-déjeuner, adapté à une privation de nourriture en journée.
Le 3 avril 2022, au lendemain d'un match contre Rennes (1-1), Fournier constate que Brahimi n'a pas été retenu dans le groupe. « J'ose espérer que Billal n'est pas sorti de la feuille de match parce qu'il a fait le ramadan (...) Je n'accepterais pas de prendre en compte le critère de religion dans la construction de l'équipe l'année prochaine », lui dit-il en substance. « Je n'ai pas ou n'ai jamais eu de problème lié à la religion depuis que j'entraîne, lui répond Galtier. Le Losc a été champion avec six musulmans dans l'équipe. Je ne pense qu'à la performance sportive et la santé des joueurs ».
Et l'entraîneur de faire la liste des blessures qui peuvent être liées à un manque d'eau ou de nutrition (risque cardiaque, blessure musculaire, etc). « La situation de Brahimi n'avait rien à voir avec sa religion », plaide-t-on aujourd'hui, en privé, dans l'entourage de Galtier.
La preuve : le joueur ne figurait pas non plus sur la feuille de match dix jours auparavant, alors que le ramadan n'avait pas commencé. Les accusations de Fournier, et de ses proches, comme Gioria, avec lequel Galtier ne voulait pas forcément travailler à l'origine, seraient donc une construction intellectuelle, veut-on croire. Surtout, statistiques à l'appui, le camp Galtier fait valoir que Brahimi, qui a eu du temps de jeu, n'a jamais été discriminé pendant le ramadan.
Todibo explique aux policiers avoir subi des pressions de Galtier pour rompre son jeûne
Reste les résultats qui sont moins bons à cette période de l'année. Mi-mars, l'OGC Nice n'est plus qu'à la 4e place et peine à engranger des points. À la sortie du ramadan, le club pointe à la 5e place (également son classement final). Le 8 mai, Nice perd la finale de la Coupe de France face à Nantes (0-1). Durant toute cette période, la tension est à son comble entre Galtier et Fournier. Dans un message envoyé par le premier au second, le 18 avril, en plein ramadan, Galtier paraît s'émouvoir de la « tenue traditionnelle » dans laquelle Jean-Clair Todibo est arrivé au centre d'entraînement, le matin même. Ce sms visait à marquer un problème de discipline et de retard à l'entraînement, élude-t-on aujourd'hui, du côté de l'entraîneur.
Interrogé par la police, Todibo explique avoir subi des pressions de Galtier pour rompre son jeûne. Il confie aussi avoir appris, par personne interposée, que l'entraîneur le décrivait comme un salafiste et un extrémiste. Lors d'un match de préparation en juillet 2021, Todibo s'était emporté contre l'arbitre, aux côtés de son coéquipier, Hassane Kamara, international Ivoirien et Niçois entre 2020 et 2022. Colère de Galtier qui les reprend immédiatement : « Jamais vous faites ça ici, on n'est pas dans le 9-3 ».
Anecdote confirmée par Kamara, aujourd'hui à l'Udinese (Italie), qui soutient avoir été qualifié de « racaille » par son entraîneur, et qui dit avoir été privé de temps de jeu en raison de sa religion. Là encore, Galtier conteste. Kamara a été transféré dès le mercato d'hiver à Watford (Angleterre), en janvier 2022, et n'a donc pas connu la gestion du ramadan par son nouvel entraîneur. À ce sujet, Khéphren Thuram, fils de Lilian et petit frère de Marcus, affirme n'avoir été témoin d'aucune discrimination. Seul peut-être Kamara pourrait s'en plaindre, dit-il à la police.
Même discours de la part de Youcef Atal (qui doit être bientôt jugé pour provocation à la haine, après avoir partagé la vidéo d'un prédicateur qui appelait à « un jour noir pour les Juifs » au lendemain de l'attaque du Hamas sur Israël en octobre dernier). Le latéral droit des Aiglons, aujourd'hui indésirable, a expliqué aux enquêteurs qu'il existait des « bruits » qui pesaient sur le vestiaire et l'ambiance. Mais il a affirmé ne jamais avoir été le témoin direct de propos déplacés de Galtier. Tout juste a-t-il dit avoir été informé qu'il figurait sur la liste des persona non grata, que Galtier aurait donnée à Fournier lors de la réunion du 31 mars, selon le récit de ce dernier. « Une liste que personne n'a jamais vue », s'agace-t-on dans le camp Galtier.
Comme Todibo, Hicham Boudaoui a estimé avoir subi des « pressions » à l'approche du ramadan. Idem pour Teddy Boulhendi, le troisième gardien de but de l'équipe, qui dit s'être senti obligé de manger les jours de match sous peine de ne pas être retenu. Celui-ci a narré aux policiers qu'une fois, alors qu'il tentait d'expliquer à Galtier, via Todibo, la branche de la religion à laquelle il appartenait, Galtier avait déformé ses propos et l'avait qualifié de « salafiste ». Pablo Rosario, le milieu néerlandais, a lui aussi indiqué avoir ressenti une discrimination en tant que musulman qui l'avait poussé, contrairement à ses habitudes, à rompre le jeûne.
Fournier, enfin, s'est dit témoin de la consternation qui avait été celle de l'entraîneur en apprenant que Didier Digard, entraîneur de la réserve, était musulman. Galtier aurait alors jugé que ce n'était « pas normal » et qu'il risquait d'endoctriner les jeunes du centre de formation. Informé de la teneur de ces propos par Gioria, Digard avait aussitôt posé sa démission sur le bureau de Fournier, comme l'a raconté Nice Matin. Fournier avait réussi à l'en dissuader.
En privé, Galtier rappelle qu'il laissait son bureau ouvert pour permettre à ceux qui le voulaient de prier à l'intérieur et qu'il autorisait les musulmans qui le souhaitaient à partir plus tôt pour la prière du vendredi.
En juin, après trois mois d'enquête, le parquet de Nice a décidé de citer Christophe Galtier à comparaître des chefs de harcèlement moral et de discrimination à raison de l'appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée. Il encourt trois ans de prison et 45 000 euros d'amende.
Contactés, ses avocats, Mes Olivier Martin et Sébastien Schapira réagissent : « Christophe Galtier est déterminé à 10 jours de cette audience. Il réserve ses déclarations au tribunal. Il attend enfin ce débat public et contradictoire où il démontrera qu'il n'a évidemment jamais discriminé ou harcelé quiconque. Tout son parcours professionnel, sa réputation témoignent de sa personnalité irréprochable. »