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Potager, famille et entraînements intenses... Aux origines de Vitinha
Recruté pour 32 millions d'euros en janvier, Vitinha, l'attaquant portugais de 23 ans, est attendu par la foule. Pour dompter cette exigence, le garçon se repose sur des valeurs simples et une famille unie.
Ils ont adulé Papin ou Drogba, pour en brûler tant d'autres. Et voilà devant leurs yeux un môme de 23 ans qui débarque de sa jolie région natale au Portugal, sans rien cacher de sa douceur et de sa sensibilité. Il s'appelle Vitor Manuel Carvalho Oliveira, alias Vitinha, il a les larmes aux yeux quand il parle de sa famille, mais il les sèche chaque jour à l'entraînement. Son destin à l'OM est incertain, pas sa volonté. S'il se fait dévorer un soir par le public du Vélodrome, ce ne sera pas sans avoir lutté.
Vitinha vient de Cavês, un village à 50 kilomètres de Braga, dans le nord du pays, encastré dans les collines. Un millier d'âmes à peine, des ruelles recouvertes de gravillon qui servent de terrain de foot et des vignes à perte de vue. José, le père de Vitinha, découpe et taille de la pierre, il fabrique des pavés. Maria, sa mère, gère le foyer et s'occupe du potager, elle ne manque pas de main-d'oeuvre pour cajoler ses plants de tomates. Vitinha sourit : « J'avais mon petit jardin à moi, près de celui de maman. Je cultivais des légumes, j'adorais ça. »
Adulte, il se serait bien vu jardinier, pas loin des siens. Il a tatoué sa famille sur son biceps gauche, quatre silhouettes et les dates de naissance, son grand frère, José, et lui encadrant les parents. « Le biceps droit, ce sera pour mes enfants », annonce Vitinha. Les poignets sont pris : à gauche, la grand-mère, à droite, le grand-père. Au moment d'entrer sur la pelouse, l'attaquant se signe, embrasse un poignet, puis l'autre, et finit évidemment par le biceps.
En janvier, l'arrivée à Marseille a été un cocktail d'émotions. Héros naissant de Braga, le voilà qui s'entraîne le lendemain à la Commanderie, en duo avec le suspendu Éric Bailly. « Un rêve, mais aussi la partie la plus dure de mon parcours, dit-il. C'est la première fois que je pars loin de chez moi, de ma famille, de mes amis. Le pays, la langue, la nourriture, tout est différent et nouveau. » La nuit, Vitinha pense parfois aux bons plats de Maria, les pommes de terre arrosées de ciboulette et d'huile d'olive, la morue qui crépite dans le plat encore brûlant.
Dans le vestiaire, il minimise sa compréhension du français, excellente, qui remonte à l'enfance et aux vacances chez la famille de la branche paternelle, du côté de Lyon et de Villefranche-sur-Saône. L'enfance a été rythmée par ses voyages vers l'Hexagone et les disputes footballistiques avec José. Comment son grand frère peut-il aimer Porto ? Pour Vitinha le benfiquiste, l'incrédulité est totale, on se chamaille à chaque rendez-vous au sommet. À 12 ans, il se rend au stade de la Luz avec la même et grave ferveur que les pèlerins de Fatima. Il repart avec un morceau de la pelouse dans une boîte en plastique. Elle est toujours à la maison, à Cavês.
Bernardino Dourado a 62 ans et il est fier. En 2012, il a repris le club d'Aguias de Alvite, à 20 bornes de Cavês, dont la section pro était en déshérence. Il se concentre sur les jeunes et la formation, repère un petit gars toujours dans les basques de son frère José, un bon joueur du coin. « Il n'y avait pas d'autres endroits proches pour qu'il s'épanouisse, confie Bernardino. Je me suis pris de passion pour Vitinha. » Il fait souvent le taxi pour l'emmener à l'entraînement. Il l'essaie aussi au poste de gardien, une expérience étonnante et éphémère. Vitinha sourit : « J'ai dépanné en latéral droit également. Mais tout ça, ce n'était pas mon truc. Avec Bernardino, j'ai eu le déclic, à 15 ans. Il m'a dit : ''Veux-tu devenir pro un jour ?'' Ben oui, bien sûr, on rêvait tous d'être le prochain Cristiano Ronaldo ! Puis Bernardino a ajouté : ''Alors, je vais t'aider.'' Et là, d'un coup, c'est devenu concret. »
La lubie adolescente est terminée, la carrière peut commencer. « Je le voyais se donner entièrement au jeu, ne jamais compter ses efforts ou se satisfaire d'une séance, se souvient Bernardino. Quand ce n'était pas assez intense, il rouspétait. Il encourageait ses collègues, j'ai vu le respect grandir parmi ses coéquipiers comme ses adversaires. » Il pousse Vitinha vers les grands voisins du SC Braga et souffle : « J'espère qu'il pourra venir parrainer le tournoi du club cette saison, comme il le fait chaque année. On accueille près de 400 gamins et il est un modèle. Si vous saviez l'affection que j'ai pour lui. Ses principes moraux hérités de ses parents, cette simplicité et cette gentillesse. En cinq ans avec nous, je n'ai jamais vu la moindre rudesse envers un camarade. »
À Braga, Vitinha est apprécié par l'entraîneur Ricardo Sa Pinto, qui l'intègre aux séances des pros, en 2019. « Je l'ai trouvé athlétique, malgré sa taille, fort dans les duels, avec une bonne finition des deux pieds, une capacité à trouver les meilleurs espaces aussi, détaille l'ex-attaquant de la sélection portugaise. Certainement pas lent, et puissant. Il y avait du boulot, mais une belle mentalité. » Sa Pinto ne s'attarde pas sur place et Vitinha va stagner. Douter. Avant une rencontre décisive.
Dans la famille Fonte, un footballeur peut en cacher un autre. Alors que José s'éclate au LOSC, Rui revient au pays en 2019, à Braga. « Et il voit que ça ne marche pas bien pour moi, raconte Vitinha. Il me dit alors ce que j'ai besoin d'entendre, il me fait persister. Devient mon mentor. » Après chaque match, Rui Fonte convoque Vitinha : « Il me parle de mon positionnement sur telle action, du choix pour finir telle autre, de cet appel en profondeur... Pour me corriger, et pour me féliciter aussi. »
Comme après la signature du premier contrat pro, début 2021, ou ce derby de Minho déluré de janvier 2023. « Guimaraes menait 2-0, j'entre, je mets le plus beau but de ma carrière (d'une volée du gauche), on gagne 3-2... Dingue ! », sourit Vitinha. Aujourd'hui encore, Rui Fonte appelle après chaque match de l'OM. Exhorte Vitinha à être plus calme dans la conclusion après les ratés d'Auxerre, le 30 avril (2-1). Ne l'accable pas après le Classique du 26 février (0-3) et une occasion énorme en fin de match : « Rui n'a pas été trop sévère. Il m'a dit : ''Tu aurais pu mieux finir, mais c'est Donnarumma en face, pas le premier gardien venu.''»
Depuis Porto, Rolando acquiesce. Le colosse du Cap-Vert se souvient de leur époque commune à Braga : « Il se donnait à 100 % lors des entraînements, il n'attendait pas l'atelier frappes à la fin pour se montrer, comme certains attaquants plus coquins le font. Sans formation classique, il avait du retard à rattraper et les anciens l'entouraient après les séances. Rui et Paulinho lui donnaient des conseils sur les placements, moi je lui expliquais comment gêner le défenseur par des types de mouvements. »
À l'OM de 2015 à 2019, Rolando a connu les sempiternels débats sur le « grantatakan ». Vitinha peut-il endosser le large costume ? « Son transfert m'a surpris, mais si l'OM ne le prend pas à ce moment-là, il y a le risque qu'il soit très cher plus tard, glisse-t-il. Pour le reste, il a les capacités, laissons-le se développer et profitons de ses premiers appuis dans la surface, comme sur l'ouverture du score face à Troyes. » Dans ce monde de brutes, le môme mérite un peu de tendresse.